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  CHRONIQUEURS / La parole est aux ados!

À 4789 km


Il y a une montagne à Mexico. C'est à peine si je l'ai vue, des taudis tous pareils, plus pauvres les uns que les autres, dissimulaient la vue. Ma maison est plus grande que le dortoir dans lequel nous vivions. L'eau n'y est même pas potable.
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Photo : crédit photo: Alexis Jacques
Alexis Jacques Par Alexis Jacques
Dimanche le 22 mars 2020

J'ai découvert et vécu plus en dix jours et quatre douches que dans la dernière année.

Je me suis jeté dans l'inconnu le 27 février, 3h du matin. Je suis revenu le 7 mars, 10h du matin, avec un choc culturel dans ma propre ville. Je croyais connaître Sherbrooke du fond de ma poche en partant. J'ai dû chercher une boussole dans le fond de ma poche en arrivant.

Il y a une montagne à Mexico. C'est à peine si je l'ai vue, des taudis tous pareils, plus pauvres les uns que les autres, dissimulaient la vue. Ma maison est plus grande que le dortoir dans lequel nous vivions. L'eau n'y est même pas potable. Les vêtements qu'on leur donne chaque année sont les seuls vêtements qu'ils possèdent. L'air est pollué par le smog. Il y sévit une peur continuelle du COVID-19, tellement qu'on nous distribuait des masques de protection à l'aéroport.

Ils m'envient d'être blanc. Je les envie d'être heureux. On se fait dévisager en ville. On représente l'argent. On représente leurs vedettes, leurs mannequins. Ceux qu'ils regardent de loin sur les billboards. Ceux qui ont les moyens de prendre l'avion, d'atterrir chez eux. Ceux pour qui on leur a inculqué de respecter, d'idolâtrer.

Une partie de mon cœur est à Mexico, une partie de ma tête est à Mexico, une partie de mes cheveux que je me suis fait couper là-bas est à Mexico. Mon dentifrice, ma gourde, mon oreiller de voyage, ma casquette sont à Mexico.

Ces gens-là ont sonorisé des fibres dont j'ignorais totalement l'existence en moi. C'étaient sans doute les lieux les moins riches que j'ai eu la chance d'observer de ma vie. Pourtant, ce sont les lieux desquels j'en ressors le plus de richesse. Marco, un Mexicain, avait été laissé pour seul alors qu'il avait sept ans. Depuis, il est à un orphelinat et c'est tout bientôt que sa nouvelle famille l'adoptera officiellement. Entre-temps, il passe des fins de semaine çà et là avec elle. Par peur de l'abandon, d'un deuxième rejet imminent, il a préféré rester avec sa famille adoptive plutôt que de nous suivre à l'extérieur de la ville. Pour lui, rater 48 heures avec ses nouveaux parents, c'était rater sa chance à dégrossir une famille, à nouveau.

Un autre, Kevin de son prénom, te cajolait et te câlinait jusqu'à éclater en sanglots. C'est une personne taciturne qui dégageait néanmoins la plus grande des chaleurs lors des moments d'affection. Je ne sais pas quoi, mais le gars a subi des horreurs. Il semble terrorisé. Le regarder suffit à se demander de quelle sorte d'instrument de la peur on lui a joué, pour que la musique déraille autant. Et pour que l'harmonie divague autant. Il y avait quelque chose dans son iris. Qui était douloureux.

Tout ce que je sais, c'est que pour craquer les doigts de tout le monde et leur mordre le coude, il imite quelque chose qu'on le lui a fait littéralement.
Je me suis énormément rapproché d'un José. Lui, il exhalait quelque chose de différent. Une énergie propre à lui. Il sait parler anglais, il sourit davantage que ses compères, il pétille. Son meilleur ami est mort.

C'est seulement lorsque je le dédouane de cette information que je remets en question la définition de la résilience que je m'étais faite jusqu'alors.

J'ai souvent dit « adieu » dans ma vie. Des fois je n'ai fait que le penser, évaluant le risque à faible que je rencontre une deuxième fois la femme devant moi dans la queue ou mon voisin dans l'autobus de ville. D'autres fois, c'était sincère. À telle ou telle personne croisée par le plus fortuit des hasards mais avec qui j'ai conversé, échangé, sans la revoir par après. Même à ma grand-mère décédée. Le sens que prend le mot « adieu » est véridiquement quelque part. Après des centaines de prières et de moments de silence, j'ai compris ce que ça signifiait que de dire adieu. À Dieu. C'est fou, après m'être signé tant de fois en quelques jours, j'ai pris conscience que je le propageais mal ; je ne remettais pas les soins de quelqu'un entre les mains d'une force, quelle qu'elle soit. Je faisais partir l'expression au vent de la banalité. Je disais « adieu » sans magie aucune, les mots avaient le temps de s'essouffler avant que l'autre les reçoive. Depuis les colonnes orange des Chavos de Don Bosco, j'ai dit « adieu » pour une première fois.

Dans l'indélébilité des liens générés, tu pleures, tu peines à respirer normalement, Alexis. Tu apposes ta main contre la fenêtre de l'autobus en direction de l'aéroport. Un jeune, qui retournera vaquer à ses occupations tristes avec sa famille triste dans sa vie triste, met sa main contre la tienne. Tu regardes ses yeux. Tu ne reverras plus jamais ces yeux. L'autobus part.

Tu le laisses dans la platitude de son vécu anonyme, en ayant parvenu, au final, d'élucider comment on peut ébaucher un sourire malgré tout, toi assurément grandi de tout ça.

Incapable de me doucher pendant près des 36 heures subséquentes au retour. On dirait que je désirais demeurer empreint du goût du parfum d'ailleurs. J'avais une odeur différente, un cocktail de sueur, de crème solaire et de tortillas. Tous mes souvenirs et ma nouvelle vie étaient confinés dans une valise de 10 kg. On a dû la défaire à ma place, j'aurais pleuré si je devais ranger son contenu quintessencié.

Ce qui m'habite est particulier, je ne me suis jamais senti tant chez moi à 4 789 km de mon chez-moi. J'ai réussi à atteindre le cœur de plusieurs jeunes que par le jeu et les gestes, ayant une barrière de la langue dont l'importance s'est effacée dès les premiers pas franchis à l'institut.

Si mes bagages sont plus lourds, mon bagage l'est également.

 


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