Une visite à la fête des vendanges de Magog m'a permis de réaliser à quel point les viticulteurs d'ici réussissent des choses étonnantes. Des choix judicieux en ce qui a trait aux cépages, les techniques de vinification qui s'améliorent et le savoir-faire des œnologues permettent des exploits qui jusqu'à tout récemment n'étaient pas envisageables. C'est pourquoi j'ai eu l'idée de faire des recherches sur les origines de la viticulture québécoise. Voici donc mon compte-rendu sur l'histoire de la vigne au Québec.
Dès les premiers temps de la colonie, la vigne est présente. Jacques Cartier baptisa l'île d'Orléans l'Isle de Bacchus car de la vigne de l'espèce vitis riparia y poussait naturellement. Le vin qu'on en tirait était âcre, mais s'améliorait après un an de vieillissement. Les premiers essais avec des vitis vinifera (vignes à vins) importées de France ne se firent que beaucoup plus tard, soit sous Samuel de Champlain vers 1608, mais celles-ci ne résistaient pas aux rigueurs de nos hivers et au bout de quelques années cette idée fut abandonnée. Les ordres religieux et particulièrement les jésuites et les sulpiciens, ayant besoin du vin pour célébrer la messe, continuent de cultiver de la vigne. Ils importent des variétés européennes relativement résistantes au froid, avec un succès relatif. Mais le vin qu'on boit à cette époque est surtout importé d'Europe. De la France, évidemment, mais aussi d'Espagne. La consommation moyenne par adulte est d'environ 32 litres au 18e siècle alors qu'il se situe autour de 25 litres aujourd'hui.
Après la conquête par les Britanniques, la consommation de vin perd du terrain au détriment des spiritueux et de la bière. Comme la plupart des distilleries sont anglaises, les Anglais favorisent le commerce des alcools forts. D'autant plus que la matière première, les céréales et le maïs se cultivent en abondance. Au milieu du 19e siècle, on compte pas moins de 200 distilleries dans le Haut et le Bas-Canada.
En 1864, le gouvernement du Québec, par le biais de subventions, encourage l'expérimentation de la viticulture en privilégiant les espèces rustiques et des hybrides provenant des États-Unis. Malheureusement, les pressions autant politiques que religieuses mirent fin à ces expérimentations et faute d'expertise en matière de vinification, le vignoble québécois fut pratiquement éradiqué.
Pendant la Première Guerre mondiale, on demande aux distillateurs de contribuer à l'effort de guerre en convertissant leurs distilleries en manufactures d'acétone, une composante de la cordite explosive fumivore servant à la fabrication de divers matériaux de guerre. Cela mènera à la prohibition dans toutes les provinces, sauf au Québec qui n'emboîtera le pas que pour une courte période en 1919. La prohibition aux États-Unis entraînera la reprise des échanges commerciaux avec l'Europe, la France en particulier et la consommation de vin alla en augmentant. De plus, l'arrivée d'immigrants européens, des Italiens et des Portugais surtout, des peuples pour qui le vin fait partie intégrante de leur culture, contribue à rehausser l'intérêt pour la consommation du vin. Faute de vignoble, ceux-ci se rabattent sur les raisins vendus dans les marchés publics comme au marché Jean-Talon ou Atwater, la plupart du temps avec des raisins de table, ce qui donnait des résultats plutôt décevants.
Dans les années 70, c'est l'époque de la Révolution tranquille. L'avion ayant remplacé le bateau pour ce qui est des voyages dans les vieux pays c'est aussi l'époque de ces grands voyageurs que sont les baby-boomers. Plusieurs d'entre eux reviennent complètement transformés, imprégnés de cette culture qui jusque-là leur était étrangère. L'idée de faire du vin sur une terre où règne un climat en apparence inapproprié germa dans la tête de quelques personnes considérées comme des illuminés à l'époque.
Dans les années 80, quelques passionnés se lancent dans la viticulture. Le Domaine Côtes d'Ardoise fut le premier vignoble commercial à voir le jour. En 1980, les premiers ceps de chaunac, de seyval blanc et de maréchal Foch y furent plantés. Le vignoble de l'Orpailleur est fondé en 1982. D'autres suivront. Mais la commercialisation ne se fait pas sans heurts. À cause d'un vide juridique, les premiers vignobles vendaient les fruits de leur labeur sans détenir de permis. Et pendant que le fédéral s'apprêtait à subventionner à coup de millions de dollars la viticulture ontarienne, le gouvernement du Québec faisait la vie dure aux producteurs d'ici. En 1985, cinq vignobles reçoivent un permis, mais à quel prix ?
- En plus des taxes courantes, telles que la taxe de vente, la taxe d'accise et de droit spécifique, les producteurs devaient payer une taxe spéciale à payer à la SAQ de 30%. Pour un total de plus de 40%.
- La vente était limitée au vignoble seulement.
- Interdiction de vendre des dégustations au vignoble à moins de détenir un permis d'alcool.
- Interdiction de faire déguster les vins dans les foires agricoles ou alimentaires.
- Interdiction de s'approvisionner chez un autre viticulteur.
- Interdiction de faire la livraison des produits.
- Interdiction de vendre aux restaurateurs et hôteliers.
- Interdiction de vendre à la SAQ.
