Il y a fort longtemps, à la fin du 19e siècle, il y avait un petit chemin de fer qui reliait la ville de Portland dans l'État du Main et le village de Lime Ridge, autrefois appelé Limeville. On l'appelait le Main Central Railroad ou le plus souvent, le Raspberry Branch.
Pourquoi ce drôle de nom? Parce qu'au Québec, tout le long de ce chemin de fer, la forêt avait été complètement rasée au nom de la civilisation. Cet élément ligneux était utilisé dans les nombreuses manufactures de papier au sud de la frontière et pour chauffer les fours à chaux de Dudswell. Dans ces innombrables étendues de terre dénudée de leur verdure, y poussait donc une multitude de framboises (Raspberry) que les enfants des colons ramassaient et vendaient à l'ingénieur du train qui s'arrêtait un peu partout.
Eh bien oui, même à cette époque, on faisait travailler les enfants comme des esclaves! Quelle honte! Ainsi, des tonnes de ce délicieux petit fruit québécois prirent donc le chemin des États-Unis ou des petits villages du sud des Cantons de l'Est. De là, le nom de Raspberry Branch, la branche des framboises.
Mais revenons à notre histoire. Ainsi donc, chaque matin, un train partait de Portland à 8h45 et arrivait à Lime Ridge à la tombée du jour, après avoir parcouru une distance de 109 milles. Un jour, il n'y avait pas seulement des framboises à bord des wagons. Ils y avaient également trois beaux filous ou si vous préférez, trois voleurs de banque américains.
Peu de temps après avoir traversé la très jolie pond couvert (photo ci-haut), érigé sur la rivière Saint-François , donc, juste avant d'arriver à la gare de Dudswell Jonction, reconnue comme étant la plus belle de tout le Canada, les malfaiteurs sautèrent du train avec leur butin. Réaction fort normale, puisqu'ils craignaient que les autorités de Dudswell Jonction, averties par télégraphe, leur mettent la main au collet.
Avant de se fondre incognito dans la population de Bishop's Crossing , ils décidèrent qu'il serait plus prudent de se débarrasser de leur sac plein de beaux billets. Il fallait donc le cacher quelque part, où personne ne risquait de le découvrir, quitte à le récupérer plus tard. Ils avisèrent donc une grosse souche dans le champ de Philémon, un morceau de terre en cours d'"essouchage" près du chemin Hooker.
Qu'est-il advenu de ces trois nouveaux richards? On ne le saura jamais. Toujours est-il qu'ils ne récupérèrent pas leur fortune. En tous cas, pas dans l'immédiat.
Philémon, pour sa part, était très pressé de mettre son lopin de terre en culture. Ainsi, tous les beaux jours que le bon Dieu permettait, il était sur le terrain employé à le nettoyer, avec l'aide de sa vieille.
- Bout de siarge, sa femme, j'sé pas comment j'va faire pour m'débarrasser de s'te souche, là "labâ". Sé par arrachable ça!
Exténuée par son dur labeur, la généreuse épouse se redressa péniblement en essuyant son front couvert de sueur, et répondit:
- Pauvre vieux, nous n'avons qu'à empiler toutes les "branchailles", les "hâbes" et les autres cochonneries sur ta formeuse souche. Plus tard on sacrera le feu dans.
- Sé ben d'adon sa vieille, répondit Philémon.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Très vit, la vénérable souche disparue sous un amoncellement de détritus de toutes sortes. Puis plus tard, beaucoup plus tard, le brave colon y mit le feu.
- Tu vas voir la femme, il ne restera pas grand-chose de s'te maudite souche du diable.»
Le feu se chargea bien d'elle! Et bien d'autres choses aussi. La fumée noire s'éleva très haut dans le ciel et bientôt l'homme et sa femme virent "virevolter" une multitude de petits morceaux de papier.
C'est ainsi que s'envola en fumée le trésor de Philémon!