J'ai toujours évité d'écrire sur le bonheur. Peut-être parce que je ne le maîtrise pas fondamentalement, peut-être parce que je juge épineux de parler ouvertement d'un tel centre d'intérêt ou peut-être parce qu'il n'y a tout simplement rien à dire sur le sujet.
Avec du recul, je réalise que le bonheur est un art. À l'instar de la peinture, on doit l'apprivoiser par essai-erreur et trouver son médium parmi tant d'autres pour qu'au final en résulte un coloris pas toujours heureux. Mais une toile discordante reste plus belle qu'une toile vierge, non ? Oui, répondront assurément les esthètes, car les plus fabuleux chefs-d'œuvre de l'art, tous styles et époques confondus, sont les plus audacieux, les plus tumultueux.
Alors votre bonheur, oui, oui, le vôtre, dans toute son audace et tumulte, est un véritable chef-d'œuvre.
Bien évidemment, tout peintre digne de ce nom ne cessera jamais de parfaire son œuvre, à ajouter un peu d'abricot à une toile trop monochrome ou à travailler de sa gouge sa sculpture de marbre. Dans ce sens, soyez un artiste avec votre bonheur et osez le remanier lorsque le changement s'imposera. Ainsi, je vous souhaite d'intensifier votre vie à coups d'abricot et de l'affiner à l'aide d'une gouge de tout ce qui est malsain ou superflu, en vertu d'atteindre l'extase. Par-dessus tout, je souhaite votre toile de bonheur mouchetée d'amour-propre ; sans lui, vous ne réaliserez jamais qu'il n'y a pas que votre bonheur qui est une œuvre d'art, mais vous aussi.
A fortiori en ce temps des Fêtes où, entre deux cadeaux suremballés ou deux gorgées de champagne, une carte de souhaits d'une lointaine tante de Victoriaville évoque le bonheur pour la prochaine année, sans le penser réellement. C'est précisément à ce moment que l'on devrait se demander pourquoi la gaieté est banalisée, écrite mille fois dans autant de cartes qu'on en vient à ne plus trop se préoccuper ou, dans les meilleurs jours, se rappeler la définition du mot « bonheur ».
C'est un « état de complète satisfaction », des « joies et plaisirs liés à une circonstance », selon le Larousse. Simple rappel pour toutes les tantes victoriavilloises vieux jeu de ce monde.
Sur ce, je vous souhaite en 2019 de l'amour, de la santé et de la paix, certes, mais aussi des petites et grandes fiertés, des petites et grandes douceurs, de magnifiques après-ski entre amis, d'interminables soirées estivales, des films rétro, un sourire plus large, des pleurs moins fréquents, des yeux plus émerveillés, un cœur moins ébranlé. Tout ça, avec votre canevas de bonheur coloré, parfaitement imparfait, un peu impressionniste, largement impressionnant.
Alexis Jacques, La parole est aux ados