L'histoire de la police dans le canton de Dudswell
peut être divisée en deux grandes périodes: des origines à 1855 durant laquelle
on ne peut pas vraiment parler de police et celle de 1855 à 1960 pendant
laquelle on retrouve des traces de l'existence d'une police municipale.
De 1800 à 1855
Durant toute cette période, à Dudswell, la loi et
l'ordre étaient assurés par la milice locale, comme c'était le cas dans tous
les autres cantons habités. Chaque milice, dirigée par un capitaine, relevait
de la milice des Cantons de l'Est organisée en 1805 par sir John Johnson. Jesse
Pennoyer y avait été nommé Capitaine, celui-là même qui en cette année, avait
présenté au gouvernement du Bas Canada, le tracé d'un chemin menant du canton
d'Hereford à la ville de Lévis (Québec) en passant par Dudswell. Ce chemin, à
l'origine très rudimentaire deviendra en 1837, le chemin Gosford
La formation de ces milices
visait à rassembler, dans nos cantons peuplés d'Américains, « des noyaux
de fidèles à la Couronne britannique. Ces milices devaient également assurer un
certain contrôle sur le territoire et sa population. Les miliciens et leurs
officiers, tous des colons âgés de 18 à 60 ans, n'étaient pas rémunérés. Mais
ils étaient, en tant que tel, porteurs des ordres et des règlements du
gouvernement du Bas-Canada et du roi ou de la reine ». Cet honneur était
leur récompense et leur salaire.
La milice de Dudswell fut
alertée à plusieurs reprises tout au long de son histoire. Au début de la guerre de 1812, Jesse
Pennoyer, nommé commandant du 5e bataillon de la milice des Cantons
de l'Est, écrivit à Amos Bishop (le fils de John), capitaine de milice de
Dudswell, lui demandant de lui envoyer des miliciens. Mais il semble qu'Amos et
les colons n'étaient pas très empressés à l'idée d'envoyer leurs boys à
Laprairie, où le gros de l'armée des Cantons de l'Est était cantonné. Ils
étaient beaucoup plus intéressés à défendre leurs champs sur place. Une autre
raison expliquant ce refus était le fait qu'ils étaient des républicains qui
n'étaient pas "chaud" à l'idée de combattre au côté des Britanniques
et des loyalistes.
Lors des rébellions de 1837-38, les milices des
Cantons de l'Est, qui pour la plupart, avaient cessé ou relâché leur
entraînement militaire, furent entièrement réorganisées. En effet, les patriotes
(les Frères Chasseurs) qui s'étaient réfugiés au sud de la frontière, s'étaient
armés avec l'aide tacite des Américains, et menaçaient d'envahir le Bas-Canada.
Il y eut des combats près de la frontière entre les États-Unis et les Cantons
de l'Est, dans la région du lac Champlain, donc très loin de Dudswell.
Il y eut également les tentatives d'invasions des
Fenians. En 1866, ils lancèrent une série de raids sur le territoire canadien à
partir des États Unis. L'un d'eux se déroula à Pigeon Hill à la frontière entre
le Québec et le Vermont. En 1870, un
autre raid se déroula à Eccles Hill près de Pigeon Hill. Lors de ces deux
attaquent, ils pillèrent les fermes et terrorisèrent les populations, mais ils
furent finalement repoussés au sud de la frontière par les miliciens.
Heureusement, ces différents envahisseurs
n'attaquèrent jamais notre région, beaucoup trop éloignée de la frontière et
beaucoup trop isolée. Il suffit de rappeler que tous les cantons entourant
celui de Dudswell n'étaient pas encore peuplés. Ils le furent à partir de 1833
après l'arrivée de la British American Land Company, créée à Londres en 1832.
La loi et l'ordre dans le canton
En temps de paix, c'était la milice, le capitaine en
tête, qui faisait, seule, régner la loi et l'ordre dans la petite communauté de
Dudswell, et cela jusqu'aux environs de 1823. En cette année-là, le district
judiciaire Saint-François fut établi à Sherbrooke, avec juridiction civile dans
les causes de moins de 80 dollars et juridiction criminelle de la Cour des
sessions générales de la paix. John Fletcher en était le juge responsable.
Notre milice pouvait dès lors faire appel, pour les dossiers criminels, aux policiers
enquêteurs, aux avocats et aux juges basés à Sherbrooke.
Il est vrai que les crimes, dans une petite communauté
telle que Dudswell, littéralement entourée de forêts vierges, étaient plutôt
rares. Ici, on était très éloigné des grands centres tel que Montréal, Québec
et Trois Rivières, très éloigné par le fait même de l'argent, des bandits,
ivrognes, violeurs et voleurs. Dans une pauvre colonie où le troc était roi et
maître, où la circulation d'argent était presque inexistante, les seuls crimes
possibles, étaient tantôt une "chicane de clôture", tantôt un cas
d'ivrognerie ou une bataille entre voisins. Ces cas-là étaient donc réglés
localement, d'autant plus que Dudswell était habité exclusivement d'Américains
patriotes qui étaient habitués, en Nouvelle-Angleterre, de choisir localement
leurs officiers de justice, et qui n'étaient pas très enclins à faire appelle à
des tribunaux britanniques lointains et presque inaccessibles dû au manque de
route.
