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SOMMES-NOUS CONDAMNÉS À PÉRIR DANS L’ABONDANCE ?

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Yves Nantel Par Yves Nantel
Mardi le 5 mars 2024

Il y a plusieurs biais par lesquels nous pouvons comprendre la crise climatique et chacun de ceux-ci nous piste vers des solutions. La lecture de « Carbone fossile, carbone vivant » de Christian de Perthuis, économiste français, m'en a donné l'occasion. L'auteur met en corrélation la montée de ce qu'il qualifie de société de l'abondance et le développement exponentiel du réchauffement climatique et des dérèglements de la planète. 

Dans les sociétés industrialisées, il situe cette montée dans l'après Deuxième Guerre mondiale au début des années 1950. Avant cette époque, nous cheminions dans une société de rareté,  puis nous avons rapidement évolué vers une société d'abondance. 

J'ai vécu la rareté et je vis l'abondance 

Ces constats m'ont interpellé. Je suis d'âge à avoir été témoin tant de la rareté que de l'abondance. J'ai donc ouvert les tiroirs empoussiérés de ma mémoire pour retourner à cette époque. 

Aussi loin que mes souvenirs sont assez précis, je me reporte à 1948. J'ai 6 ans et avec mes parents et ma soeur cadette nous aménageons dans une maison neuve. C'est mon père avec son beau-frère qui l'ont construite. 

Un an plus tôt, mes parents venaient d'acheter le terrain et une pile de matériaux de construction lorsque ma mère dut subir une intervention chirurgicale importante. Ils furent obligés de payer tous les frais médicaux car, à cette époque, aucune protection sociale. Ils décidèrent quand même de réaliser leurs rêves, avoir une maison. 

Ils ont construit la maison avec une égoïne, un niveau, un marteau et des clous. Le carré de maison était constitué de madrier de 2 po x 6 po. ou 2 po. x 8 po. Mon père « décrochissait » les clous usagés pour les ré-utiliser. Nous avons réussi à nous y installer en novembre 1948. L'extérieur de la maison était sur le papier goudronné noir. L'intérieur n'était pas terminé : pas de porte aux appartements, ni aux armoires : des panneaux de tissus. Pas de toilette, une « bécosse » à l'extérieur. Chauffage et cuisson au bois, glacière (oui, avec des blocs de glace achetés d'un vendeur de glace ambulant) pour conserver la nourriture. La radio mais pas de téléphone. Pour laver le linge : la laveuse à tordeur et la corde à linge extérieure pour le sécher. 

Ma mère a longtemps cousu nos vêtements dans de vieux vêtements avec un moulin à coudre à pédales (elle travaillait dans une manufacture de confection de vêtements avant son mariage), elle tricotait nos bas, mitaines, chandails, et plus encore elle les reprisait. Mon père travaillait dans une usine de meubles 6 jours par semaine. Les loisirs : les soirées familiales et la visite à la parenté, l'astiquage autour de la maison, le jardin. Le Père Noël était plutôt chiche : un lion en bonbon clair, une pomme et une orange et un petit jouet, tout au plus. 

On n'était pas riche, mais tous autour on était dans une situation semblable. Je n'ai jamais entendu ou senti que nous étions pauvres.

Et tout a commencé à changer. J'ai vu l'abondance s'imposer : la maison a pris une allure coquette, mon père avait fait une place pour un frigo, l'huile chauffage a remplacé le bois, on a défoncé le mur adjacent à la chambre de bain pour y loger un bain, le téléphone, la télé, un petit tourne-disque, puis, puis, jusqu'à aujourd'hui. 

Les conséquences sur le climat 

L'abondance a exigé de l'énergie et de la matière pour la produire et celles-ci furent pompées du sous-sol de manière accélérée. Si elle nous a séduits, elle nous a aussi entrainés dans une cascade d'effets dévastateurs sur le climat et par rebond sur nous, sur la nature. 

Cette époque fut qualifiée de La Grande Accélération : « c'est autour de 1950  que les principaux indicateurs du système socioéconomique mondial et du système terrestre se sont mis à avoir une tendance exponentielle ». 

Au niveau mondial, les émissions de CO2 atteignaient 4,4 tonnes par habitant en 1980, soit le double de celles de 1950. Elles étaient aux trois quarts le fait des pays industrialisés. Pour sa part, en 2022, le Canada trônait avec 19,6 tonnes par habitant. 

Changer sa façon de voir l'économie 

De son point de vue d'économiste critique, de Perthuis plaide pour une autre économie : « Dans l'approche traditionnelle, l'abondance est la finalité de l'activité. La rareté prend la forme d'un ensemble de limites que l'économiste aide à résoudre par une allocation efficace des ressources assurant la croissance » ... « La crise climatique nous contraint à quitter ce paradigme ». 

Ce qui signifie qu'il faut faire marche arrière, trouver les façons d'introduire de la rareté et de limiter l'abondance de biens et services qui est à la source du trop-plein de GES dans l'atmosphère. 

Cette vision me conforte dans mes convictions. Cela relève de la science et du gros bon sens : nous ne pouvons pas continuer comme si on vivait sur une planète à ressources illimitées alors que trop d'indices nous démontrent que nous avons déjà trop abusé d'elle. 

Sortir des énergies fossiles et ramener de la rareté sont les deux côtés de la même médaille. Il faudra bien un jour en accepter la conclusion et commencer à faire des choix et sabrer dans notre surconsommation.

 

Yves Nantel

Mars 2024


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