Il fallait bien que ça arrive un jour. Le goût de partir. Le goût du risque, du nouveau et d'un cocon bien à nous. Le goût de quitter le nid familial. Le secondaire sonne déjà comme du passé, l'été nous fait déjà décrocher. Le cégep nous appelle mais pas trop vite, on prend ça relaxe encore.
Ce n'est pas tout le monde qui est prêt; on est bien chez maman, papa. On est bien quand on ne paye ni loyer, ni nourriture, sans oublier les factures d'électricité et d'eau chaude. On est beaucoup trop bien, mais on commence à être plus vieux et manquer d'espace. On prend plus de place parce qu'on se connaît mieux. On a appris à devenir quelqu'un à travers ces quelques années dans un corps d'adolescent pas trop stable. Oui on devient des adultes. On est encore jeunes, mais on veut partir.
On travaille, on met de l'argent de côté et on garde le secret qui nous pend aux lèvres. Mais pas tout de suite, on ne parlera pas de ce projet avant qu'on soit prêt et que ça devienne quelque chose de concret. Pour l'instant, l'idée flotte dans nos têtes déjà pleines de plans pour l'avenir. On parcourt Internet à la recherche d'un petit coin convenable, un petit coin bien à nous. Pas trop cher, pas trop laid, pas trop loin de tout et pas trop prêt en même temps. On prend tout ça à la légère pour le moment, mais on a tout de même l'intention de prendre éventuellement les choses plus au sérieux.
Ça fait peur de se lancer dans le vide. C'est un grand pas à franchir dans une vie, le départ. Par contre, l'idée de partir n'a jamais été aussi bien dessinée devant nos yeux qu'elle ne l'a été et peu à peu le croquis devient une œuvre d'art. Maman, papa on veut décoller. Maman, papa, je ne demande pas de permission cette fois, on va partir d'un jour à l'autre. Maman, papa, ce n'est pas la pire décision comme vous dites, ne vous en faites pas. Ne vous inquiétez surtout pas.
On veut prendre nos vies en mains et avoir le contrôle d'un nouveau petit nid de famille qui sera le nôtre. Matelas, vaisselles, électroménagers, serviettes, produits, nourriture, vêtements, câble, décoration. Tout ça n'arrête pas de trotter dans nos petites machines de cervelle.
D'autres préférerons un tour du monde bien mieux qu'un tour de quartier, une pause sur le bord de la mer bien mieux qu'une pause sur le petit balcon dernière un bloc appartements. D'autres préférerons les grands hôtels et le service aux chambres bien mieux qu'un petit deux et demi avec déjeuner au lit. Mais on préfère partir avec deux toasts au beurre d'arachides et de confiture le matin, puis voyager plus tard, que de ne pas se créer notre propre zone de confort maintenant.
Pour l'instant ce qu'on a envie de faire, ce qu'on a envie de vivre, c'est nous, ensemble, dans un monde nouveau. Un monde de grandes personnes. Avec l'espace nécessaire. Avec le temps qui ne presse pas tant que ça, mais avec tous nos désirs de fous et de folles, dans nos corps de jeunes adultes, on veut vivre maman, on veut vivre papa.