Pendant cette période, la population de Dudswell a varié
de 90 âmes (tous américains) à 460 âmes, dont environ 15 canadiens-français.
De 1855 à 1960 environ
Avec l'avènement des municipalités en 1855, c'est le
conseil, le maire en tête, qui remplaça la milice dans l'administration de la
justice. La municipalité de Dudswell prenait en charge les délits, les plaintes
ou les poursuites comme en témoigne la lecture des minutes des réunions de ce
conseil. Dans le canton, il y avait un juge de paix, un coronaire qui était le
médecin résident et un comité de police « qui avait pour mandat de tenir une
enquête concernant toutes plaintes qui pourraient être déposées contre des
personnes...». Par exemple, dans un cas d'accident, un membre du comité de police
faisait enquête et s'il y avait matière à poursuite, le cas était soumis au
coronaire et au juge de paix qui rendait la justice. Dans les cas sérieux, on
pouvait faire appel à des avocats de Sherbrooke ou de Danville après la
construction du chemin de Saint Camille en 1867. Ce comité de police, formé de
conseillers, relevait du maire de la municipalité.
À cette époque, il n'y avait pas de policier nommé
d'office dans la municipalité de Dudswell.
Au besoin, on déléguait un membre du conseil pour les actions
policières. Par exemple, à une session spéciale tenue le 6 juin 1896 à
Marbleton: « le conseiller John Baptiste
Nadeau est sollicité par le conseil pour se rendre au canton de Weedon et qu'il
tente de retracer, si possible, le nom de la personne ou des personnes qui ont
voyagé par la grand-route menant de Marbleton au canton de Weedon le 23 mars
dernier. Pendant leur passage près de la
manufacture de fromage sur le lot no 21 du 6e rang, ils auraient
rencontré deux demoiselles se rendant au village, auraient renversé leur
voiture (sleigh), et permis à leurs chevaux de se sauver. » Nous ne connaissons
pas la suite de cet événement. On peut penser que si les responsables ont été
retracés, ils ont dû comparaître devant le juge de paix qui les a probablement
condamnés à payer les dépenses et une "petite amende".
Dans une réunion du conseil de Marbleton, tenue le 13
mai 1896, il est question d'une poursuite contre la municipalité de Marbleton:
«Après avoir pris connaissance d'un avis de Me O'Bready de Danville, P.Q.,
concernant une certaine action prise par Louis Hébert du canton de Dudswell
contre H. Thompson de Ham-Sud, afin de recouvrir la valeur d'un cheval tué
accidentellement à l'intérieur des limites de la municipalité, la corporation
doit comparaître comme codéfenseur. Le
conseil est d'avis que la corporation ne peut être tenue d'aucune façon
responsable de la mort dudit cheval et que, ainsi, le secrétaire-trésorier est
autorisé à mettre l'affaire entre les mains d'une firme d'avocats de la ville
de Sherbrooke.» À une autre réunion tenue
le mois suivant, il est proposé: «de débloquer 5,00 $ pour défrayer les dépenses occasionnées par l'action de Louis
Hébert. On ne dit pas comment l'affaire s'est terminée.
Le 3 septembre 1901, le conseil
de Marbleton prend connaissance d'une «pétition soumise par "The Women's
Christian's Temperance Union" concernant la fermeture des bars dans les
hôtels, le jour de l'exposition, soit le 18 septembre 1901.» La pétition est remise au comité de police
qui aura pouvoir d'agir.
En 1908, le conseil de Marbleton
demande «que le comité de police se charge d'envoyer quatre policiers (nommés
temporairement pour l'occasion), la journée de la foire du 15 septembre.»
Le 2 mai 1927, à une session
régulière du conseil de la municipalité de Marbleton, tenue à l'Hôtel de Ville,
« il est proposé par Cyril Ernest Weyland et secondé par Amédée Lemelin, que
les conseillers Austin William Bishop et Arthur Brousseau prennent connaissance
d'une sleigh en réparation chez Mr. Duplessis appartenant à M. Edmond Robert,
lequel réclame au conseil un certain dommage causé par l'état des chemins
lorsqu'il versa le 8 février 1927. » Le mois suivant, le conseil « accorde à M.
Robert en remboursement d'une réclamation pour une sleigh brisée au cours de
l'hiver dernier dans le chemin de la corporation la somme de $12.50. »
Le conseil municipal de
Marbleton était également responsable de la délivrance des permis de boisson et
du bon ordre dans les hôtels de la place. En accord avec l'article 165 de la
loi sur les permis du Québec, le comité de police de la municipalité avait le
mandat de tenir une enquête concernant toutes plaintes qui pourraient être
déposées contre des personnes possédant un permis sous la supervision de la loi
des permis du Québec The Quebec License
Law, à l'intérieur des limites de la municipalité et de poursuivre au nom
de la corporation toute personne ayant agi en contradiction avec la loi.