Ce n'est qu'une partie des restrictions qu'on imposait aux viticulteurs d'ici à cette époque pas si lointaine. On aurait voulu tuer dans l'œuf cette industrie naissante qu'on ne se serait pas pris autrement. Heureusement, grâce à l'action concertée des viticulteurs et à l'Association des Vignerons du Québec, les temps ont changé. Depuis 1996, les viticulteurs peuvent vendre le fruit de leur labeur aux restaurants, bars et hôteliers, par exemple. En 1997, les droits spécifiques (une taxe provinciale) est passée de 89 à 45 cents le litre et en 1998, cette taxe fut abolie sur les premiers 1 500 hectolitres. En 1997, on permet aux vignerons, mais à titre expérimental de présenter, faire déguster et vendre leurs produits dans des foires agricoles. On permet également aux viticulteurs d'employer des termes comme « Domaine », « Côtes », Clos, « Primeur », etc., une pratique interdite avant 1997. On permet également aux viticulteurs de vendre leurs produits dans des marchés publics. Les producteurs ne sont plus tenus de produire la totalité des fruits entrant dans leurs boissons. La nouvelle législation impose toutefois aux producteurs un minimum de 50 % venant du vignoble, 35 % maximum (frais ou transformé) provenant d'autres producteurs québécois et 15 % (frais ou transformé) provenant de n'importe quelle source, incluant la SAQ (tiens, tiens !).
Aujourd'hui, on peut dire que les producteurs d'ici ont le vent en poupe. La viticulture en est encore à ses débuts. Elle est peut-être au stade de l'adolescence et il reste beaucoup à faire, mais les bases sont de plus en plus solides. Si le vin de glace n'a plus besoin de présentation et fait l'unanimité chez les dégustateurs, les producteurs ont encore beaucoup de travail à faire pour nous convaincre le grand public que la viticulture québécoise est à la hauteur des grandes régions du Monde. Cela dit, certains producteurs réussissent à produire des vins à base de vitis vinifera avec succès alors que d'autres redoublent d'audace et tentent de contourner la nature et le climat, grâce à diverses techniques éprouvées ailleurs dans le Monde et ainsi produire des vins tout à fait ravissants. Le vignoble Les Pervenches, à Farnham, produit un excellent vin élaboré à 100 % de chardonnay. De plus, ce vignoble certifié bio, confectionne un vin, Le Solinou, à base de frontenac (un hybride), en utilisant une méthode qui a fait la renommée du Beaujolais, à savoir la macération carbonique, une technique permettant d'aller chercher beaucoup de fraîcheur. Le vignoble Carone, situé à Lanoraie, produit un vin à base de pinot noir fort respectable, dans un style qui me rappelle des pinots du Trentin-Haut-Adige, en Italie. Au Domaine Les Brome, on produit un vin, le Réserve XP, élaboré avec des raisins passerillés, c'est-à-dire séchés pendant trois mois, comme on le fait en Vénétie avec l'Amarone. C'est en essayant des méthodes semblables que les producteurs d'ici réussiront à trouver la recette qui fera la fierté de l'industrie. L'avenir s'annonce très prometteur, donc, pour les producteurs d'ici. Les comparaisons avec les pays européens sont hasardeuses puisque là-bas la vigne y pousse depuis des siècles. Mais il est clair que les producteurs d'ici ont fait des progrès immenses lors des dernières années. Il reste encore beaucoup à faire, mais grâce à des producteurs audacieux et intelligents, l'avenir viticole semble voué à beaucoup de succès.
Suggestions de la semaine :
Impossible de faire une chronique sur les vignobles du Québec et de ne pas suggérer des vins d'ici. Voici donc deux produits disponibles aux vignobles.
Venice, pinot noir, Vignoble Carone, 2009, 35 $ au vignoble ou à la SAQ (Code : 11345258). 75, rue Roy, Lanoraie, Québec, J0E 1E0
Cet assemblage de pinot noir (75 %), complété par du landot noir et du cabernet severnyi, m'est apparu bien réussi lors de la Fête des Vendanges qui s'est tenue à Magog dernièrement. Sous une robe assez dense, on perçoit au nez des accents de fruits rouges et noirs s'accompagnant de notes de confiserie et d'épices. La bouche est ample, avec une agréable acidité. Les saveurs de fruits et d'épices occupent la majeure partie du palais et demeurent suspendues un bon moment avant de s'estomper. Excellent avec un filet de porc farci aux pruneaux ou des saucisses italiennes douces.
Chardonnay, Les Pervenches, 2010. 150, chemin Boulais, Farnham, Québec, J2N 2P9
La nature a été généreuse en 2010, permettant au chardonnay de bien s'épanouir. Doté d'une belle robe paille avec des reflets dorés, il dévoile au nez de subtiles notes de fruits à chair blanche, suivies de nuances de beurre frais ainsi que des inflexions minérales et de bois. Des accents de miel et d'anis se révèlent en toile de fond. La bouche est fraîche, enveloppante et toute en rondeur. Les saveurs détectées au nez s'affirment avec élégance et sans exubérance. Il sera à son aise en accompagnement d'un poisson à chair blanche nappé d'une sauce à la crème et poireaux ou des fruits de mer au beurre citronné.