Vous êtes propriétaire d'un bateau et vous entreposez ce dernier durant les périodes où vous ne l'utilisez pas. Cet entrepôt est dirigé par une entreprise qui vend également des bateaux et doit à l'Agence du Revenu du Québec un important montant d'argent suite à un jugement rendu pour une dette fiscale. L'Agence fait émettre un bref de saisie afin de faire exécuter son jugement par un huissier. Ce dernier procède à la saisie à deux endroits, soit au domicile du dirigeant de la compagnie qui est également le siège social de la compagnie et à la résidence du père du dirigeant. Votre bateau est saisi au lieu du siège social.
Le jour fixé pour la vente et pas avant, vous apprenez que votre bateau a été saisi et qu'il sera vendu dans les minutes qui suivent. Vous vous présentez sur les lieux cependant vous arrivez trop tard. Votre bateau est vendu pour la somme de 6 430$ alors qu'il vaut plus de 20 000$ à un acheteur qui se spécialise dans l'achat de biens vendus par huissier ou achetés dans des faillites. Suite aux évènements, vous mettez en demeure l'Agence et l'acheteur dans le but d'annuler la vente de votre bateau.
Il faut ici savoir qu'il existe ici deux principes de droit qui s'opposent. C'est l'article 1714 du C.C.Q, qui l'exprime comme suit:
« Le véritable propriétaire peut demander la nullité de la vente et revendiquer contre l'acheteur le bien vendu, à moins que la vente n'ait eu lieu sous contrôle de la justice... »
La prémisse à l'application de cet article demeure cependant la validité de la saisie qui a été pratiquée. C'est ainsi que le Code de procédure civil déclare art 702 C.p.c. :
« ... Il (le céancier) peut faire saisir les biens meubles du débiteur qui sont à la possession de ce dernier ou ceux que lui-même ou un tiers détient... »
et l'article 928 du C.C. Q. affirme :
« Le possesseur est présumé titulaire du droit réel qu'il exerce. C'est à celui qui conteste cette qualité à prouver son droit et, le cas échéant l'absence de titre...»
Avant la réforme du Code de procédure civil entrée en vigueur le 1er janvier 2016, l'article 612 affirmait :
« Aucune demande en nullité ou en résolution de la vente n'est recevable à l'encontre de l'adjudicataire qui a payé le prix, sauf le cas de fraude ou de collusion. »
Cet article n'a pas été reproduit mais, il a été remplacé par l'article 760 du C.p.c. qui se lit comme suit :
« ... Elle (la vente) peut être annulée à la demande du débiteur ou d'un créancier ... si la vente est entachée d'irrégularités graves qui ne pouvaient avec toute la diligence raisonnable, être soulevées préalablement à la vente. »
Il est donc possible de se poser la question à savoir si un propriétaire qui n'est évidemment pas le débiteur peut être considéré comme un créancier au sens de l'article 760 C.p.c.
Dans le dossier qui nous occupe, il faut aussi savoir que le débiteur et son représentant ont refusé de donner à l'huissier et aux représentants de l'Agence du Revenu du Québec votre nom comme propriétaire de bateau. Avez-vous un recours?
Les faits relatés ont été étudiés dans le dossier Agence de Revenu du Québec c. 9084-9985 Québec inc. et Brais et Legault et als par la Cour Supérieure du Québec.
Le juge, après avoir fait l'état du droit, analyse chacun des gestes posés par les différents intervenants qui sont impliqués dans le dossier.
Concernant l'Agence de Revenu et la firme d'huissier, il en vient à la conclusion que ces derniers n'ont commis aucune faute, qu'ils ont bien tenté d'obtenir le nom du propriétaire du bateau à plusieurs reprises, sans succès et qu'en conséquence ils n'ont commis aucune faute en vendant le bateau.
Il en va autrement du débiteur et de son représentant pour qui le Tribunal retient une faute puisqu'ils n'ont pas avisé les propriétaires, l'Agence et l'huissier dans le temps opportun.
Il retient également la responsabilité de l'acheteur du bateau lors de la vente en justice puisque ce dernier a refusé à son tour de divulguer le nom de son propre acheteur qui a acquis ledit bateau dans les heures qui ont suivi la vente en justice. En effet, puisque la saisie du bateau est invalide, Brais et Legault étaient du droit d'obtenir la nullité de la vente.
Il m'apparaît important de retenir que si vous laissez des biens importants en dépôt entre les mains d'un tiers, vous devez vous assurer que votre droit de propriété est bien reconnu par ce dépositaire et que ce dernier vous garantisse que vous serez avisés si jamais une saisie était pratiquée. Pour ce faire, vous devez vous assurer de la crédibilité et de l'honnêteté de celui qui reçoit vos biens.
Au plaisir
Me Michel Joncas
Fontaine Panneton Joncas Bourassa & Associés
Agence du revenu du Québec c. 9084-9985 Québec inc., 2017 QCCS 673