Comment faire comprendre l'ampleur de la dévastation qui
habite un vétéran des Forces armées canadiennes après son passage en zone de
conflit? Comment partager sa souffrance, ses cauchemars, ses ‘'flash-backs'' qui
hantent les jours et les nuits de ceux qui ont choisi de porter l'uniforme?
Les effets du syndrome post-traumatique sont nombreux et
souvent gardés en sourdine : marginalisation, repli sur soi, et
dépression, sont quelques exemples des marques laissées sur la psyché d'un trop
grand nombre de militaires. Cela a aussi un impact sur la famille qui n'a pas
toujours les outils nécessaires pour être en mesure d'aider de façon
appropriée. Une spirale d'émotions peut alors apporter des problèmes de santé
mentale à long terme, des conflits conjugaux, et une perte de repères pour la
personne affectée.
C'est avec ces situations problématiques en tête que le
Comité des Vétérans des Cantons de l'Est (Monarques) a cherché des moyens pour
sensibiliser la société civile aux difficultés auxquelles sont confrontés ses
membres. Une rencontre avec la directrice du Théâtre des Petites Lanternes
allait changer le cours des choses. Un projet de création intégrant l'approche
artistique novatrice de la Grande Cueillette des Mots (GCM): le projet
Monarques. Une création théâtrale bilingue donnant la parole aux vétérans, aux
familles de militaires et à leurs proches, à l'échelle nationale canadienne.
« Jamais en 21 ans de
direction artistique du Théâtre des Petites Lanternes, je n'aurais pensé qu'il
y ait une œuvre liée au stress post-opérationnel du monde militaire. Nous nous
sommes tous, et moi la première, retrouvés dans un conflit de valeurs auquel il
y a lieu de réfléchir; entre l'humain qui s'isole, qui souffre, et de qui il est
important de parler; et notre rejet de la guerre, » de déclarer Angèle
Séguin Directrice artistique du Théâtre des Petites Lanternes. Elle, ainsi que
l'autrice Amélie Bergeron assureront la création et la mise-en-scène d'une oeuvre théâtrale inspirée par ces témoignages. La Directrice générale et codirectrice artistique Kristelle Holliday fera quant à elle équipe avec Paul Lefebvre, conseiller dramaturgique, pour la
coordination des ateliers d'écriture.
Dans un premier temps, le projet fera appel à huit-cents
personnes, vétérans ou membres de familles de militaires, qui seront invitées à
écrire de manière libre, volontaire et anonyme sur le sujet, lors de différents
ateliers d'écriture. Ces ateliers se tiendront d'un bout à l'autre du pays au
cours des prochains mois. Une fois les propos recueillis, l'équipe artistique
commencera l'écriture de l'œuvre dramatique, inspirée par l'ensemble des
paroles et composée à partir de passages retenus. Un long processus attend donc
l'équipe du TPL pour arriver à transposer en une œuvre cohérente, le vécu
d'hommes et de femmes aux prises avec un tel trauma. On prévoit présenter la création au début de novembre 2022.
Le Major Luc Lacombe est à l'Unité de transition des Forces
armées canadiennes, créée en 2018. Cette organisation travaille à améliorer le processus de transition de la
vie miliaire à la vie civile, en offrant des services et du soutien, aux
membres des Forces armées canadiennes, ses vétérans et à leurs familles.
Étant, de son propre aveu plutôt cartésien
de nature, et peu porté vers les arts, le militaire ne s'attendait pas à être
impliqué un jour, dans ce type d'aventure. « Angèle (Ségin) est venue me
voir en juillet 2019 pour la présentation du projet. Je me suis vraiment
questionné sur le but de tout ça et pourquoi on embarquerait là-dedans. Lorsque
j'ai finalement compris que le projet servirait à déstigmatiser la blessure
post-opérationnelle, que ça servirait à informer le public, à provoquer la
discussion sociale du sujet, qu'on connait mal; de sortir nos membres qui
souffrent d'isolement et de favoriser, peut-être leur rémission, je n'ai pas eu
le choix que d'embarquer dans le projet. »
Cette souffrance est trop souvent
le lot quotidien des familles côtoyant ces militaires. Myriam
Dutour en sait quelque chose puisqu'elle est Coordonnatrice du Programme pour
les Familles des Vétérans au Centre de Ressources pour les Famille de Militaires
(CRFM) qui couvre la région de l'Estrie. À tous les jours elle est témoin des
effets dévastateurs que peuvent occasionner ces blessures auprès de l'entourage
des membres des Forces. « Notre organisme a pour mission de favoriser
le mieux-être des membres dans le développement personnel, familial et
communautaire. On organise toutes sortes d'activités pour les familles et nous
sommes partout à travers le pays. » Elle ajoute que cet accompagnement est
effectif de l'entrée d'une recrue, et de soutenir cette personne et ses proches
jusqu' à sa sortie du service militaire vers un retour à la vie civile.
Lorsque le CRFM a été approché pour faire partie du
processus, Mme Dutour a tout de suite vu le potentiel d'une telle
démarche. « J'ai tout de suite dit oui. C'est un projet qui va
effectivement toucher ma clientèle. Ceux que j'ai en suivi ne vont pas
nécessairement bien; en général (ils vivent avec) des blessures
post-opérationnelle don le post-trauma fait partie. Donc ce n'est pas évident
pour personne de comprendre ce qui se passe. Je trouve que ce projet va aider
les vétérans à ne pas se sentir seuls, de voir qu'il en a d'autres qui vivent
la même chose; souvent ils s'isolent. Et de faire connaître à la population ce
qu'est cette problématique-là. »
Le fruit de cette collaboration
inédite sera l'occasion de jumeler deux univers et contribuera sans aucun doute
à libérer la parole de ceux qui vivent avec le stigma d'expériences difficiles
et méconnues du public, tout en sensibilisant celui-ci à une réalité à laquelle
il a peu accès.
petiteslanternes.org