Comprendre.
Approfondir. Dépasser les généralités et les slogans. Tel est un des objectifs
de ces chroniques. Pas facile car les réalités sont complexes et les ordres de
grandeur dépassent souvent l'entendement. Ici, j'essaierai de définir le
concept et les exigences de ce qui est au cœur de toutes les promesses de nos
gouvernements, la carboneutralité.
Qu'est-ce
que la carboneutralité ?
La carboneutralité est l'objectif à atteindre,
pour 2050, si l'on veut restreindre le réchauffement du climat à 1,5 ℃,
objectif fixé par le Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC)
de l'ONU et accepté par 194 pays lors de l'Accord de Paris en 2015.
Dans Le
tic-tac de l'horloge climatique, Christian de Perthuis la définit ainsi : «
ramener les rejets de gaz à effet de serre résiduels au niveau des capacités
d'absorption des deux puits de carbone océanique et terrestre, éventuellement
renforcés par l'appoint de techniques industrielles de captage et de stockage ».
La carboneutralité
repose sur deux piliers :
a)
reconstruire
le système énergétique et industriel pour qu'il fonctionne sans émettre de CO2 ;
b)
organiser
les ressources agricoles et forestières pour protéger les puits de carbone
terrestre et réduire les émissions de GES, autres que le CO2.
Visualisons
L'on sait
que les GES sont constitués principalement du dioxyde de carbone (CO2),
du méthane (CH4) et du protoxyde d'azote (N20). Le CO2
provient principalement des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) alors
que le méthane et le protoxyde d'azote découlent des pratiques d'agriculture et
d'élevage et de la gestion des déchets organiques.
Concrètement,
pour les 3 années comprises entre 2015 et 2017, les émissions de GES au niveau
mondial ont totalisé en moyenne 52 milliards de tonnes d'équivalent C02
par année (Gt/an). De ce total, la combustion d'énergies fossiles a compté pour
38 Gt/an, soit 70 %, les pratiques d'agriculture et de foresterie et les
déchets pour 11 Gt/an, soit 22 %, le reste provenant des processus de
fabrication.
Comment
atteindre la carboneutralité ?
Nous avons
deux transitions à opérer à l'échelle internationale afin d'atteindre notre
objectif de la carboneutralité : la transition énergétique et la
transition agroécologique.
La transition
énergétique consiste à remplacer les énergies fossiles par les énergies
renouvelables afin de réduire radicalement les rejets de CO2
provenant de la combustion des énergies fossiles et par l'adoption de nouvelles
pratiques de production.
Pendant
deux siècles, nous avons empilé les énergies fossiles au gré de nos
découvertes. Le charbon fut la première utilisée, puis vint le pétrole et enfin
le gaz. On parle d'empilement car l'une n'a pas remplacé l'autre, elles se sont
accumulées. Et les émissions de GES tout autant, provoquant le réchauffement du
climat.
La transition
agroforestière consiste à nourrir l'humanité tout en réduisant radicalement
l'engrais azoté, à changer les pratiques d'agriculture et d'élevage, à diminuer
l'alimentation en produits carnés, à sauver nos forêts mais aussi à en
multiplier la superficie, à préserver la biodiversité, etc. En fait, à retourner
aux principes de base de l'évolution de la nature.
Les
puits naturels de captage de CO2
S'il faut
réduire les émissions par le remplacement des énergies fossiles, il faut,
simultanément, redonner aux puits de carbone, que sont les terres émergées et
les océans, leur capacité naturelle de captage de C02.
L'opération
devra s'effectuer à deux niveaux. D'abord, désengorger les puits de l'excédent
de CO2 puis, restaurer les conditions optimales de captage. En effet,
ils ne réussissent même plus à absorber toute la quantité de CO2 émise,
ils en sont sursaturés et en émettent à leur tour.