Policiers
Le 3 septembre 1912, le conseil municipal de Marbleton
nomme un premier policier permanent en la personne de M. Fred Monfette. Il sera confirmé à ce poste en 1928.
Dans la municipalité de Bishopton, les derniers
policiers en poste furent M. François Belisle au début des années 1950 et Keith
Vintinner, le dernier. À Marbleton il y eut comme policiers, Georges Monfette,
Raphaël Lemelin et Gédéon Boucher. À ma connaissance, le dernier juge de paix pour Bishopton fut le
marchand Bernard Guérin.
Étant donné la perte inestimable
des minutes des réunions des municipalités de Bishopton et de Dudswell, nous
avons perdu l'histoire policière de ces deux arrondissements. Toutefois, nous
pouvons penser que la justice était menée de la même façon que dans la
municipalité de Marbleton. Les conseillers, les policiers, les juges de paix et
les coronaires de Marbleton, de Dudswell et Bishopton avaient les mêmes devoirs
et les mêmes pouvoirs. Ce sont eux qui procédaient aux arrestations des
contrevenants. Ce sont également l'un d'eux qui, dans les cas graves,
conduisaient les criminels à Sherbrooke pour leur procès et pour y subir leur
peine d'emprisonnement.
Ces policiers étaient vêtus d'un
uniforme de policier et armés d'un pistolet, d'une garcette et de menotte.
Cellule
Étant donné que les livres des
minutes de la Municipalité de Dudswell ont été détruits dans un incendie en
septembre 1945, on ne peut pas affirmer avec certitude si la municipalité de
Dudswell a déjà eu une prison (une cellule). Probablement que oui, et cela très
peu de temps après la formation de la municipalité en 1855, car dans le cas de
Marbleton, le conseil demande en 1899, donc trois ans après sa formation, « qu'une cellule fiable soit aménagée à
l'hôtel de ville afin d'y incarcérer temporairement des gens mis en état
d'arrêt ». Deux mois plus tard, les conseillers votent
un montant de $1.50 « pour la main d'œuvre et matériel afin de construire cette
cellule.»
Cette cellule a-t-elle déjà servi? Sûrement, car on
condamnait à la "cellule" toutes personnes qui ne pouvait pas payer
une amande pour une offense quelconque. Par exemple, en 1907, le conseil de
Marbleton adopte un règlement qui fixe et détermine les heures dans lesquelles la vente des boissons fortes dans les bars de
la municipalité sera permise. À la section III de ce règlement, l'on mentionne:
«Toute personne contrevenant à cette loi se verra imposer une amende n'excédant
pas 50,00 $ pour chaque offense et, si le paiement ne se fait pas, la personne
sera passible d'une peine d'emprisonnement n'excédant pas trois mois ».
Dans les cas graves, on
enfermait les contrevenants dans cette cellule en attendant leur transfert à
Sherbrooke pour un éventuel procès ou pour une longue période d'emprisonnement.
Les cas graves
Oui, malheureusement, il y a eu
des cas graves, des suicides et aussi des meurtres. Toutefois, ces événements
tragiques n'ont pas été étalés au grand jour.
Malgré tout, certains ont été publiés dans les journaux du temps.
Par exemple, dans le Sherbrooke News du 22 juillet 1875
nous pouvons lire ce qui suit: « Andrew Gunter (nom fictif), âgé d'environ 40
ans, résidant dans le canton de Dudswell, a fait une tentative de suicide, en
s'ouvrant la gorge et en s'infligeant deux larges entailles dans la poitrine
avec un couteau de boucherie. Il est présentement dans un état grave et sa vie
est en danger. Il est le frère d'un autre Gunter qui se suicida, il y a un ou
deux ans. Évidemment, il semble qu'il y a une grave tendance au suicide dans
cette malheureuse famille. » (Traduction libre)
Il y a également eu des meurtres. Qu'il suffise de
mentionner le cas d'une dame née à Dudswell Corner, qui dans les années 1940,
aurait empoisonné son mari. Évidemment, ce sont des enquêteurs de Sherbrooke
qui ont pris les choses en main. Lors de ses deux premiers procès, la dame fut
reconnue coupable et condamnée à être pendue. Toutefois, à un troisième procès,
elle fut acquittée. Des mauvaises langues ont rapporté par la suite, qu'elle
entretenait des relations amoureuses avec son avocat.
Ce
n'est qu'à la fin des années 1970, que les municipalités du canton, Marbleton,
Bishopton et Dudswell, décidèrent de se défaire de leurs policiers. C'est la
police provinciale qui prit la relève.
Pendant cette dernière
période, la population de Dudswell n'a pas dépassé plus de 1 200 habitants.