« Maman, ça fait longtemps que William a la tablette, moi aussi je la veux, dis-lui que c'est mon tour! »
« Sophie ne veut pas me prêter la petite couverture, c'est toujours elle qui l'a! »
« Je l'avais juste mis là, mais elle me l'a volé, c'est moi qui l'avais en premier! Papaaaaa! »
Ça vous dit quelque chose?
Peu importe l'âge, le partage est une notion difficile à enseigner. Bien sûr, on souhaite que nos enfants pensent aux autres, qu'ils soient généreux, qu'ils partagent, mais est-ce qu'en les obligeant à partager nous atteignons vraiment notre objectif?
Voyons les choses sous une perspective d'adulte!
- Vous êtes en train de travailler et voilà que votre adolescent vous demande : « Maman, j'ai besoin de l'ordinateur pour un travail. » Si vous êtes d'accord, vous lui demanderez d'attendre que vous ayez terminé. Personne ne viendra vous dire : « donne-lui l'ordinateur tout de suite, tu l'as assez utilisé! »
- Ou encore, vous écoutez votre émission préférée et votre conjoint(e) vous lance un : « Chéri(e), ça fait assez longtemps que tu écoutes la télévision, je te laisse encore 5 minutes et ensuite tu me donnes la télécommande... et le fauteuil! » Je parie que vous lui demanderez d'attendre que vous ayez terminé votre émission avant de lui céder votre place! (si vous réussissez à demeurer poli(e) après une telle requête!)
Et bien, c'est la même chose pour les enfants! Dire que c'est chacun son tour tout en limitant la durée de l'utilisation, c'est contradictoire.
Quand partager signifie se priver
Si partager implique d'arrêter son jeu et de regarder l'autre enfant s'amuser avec ce qui l'occupait, on peut s'attendre à ce qu'il ne se sente pas très bien. Par conséquent, l'expérience lui démontre que lorsqu'on partage, on se sent mal!
Voici donc une méthode simple pour que chaque enfant se sente respecté et important. Cela vous permettra de développer chez l'enfant une tendance naturelle à partager et à penser aux autres.
Le partage en 2 étapes
1. Enseigner à notre enfant à s'affirmer et à mettre ses balises face aux désirs des autres
Si l'enfant sent qu'il a le choix et qu'il peut décider s'il prête maintenant son jouet ou non, il sera plus enclin à le faire et le partage deviendra une expérience positive. Il doit savoir que nous respecterons son choix jusqu'au bout. Cela l'aidera à se sentir en sécurité et à développer le goût du partage:
- « Tu as le droit de jouer jusqu'à ce que tu aies terminé. »
- « Tu peux dire à ton frère que dès que tu auras terminé, tu iras lui donner. »
Quand un autre enfant lui demande d'avoir son jouet ou veut lui arracher, on lui enseigne à répondre :
« Dès que j'aurai terminé, je te le donnerai! »
Le test
Il est fort possible qu'au début, l'enfant garde le jouet longtemps. Ce sera sa façon de savoir s'il peut nous faire confiance, savoir si on a dit la vérité. Il testera cette nouvelle méthode.
Résistez à la tentation de lui dire :
- « Regarde ton frère, il attend depuis longtemps, pense à lui un peu, si tu le gardes longtemps, lui aussi le fera après. »
- « OK, c'est assez maintenant, tu partages! »
2. Enseigner à l'autre enfant à attendre son tour
Attendre son tour, c'est tout un apprentissage et ça peut être difficile. Encore plus quand on est petit et que ce qui nous intéresse est juste là, devant nos yeux! Être fâché, être triste, être frustré, c'est correct! On a le droit. On a aussi le droit de pleurer... MAIS on n'aura pas le jouet plus rapidement! On en profite pour lui enseigner, à lui aussi, la bonne façon de s'exprimer.
« Voici ce que tu peux dire à ta sœur : »
- « Je trouve que ton tour est très long, j'ai hâte que tu aies terminé! »
- « Je suis fâché d'attendre si longtemps, viens me le dire quand tu auras terminé. »
Surtout, évitez d'envenimer la situation avec des phrases comme : « oui, je sais, il fait exprès pour prendre son temps! » Il est très important d'être cohérent et de ne pas changer d'idée même si le tour dure très très longtemps! On peut lui dire qu'il aura lui aussi le tour aussi long qu'il le souhaite par la suite.
Dans la vraie vie!
Au début, cette nouvelle technique peut être pénible, car nous les avons habitués autrement. Mais, quand l'enfant réalise que maintenant il peut jouer aussi longtemps qu'il le souhaite, il développe l'envie de faire plaisir à l'autre, de ressentir les émotions positives qui viennent avec le fait de partager. Très bientôt, vous n'aurez plus à gérer les tours, la minuterie et l'argumentation. Voici quelques trucs aidants pour instaurer cette nouvelle façon de faire :
- Préparer un billet « C'est à ton tour! » Placez-le à un endroit accessible. Quand Thomas souhaite avoir un jouet déjà utilisé, il pourra dire à sa Juliette « Quand tu auras terminé, j'aimerais jouer avec moi aussi » et lui remettre le coupon. Quand Juliette aura terminé, elle pourra simplement lui donner le coupon. Observez!
- Faire une liste. « Tu vois, le nom de Juliette est rayé parce qu'elle utilise le grand coussin et tu es le prochain sur la liste »
- Distraire son attention « Qu'est-ce que tu pourrais faire en attendant qu'il ait terminé son tour? As-tu une idée? » On peut aussi lui proposer un autre jeu, mais souvent nos idées de remplacement seront rejetées. Si l'enfant trouve lui-même, il y a plus de chance que ça fonctionne!
- Avertir l'autre quand c'est son tour. Juliette a terminé et elle a abandonné le grand coussin dans le salon sans avertir Thomas qu'elle avait terminé. Vous devez rappeler à Juliette que Thomas attend encore et l'inviter à lui dire que c'est maintenant son tour.
La notion de partage n'est pas seulement une question de bienséance. Regardez autour de vous. Certains adultes ont encore de la difficulté à céder la plus grosse portion de gâteau (ou une manette de télévision), à prêter un livre, un vêtement ou un outil. Partager n'est pas inné, surtout s'il provient d'une éducation où il signifie « se priver ».
Vous avez le pouvoir de changer cette perception chez vos enfants, en transformant cette impression de privation en une envie toute simple de voir l'autre ressentir le même bonheur, le même plaisir que soi, en partageant un privilège.