Les océans
sont des puits naturels très efficaces pour capter le CO2 de
l'atmosphère. Leur capacité d'absorption est conditionnée par la présence des
algues qui, à l'instar des autres végétaux, capturent le carbone via la
photosynthèse et permettent sa lente descente vers les fonds marins où le gaz
se transforme en sédiments.
Des études
récentes évaluent à 33 % la capacité d'absorption de CO2 émis dans
l'atmosphère par les océans, cette capacité était auparavant évaluée à 25 %.
Faut-il s'en réjouir ? À première vue, oui, mais c'est sans considérer qu'une
trop grande quantité de CO2 entraine l'acidification des océans qui
affecte, à son tour, la faune et la flore marine jusqu'à 1 000 mètres de
profondeur.
Jusqu'à ce
jour, on a surtout considéré l'océan comme un garde-manger infini par la
pratique de la sur-pêche et comme mega-poubelle, pour le plastique entre autres.
Le sous-sol
et la végétation terrestre constituent l'autre puits naturel de carbon. À
travers ce même processus de photosynthèse, les plantes, particulièrement les
arbres, captent le CO2 de l'atmosphère et le stockent dans la plante
ou dans le sol. L'on comprendra que les grandes forêts dont celles d'Amazonie
ou d'Afrique mais aussi la forêt boréale du Québec sont des écosystèmes à
préserver à tout prix.
Au niveau
de l'agriculture, l'utilisation de produits chimiques (engrais, pesticides)
détruit la vie des sols, provoque des fuites de CO2 dans
l'atmosphère et limitent la capacité du sol à le stocker.
Les
techniques industrielles de captation et de stockage (CSC)
Selon le
GIEC, il est probable que toutes ces mesures soient insuffisantes pour
atteindre la carboneutralité, c'est pourquoi il considère la pratique de
captage et stockage de carbone (CSC) à titre complémentaire.
Il s'agit
alors de capter les molécules de carbone à la source, soit avant ou après la
combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), afin d'éviter leur
libération dans l'atmosphère. Une fois capté, le gaz est transporté par
pipeline, bateau ou camion afin de l'emmagasiner dans des formations
géologiques ou aquifères profondes permettant leur séquestration pour plusieurs
siècles, voire des millénaires.
Dans ses
scénarios optimistes, l'Agence internationale de l'énergie estime une capacité
d'enfouissement de plus de 2 milliards de tonnes de CO2 grâce au
stockage géologique.
Qu'en
est-il du méthane et du protoxyde d'azote ?
Afin
d'atteindre et de maintenir la carboneutralité, les puits doivent absorber la
quantité de CO2 que les activités humaines rejettent dans
l'atmosphère de même que les gaz non CO2, à savoir le méthane et le
protoxyde d'azote. Ces derniers sont responsables de 22 % des émissions de GES.
Dans le
cas du méthane, ses émissions sont principalement dues à l'élevage intensif des
ruminants, à la façon dont ils sont nourris et à la gestion de leurs déjections.
Il faut ajouter le traitement de nos déchets organiques, lesquels sont aussi émetteurs
de GES. On ne pourra pas s'en sortir sans reconsidérer notre habitude de
consommer des produits carnés et les éleveurs devront modifier les techniques
d'élevage et de nourriture du bétail.
Pour sa
part, le protoxyde d'azote est rejeté dans l'atmosphère suite à l'utilisation intensive
des engrais azotés, chimiques ou organiques et de certains procédés de
l'industrie chimique. Avec son facteur de réchauffement global du climat, 265
fois plus grand que le CO2, le protoxyde d'azote contribue pour 6 %
du forçage radiatif mondial.
Un
calendrier serré
Le GIEC nous
situe dans un calendrier très serré pour parvenir à la carboneutralité. Il nous
avise que pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 ℃, il faudra l'atteindre
d'ici 2050. Si nous tergiversons jusqu'en 2070, par exemple, le réchauffement avoisinera
les 2 ℃ avec des conséquences amplifiées dont certaines irréversibles.