Nous n'en
sommes plus à nous poser la question s'il y aura des dérèglements climatiques
dus à l'augmentation des émissions de GES, nous y sommes, ils se manifestent.
Il s'agit plutôt de prévoir leur ampleur, mettre en place des mesures pour les
endiguer et, devant les inévitables, pour les parer.
Essayons
de tracer les contours des défis auxquels nous sommes déjà confrontés en ayant
à l'esprit que plus on attend pour agir efficacement plus les dommages seront
difficiles à contenir.
Nourrir
l'humanité
Nous sommes 7,7 milliards
d'habitants sur terre dont 2,8 milliards vivent en Chine et en Inde. L'Organisation
des Nations unies pour l'alimentation et l'Agriculture (FAO) estime que la
production agricole devra avoir augmenté de 75 % d'ici 2050 afin de satisfaire
les besoins des Humains.
Comme la
majorité des cultures s'effectuent à l'extérieur, elles sont et seront exposées
aux sécheresses prolongées et aux fortes pluies. Nous y sommes déjà. Nous
aurons besoin de nouvelles terres agricoles pour les nouveaux besoins dont
celui non négligeable, de production de produits carnés.
De plus, le
réchauffement climatique entraîne dangereusement l'acidification et la
salinisation des terres agricoles. Ce sont les deux phénomènes qui menacent le
plus la sécurité alimentaire de l'humanité. L'adaptation aux changements
climatiques imposera des modifications de nos régimes alimentaires, des
économies parcimonieuses de nourriture et la considération des besoins de
toutes les populations.
Ce défi de
la sécurité alimentaire pour tous s'imposera de plus en plus sous le poids de
l'augmentation de la population mondiale : 9,7 milliards en 2050, 11,3
milliards en 2100.
Contenir
le niveau des mers
Les 2/3 de
la population mondiale vivent à proximité des côtes océaniques. Certains y
trouvent leur principale source de survie, la nourriture, que ce soit pour leur
consommation ou pour en faire le commerce. Conséquence de la fonte des glaces
continentales et des glaciers, le relèvement des eaux de la mer nous donnera du
fil à retordre quant à notre adaptation.
Il faudra :
a)
empêcher l'invasion des terres par les eaux salines et les érosions diverses ;
b) évacuer
les lieux de précipitations et de ruissellement pour protéger les nappes d'eau
potable et les terres agricoles ;
c) protéger
les infrastructures déjà établies (routes, bâtiments, digues, etc.) ou en
construire de nouvelles à l'intérieur des terres ;
d)
déplacer les populations inondées (certaines îles habitées seront englouties en
peu d'année), protéger des pays entiers (Pays Bas) et des villes (Venise déjà
en cours, New York).
Cette
tâche exigera des efforts colossaux d'ingénierie et des investissements
financiers jamais envisagés.
Assurer
la transition vers les énergies renouvelables
En 2018, plus
de 81 % de l'énergie primaire consommée sur la planète était d'origine fossile à
savoir le pétrole, le charbon, le gaz naturel). Ce sont ces énergies qu'il
faudra remplacer par des énergies renouvelables. Comme c'est la plus importante
source de GES, le défi est de taille, pensons-y !
Afin de
contenir le réchauffement climatique à moins de 1,5℃, il faudra : a) suppléer
ces formes d'énergie par les énergies éolienne, solaire, hydraulique, nucléaire
ou autres b) préserver les puits naturels de captation de GES et c) épurer les
énergies fossiles restantes, entre autres par le captage et stockage du CO2.
Pour y
arriver de nouvelles règles s'imposent à l'économie. D'abord, nous devons appliquer
le principe du pollueur-payeur à savoir faire payer la facture des émissions de
GES par ceux qui les émettent. Il est reconnu que la taxation du carbone,
étendue à l'échelle internationale, est la plus efficace pour obliger la
transition vers les énergies renouvelables. Par la suite, elle doit être
règlementée par les pays et appliquée à chaque entité productrice ou
utilisatrice d'énergies fossiles.
Encore
faut-il que son prix soit suffisamment élevé. Au Canada, elle est actuellement
de 20 $/tonne et doit atteindre 50 $ en 2022. Pour sa part, le Directeur
parlementaire du budget du Canada vient de nous aviser (08/09/2020] que cette
taxe devra atteindre 117 $/tonne d'ici 2030 si l'on veut atteindre la carboneutralité
en 2050.
Puis,
simultanément nous devons implanter les infrastructures pour accueillir ces
nouvelles formes d'énergies tout en convaincant les producteurs et les
consommateurs de s'y adapter.
Adapter
l'indemnisation en fonction des nouveaux risques
L'amplification
des inondations, sécheresses, tempêtes de grêle et de verglas, feux de forêt,
glissements de terrain, érosions des berges coïncident avec le réchauffement
climatique.
À lire les
rapports des associations d'assureurs, on comprend que la situation est prise
au sérieux : les actuaires s'affairent à réviser les plans d'assurance
actuels. C'est que les indemnisations explosent et que la prévision du risque
est des plus incertaines.
C'est le
cas au Canada. Cette année, quatre catastrophes naturelles ont déjà affligé
l'Alberta pour des indemnisations totales de 2 milliards de dollars. Pour sa
part, les indemnisations lors des feux de forêt à Fort McMurray en 2016 avaient
cumulé 5,4 milliards. Du jamais vu.
Le Bureau
des assurances du Canada (BAC) jongle avec le concept d'assurance communautaire
de façon à faire reposer une partie du risque sur la communauté et demande aux
gouvernements de cartographier les risques. « Avec la répétition des
inondations majeures depuis 2017, les impôts et les fonds publics ne suffiront
plus à payer la note et les citoyens pas davantage » affirmait Philippe Gachon
du Réseau Inondations intersectoriel du Québec dans Le Portail de l'assurance
en avril 2019.
L'on
comprendra que ce défi est inédit et que, bientôt, il sera impossible à relever
si la situation persiste.
Opérer
les changements dans une perspective de justice climatique
Les
dérèglements climatiques n'affectent pas tous les pays de la même façon. Ce
sont les pays les plus pauvres qui souffrent le plus de leurs conséquences
alors que ce sont eux qui contribuent le moins aux émissions.
Le défi
consiste ici à :
a)
appliquer le principe de la justice réparatrice (pollueur-payeur) aux émetteurs
de GES jusqu'à l'atteinte de la carboneutralité d'ici 2050 ;
b)
s'assurer de mesures strictes et indépendantes de calcul des émissions et de conditions
de redditions de compte crédibles et efficaces ;
c) aider
financièrement les pays les plus pauvres à assumer leur transition écologique;
d) voir à
ce que les dommages climatiques n'accroissent pas les inégalités dans le monde
et que les mesures n'induisent pas l'augmentation d'émissions inattendues.
Le
temps presse car il joue contre nous
Les pays
ayant signé la Convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques (CNUCC) ont fait des pas dans cette direction. S'ils s'entendent
sur les principes, aucun consensus n'a été obtenu quant à leur application. On se trouve devant des acteurs aux intérêts
divergents alors que d'autres persistent dans le déni devant l'urgence climatique.
Même si la
fenêtre pour agir se rétrécit graduellement, les scientifiques nous assurent
qu'il est toujours temps d'éviter le pire mais qu'il faudra un sacré coup de
barre dans nos habitudes de production et de consommation pour y arriver.
Yves Nantel
24 octobre
2019