Lorsque la norme LEED pour les habitations est apparue dans le paysage québécois, il y a quelques années, ils étaient nombreux à ne pas y croire. Et pourtant, la norme a certifié bon nombre d'unités d'habitation jusqu'à présent. Voici qu'une nouvelle page s'écrit en efficacité énergétique avec la norme Passivhaus.
Mise au point en 1980 par les professeurs Bo Adamson de l'Université de Lund en Suède et Wolfgang Feist de l'Institut pour l'Habitat et l'Environnement, la norme Passivhaus (PH) fait beaucoup parler d'elle. Qu'il suffise d'imaginer une maison qui ne consomme que 15 kWh/m2 par an pour le chauffage, et dont le renouvellement de l'air se fait à 0,6 CAH à 50 kPa. Des chiffres quasi impensables sous un climat un tantinet frisquet!
Les maisons passives détonnent aussi dans le paysage. Elles se distinguent par leur allure compacte, question de réduire la surface de murs exposée aux intempéries, à leur abondante fenestration au sud de façon à profiter de l'énergie du soleil, et à leurs petites fenêtres sur les autres murs. Elles peuvent être pourvues d'écrans solaires afin de minimiser des gains de chaleur trop importants en été, mais l'aménagement paysager peut aussi réduire l'apport solaire avec la plantation d'arbres à feuillage caduc.
La norme PH s'attarde particulièrement à l'efficacité de l'enveloppe et à l'élimination des ponts thermiques. Elle proscrit toute sortie d'air directement à l'extérieur, une interdiction qui se contourne avec des hottes à recirculation et des sécheuses à condensation, explique l'architecte Lucie Langlois d'Alias architecture.
Ces normes s'appliquent à toutes sortes de bâtiments : maisons unifamiliales, bâtiments multilogements, écoles, garderies, gymnases, immeubles de bureaux et même à la rénovation (haus en allemand, signifie en fait bâtiment). La région de Bruxelles oblige d'ailleurs les nouveaux bâtiments et les rénovations soient conformes à une norme passive assouplie depuis le 1er janvier 2015. L'Union européenne, pour sa part, a adopté la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010, qui a comme objectif la consommation d'énergie quasi nulle des nouveaux bâtiments d'ici 2020.
Implantée au Canada avec la création du Canadian Passive House Institute (CanPHI) en 2010, la norme passive a connu quelques ratés sous nos cieux. Le Québec ne compte pas encore de maison certifiée PH. Le constructeur Luc Beauchamp, de Construction Luc Beauchamp à Montebello, a déjà tenté l'expérience avec un projet qui devait mener à la première maison québécoise certifiée PH. « Nous avons accroché sur certains détails, explique-t-il. Il n'était pas question d'installer le foyer que la cliente voulait, et le panneau électrique devait se limiter à 100 ampères, ce qui aurait empêché la cliente d'ajouter un spa éventuellement. Le réservoir à eau chaude devait être alimenté au gaz alors même qu'il n'y avait pas d'entrée de gaz dans la maison. »
Tenter le tout pour le tout
Il n'en demeure pas moins que d'autres constructeurs sont séduits et n'hésitent pas à changer leurs pratiques de construction en conséquence. Des constructeurs qui veulent faire les choses différemment, qui s'informent sur Internet et maîtrisent une panoplie de logiciels. En plus du PHPP (« Passive House Planning Package »), une feuille Excel qui permet de vérifier « sur papier » le respect de la norme, Richard Price, de Construction Le Tournesol, utilise THERM pour analyser les ponts thermiques ainsi que U-Wert et WUFI pour calculer le point de rosée et l'humidité à l'intérieur des sections de mur. De son côté, le certificateur Andrew Peel, de Peel Passive House Consulting, compte près d'une vingtaine de projets dans ses cartons qui proviennent d'un peu partout au Canada.
Philippe St-Jean, de Construction St-Jean et fils, est de ceux qui aiment pousser l'enveloppe et faire bouger les choses. Ce n'est pas une, mais bien trois certifications (LEED-Platine, Passivhaus et Living Building Challenge, encore plus exigeante) qu'il vise avec un projet de cinq unités en copropriété dans l'arrondissement du Plateau Mont-Royal à Montréal, l'un des plus sévères en matière d'urbanisme. « Nous avons choisi notre bâtiment en conséquence, en fait deux bâtiments de deux étages sur vide sanitaire datant de 1885, relate-t-il. La façade arrière donne sur le sud et les voisins, et les arbres ne font pas ombrage ». Les bâtiments seront rénovés de fond en comble : nouvelles fondations, certes, mais aussi une double coquille sera construite à l'intérieur de la structure existante. Un étage sera ajouté et le volume sera agrandi vers l'arrière. « Nous avons voulu pousser le design au maximum », termine-t-il. Si tout va bien auprès de l'arrondissement, le chantier devrait se mettre en branle à l'été.
Jim Iredale, de Landmark Passivhaus à Mont-Tremblant, a transformé son entreprise et entend ne construire qu'aux normes PH à l'avenir. Ingénieur de formation et menuisier de métier, l'entrepreneur donne dans la maison secondaire de haut de gamme (et même de très haut de gamme, la facture de certaines résidences atteignant les 4 millions de dollars!). C'est lors de la construction de la maison de Stephen Bronfman qu'il a eu le déclic pour Passivhaus. « Nous travaillions en chandail dans une maison non chauffée en janvier », se rappelle-t-il. Jim Iredale admet qu'il est plus facile d'appliquer les principes Passivhaus à un édifice plus important. Ce qui l'intéresse par-dessus tout, cependant, c'est le confort qu'assurent ces maisons à leurs occupants.
« La qualité de l'air est incomparable. Il n'y a pas de stratification thermique. La réduction du bruit est aussi significative ». Selon lui, ces maisons sont « future-proof » (à l'épreuve de l'avenir) et seront tout aussi performantes dans 50 ou 100 ans, tandis que les maisons courantes ont besoin de rénovations importantes après 20 ou 25 ans. « Il en va de notre responsabilité en tant que constructeurs, souligne-t-il. Nous ne pouvons nous permettre d'agir autrement. »
L'architecte Lucie Langlois multiplie les tribunes pour faire connaître Passivhaus. Récemment encore, avec un groupe de membres convaincus, elle a formé Maison passive Québec, qui compte offrir la formation à la certification en français dès l'automne. « La formation dure 60 heures, précise-t-elle, et mène à un examen. Il existe aussi une formation pour entrepreneurs qui se donne sur deux ou trois jours à Ottawa ». Le nouveau groupe travaillera avec la France et la Belgique et utilisera les ressources existantes. Il y a aussi un réseau à l'échelle de l'Amérique du Nord qui s'organise.
Passera ? Passera pas? Une chose est certaine, la norme PH fera évoluer à son tour la construction résidentielle et permettra de construire de bonnes maisons, certifiées ou pas.
Source : Québec Habitation Avril 2015. Magasine publié par l'APCHQ Provinciale.