À
quelques mois de ta naissance, j'aimerais te partager quelques conseils. Je
sais déjà que tu seras un bébé absolument formidable : une têtue
résilience, un adorable sourire (celui de ta maman), un caractère absolument
indomptable. Toujours comme maman, puis je dois dire, comme moi, aussi.
Être
une personne non-binaire, gaie, activiste, ayant grandi et évolué dans la
sphère publique très (trop) jeune m'a fait réfléchir. Mes conseils pourraient
t'être bénéfiques, mais également profiter à toutes les jeunes personnes un peu
plus marginalisées, un peu moins comprises, qui essaient de creuser leur propre
chemin.
Ne
jamais tolérer l'intolérable
Bon,
je sais que tu vas naître et ce n'est peut-être pas la première chose que je
devrais te dire, question de ne pas te déstabiliser right away, mais :
prend garde à cultiver un respect pour ta personne et tes limites, à les
explorer pour les connaître, à ne jamais tolérer l'intolérable.
Comme
personne queer, il est plutôt commun de tolérer l'intolérable. On peut
grandir se faisant dire et absorbant l'opinion selon laquelle nous devrions
être soulagé.es de se faire simplement accepté.es. Pour le respect et l'amour
sincère, on peut bien laisser faire. Cette croyance est fausse. Il y a, sur la
Terre, autant d'humain.e et d'opinion qu'il y a de personnes. Un jour, tu
trouveras une personne qui t'aimera sincèrement et te fera comprendre ce que
c'est, l'amour réel. Entretemps, ne donne pas ton énergie, ton attention ou tes
espoirs à une personne qui ne semble pas à 100% prêt.e à se lancer dans une
aventure avec toi. Que cette aventure dure une soirée ou une vie, il reste à
vous deux seulement de s'entendre sur les termes. Le respect de sa propre
personne et de ses limites, c'est donc ici de choisir méticuleusement ton
entourage pour te préserver et aller vers des relations qui te font sentir
heureux.es.
Explore
ton identité, n'accepte jamais de te limiter
Romy*.
Romy* est le prénom que nous avons choisi pour toi, espérant que tu pourras
choisir ta propre destinée sans barrière, dès la naissance. Que tu sois homme,
femme, personne non-binaire, nous t'aimons déjà. Nous t'aimons peu importe si
tu es un.e incroyable athlète, un.e artiste introverti.e, une personne
généreuse de son temps ou plus centrée sur combler ses propres besoins, un.e
courageux.e ou plus peureux.e. Nous aimons imaginer que tu ne t'es pas encore
défini.e et que toujours, tu exploreras ce qui te rend heureux.e.
Oui,
tu peux explorer ta sexualité. Tu peux aussi nous en parler, je te promets de
faire en sorte que ce ne soit pas trop étrange comme discussion. Ce sera une
discussion franche, peu directive et durant laquelle il sera important de nous
ramener à ça : que veux-tu, toi ? Il n'est pas important de t'étiqueter,
il n'est pas plus important de te pousser vers un chemin que nous désirons pour
toi (ta maman et moi t'accepterons sans souci si tu nous dis être un homme
cisgenre hétérosexuel). Je te promets aussi que durant cette discussion, je te
ramènerai à ceci : que veux-tu en dehors de la sexualité ?
Tu
vois, Romy*, la vie repose énormément sur la sexualité et les tragédies.
Ensembles ou séparés. On nous fait croire qu'on devrait toujours vouloir, toujours
y penser, toujours être actif.ve et l'être à partir de tôt, mais la réalité
c'est que les balises de la sexualité nous reviennent à nous et à notre (nos)
partenaire (s) uniquement. En plus, ce ne sont vraiment PAS les seules balises
sur lesquelles notre vie devrait être basée.
Bien
que la sexualité s'impose comme un aspect dominant de notre sexualité, nous ne
sommes pas que ça. Nous pouvons être axé.es sur notre carrière, être parents,
être artistes et manuels, être acif.ves ou plus passif.ves, être ambitieux.e ou
se contenter d'un minimum qui nous est suffisant. J'ai appris un peu tard que
mon identité ne peut reposer sur un concept, une personne, un enjeu social. Il
ne peut pas, non plus, reposer sur l'alimentation constante de mon égo. D'où mon
statut d'anonymat. Je te souhaite de découvrir toutes les couleurs de ton
spectre d'identité.
Comme
Mamie Caroline*, attarde-toi aux bonheurs de la vie
C'est
si facile de se décourager dans la vie et, je dois te le dire dès maintenant,
ta vie va être tellement difficile. Mais elle sera également magnifique,
enivrante. Comme nous décidons de te faire naître, on te promet d'être là pour
t'accompagner, te conseiller et te rattraper quand tu tomberas. On te promet de
te partager nos sagesses sans te donner l'impression que tu n'y connais rien.
On te promet de faire notre gros possible.
On
n'est toutefois pas dupes. Malgré nos efforts de te protéger des tragédies, tu
en vivras. Tu auras cette envie de broyer du noir, de te défouler ou d'arrêter
de faire des efforts. Après tout, si la vie est truffée de tragédies, à quoi
bon essayer. Concrètement, la vie est probablement à moitié souffrances et à
moitié bonheurs. La souffrance prend simplement plus d'espace dans notre cœur
et notre cerveau, c'est difficile de s'en détacher, c'est angoissant. La vie
est probablement moitié chances et injustices, moitié actions planifiées et
efforts. On peut le voir chez des personnes de communautés marginalisées qui,
sans aucune faute de leur part, ne peuvent atteindre certains niveaux réservés
pour les hommes blancs riches cis de notre monde. Ici, je parle de notre 1%,
pas des hommes blancs de tous les jours, alors haters, continuez de
respirer par le nez. Ces niveaux sont volontairement bloqués pour les
communautés marginalisées, pour couper leurs voix qui pourrait aider la société
à diviser plus équitablement les biens, les privilèges.
C'est
important de développer une aptitude à te recentrer sur le positif, sur ce qui
va bien dans ta vie et de toujours comprendre : tu as les outils pour
passer à travers tout, il faut simplement utiliser ta créativité. Si les outils
te manquent, alors maman et moi sommes là, ton entourage, tes ami.es, ton ou ta
partenaire de vie. Si elleux n'ont pas encore les outils, alors cette grande
tragédie dont tu as si peur finira probablement par te fournir les outils qui
te manquaient. J'ai tardé à comprendre cette notion, malgré l'insistance sur
près de 30 ans de Mamie Caroline*.
Romy,
nous avons si hâte de t'accueillir dans notre cocon. En attendant, on cultive
notre amour et on te prépare un nid douillet. Un nid douillet où tu n'auras pas
peur de t'exprimer comme tu es, queer ou non. Parce que tu auras fait
l'expérience d'un amour qui ne se souciera ni de la pression sociale ni de
celle de ton entourage et qui n'aura comme raison d'exister qu'une conviction
profonde de ta propre légitimité.
*Les
prénoms Romy et Caroline sont fictifs étant donné le souci d'anonymat mais
reflète l'existence de personnes réelles