C'est sous le soleil hivernal que je reviens au Québec, le cœur lourd, mais la tête pleine de souvenirs. J'ai passé, accompagnée de 24 autres jeunes, les 10 derniers jours à vivre dans un internat Salésien où vivent 25 mexicains qui n'ont pas été dotés de la même chance que nous dès la naissance.
Des heures passées à jouer au soccer avec les petits garçons jusqu'aux prières et aux conversations sur la vie partagée avec les plus vieux, j'ai réalisé qu'aucun professeur ni aucune classe de mathématique n'allait pouvoir m'apprendre plus que cette poignée de jeunes l'ont fait durant mon voyage.
Dès le moment où j'ai posé le pied hors de l'autobus vert qui nous menait de l'aéroport à l'internat, je suis tombée en amour avec chacune des 25 paires de yeux bruns qui me fixaient, le visage tout souriant. Je n'avais jamais été témoin au cours de mon parcours, même dans les quartiers les plus choyés, d'une si grande ambiance de joie de vivre qui régnait en un seul endroit. Je n'aurais jamais pensé que ça aurait été là, coincé entre un stand de tortillas au maïs et un bidonville sur les montagnes, que j'aurais rencontré plus de bonheur que je n'en ai vu dans toute ma vie.
En ces jeunes, dû au fait qu'ils aient à peu près mon âge mais le triple de mon vécu, réside une force quasiment surnaturelle, qui explique peut-être la raison pour laquelle ils se lèvent chaque jour avec un énorme sourire étampé dans le visage. Dès mes premiers pas sur la terre mexicaine, j'ai réalisé que, même si ces enfants avaient eu mille fois moins d'opportunité que nous, ils étaient mille fois plus heureux.
C'est après quelques jours à l'institut que les jeunes ont commencé à se confier et à s'ouvrir à nous, les aidant à guérir et nous aidant à grandir. J'ai compris que, malgré les stéréotypes sur ces petits garçons, la plupart avaient été placés en internat car leurs parents n'avaient pas le temps ou les habilités pour s'occuper d'eux. Des mères monoparentales jusqu'aux familles violentes, je me suis rendu compte à quel point nos problèmes, qui semblent parfois gros comme le monde, ne pourraient pas être plus anodins.
Il existe aussi souvent un énorme problème de confiance en soi chez ces jeunes, car contrairement à nous qui sommes pour la plupart élevés dans une famille aimante, ils n'ont jamais eu le support émotionnel adéquat ou tout simplement un parent derrière leur épaule pour leur dire qu'ils sont beaux, bons et capables. Pour empirer le tout, sur aucune publicité mexicaine ne figure un individu à la peau foncée, tous les standards de beauté et les idéaux sont construits autour du rêve d'être né blanc.
Un jour, je parlais avec un garçon de 12 ans et, pendant que l'on jouait ensemble, je lui ai demandé de me faire le podium de ses trois amis d'école les plus beaux à son avis, question de le faire rire. Il y a pensé pendant quelques secondes, balançant son ballon de main en main, puis il m'a répondu: «Ils sont tous laids». Je lui ai demandé pourquoi il affirmait une telle atrocité, pensant qu'il me faisait une blague, mais il a confirmé ses dires en me regardant droit dans les yeux: « Parce qu'ils sont tous foncés et la peau foncée, ça ne peut pas être beau ». C'est à ce moment-là que j'ai réalisé l'ampleur de l'impact que la société et le manque d'amour avait sur ces jeunes. Cet échange, parmi les plus marquants de mon voyage, m'a vraiment brisé le coeur.
Ces dix jours en compagnie de ces enfants ont été une expérience d'apprentissage incroyable sur tous les points et je souhaite profondément ne jamais oublier les leçons de vie que ces petites âmes m'ont transmises sans le savoir. On dit que les voyages forgent la jeunesse et, au retour de cette expérience, je peux dire avec confiance que ces mexicains ont forgés en moi une toute nouvelle vision de la vie.
Rosemarie Lacroix, La parole est aux ados