Jamais je
n'aurais cru ça possible! Quelqu'un m'en avait parlé plus au sud, à Tamale, au
Ghana, mais je ne m'imaginais pas que l'étang rempli de crocodiles en question
était si près des habitations ni que les gens partageaient littéralement ce
point d'eau avec ces créatures préhistoriques.
Paga est
situé totalement au nord du Ghana, près de Navrongo, à la frontière du Burkina
Faso. Mes deux partenaires de voyage et moi-même avons fait le trajet de
8 heures en autobus public depuis Wa dans le seul but de demeurer dans le
village de Paga et d'être confrontés à leur situation pour ensuite en avoir un
portrait plus réaliste. Ce fut tout sauf réaliste! Je vous explique.
Lorsque nous
sommes arrivés en fin d'après-midi à la petite gare routière sur terre battue
du village de Paga, en territoire Frafra, nous avons demandé à quelqu'un s'il y
avait un endroit où nous pouvions dormir. Un homme très aimable nous a embarqués
avec lui dans la boîte de sa camionnette pour nous montrer une maison
traditionnelle avec cour intérieure destinée à loger les quelques visiteurs
qu'ils reçoivent dans l'année.
Nous nous y
sommes installés après avoir négocié le prix. Quelle place magnifique à l'ombre
des grands arbres au cœur même de la savane dégarnie. Notre hôte nous a dit que
puisque nous demeurions chez sa famille, il se chargerait de trouver quelqu'un
pour nous faire visiter le village et l'étang aux crocodiles le lendemain. Nous
ne pouvions attendre pour constater le phénomène de cohabitation, mais nous
avons pris notre mal en patience et avons attendu que son cousin vienne nous
chercher le lendemain.
Notre nouvel
ami a débuté la visite en nous faisant acheter deux petits poulets vivants :
« Ça va nous servir plus tard... ». Puis, nous avons descendu vers
l'étang, duquel nous avons progressivement pris connaissance de la grande
quantité de têtes de reptiles qui sortaient de l'eau.
Ensuite,
j'ai réalisé que les habitantes du village lavaient leur vaisselle et leurs
vêtements sur les rives du même plan d'eau. Encore plus déconcertant, plusieurs
enfants se baignaient, jouaient et pataugeaient dans l'eau à quelques mètres seulement
des crocos.
Je lui ai demandé
s'il y avait souvent des incidents entre les humains et ces animaux, et il m'a
répondu qu'il n'avait jamais entendu parler d'attaques : « Ils font
confiance aux humains dont ils dépendent pour leur survie et leur instinct leur
dicte que la vraie menace provient des autres crocodiles. »
Ça fait plus
de 200 ans que la situation actuelle prévaut. C'est comme un pacte mutuel de
non-agression qui va beaucoup plus loin que ce qu'on y voit en surface.
Tenez-vous bien, le plus insolite s'en
vient
Premièrement,
il faut savoir que les habitations multigénérationnelles des clans frafra,
comme chez d'autres tribus de la région, sont constituées de quelques cases
(petites maisons en terre crue) regroupées entre elles par un mur circulaire
qui permet d'avoir un espace commun pour cuisiner et faire les autres activités
quotidiennes au centre de la bourgade.
Cette façon
de faire est pluricentenaire et permet de protéger les occupants des animaux
sauvages de la brousse. On dirait que les crocos de Paga ont compris ce
principe, car lorsque la femelle pond ses œufs, elle ne les laisse que peu de
temps sur les rives de l'étang par crainte que les autres reptiles ne viennent
les dévorer.
Il faut dire
qu'avec plus de 300 individus adultes dans les environs, les chances de survie
d'une couvée sont plus que minces. Au lieu de risquer l'exposition à ses voraces
congénères, chaque femelle transporte ses œufs dans sa gueule jusqu'à
l'intérieur des murs d'une bourgade, dont la porte a été gardée
intentionnellement ouverte pour permettre à celle-ci d'accomplir sa mission.
La femelle
creuse à un endroit qu'elle juge approprié et y enterre ses œufs. Cela prend
parfois deux ou trois voyages et souvent, une partie des œufs disparaît avant
qu'elle n'ait le temps de retourner à l'étang.
Ensuite, la
« famille d'accueil » ferme sa porte pour protéger les œufs le temps qu'ils
éclosent. Donc, durant près de trois ou quatre mois, les humains font le
travail de protection qui leur vaut en retour une protection mutuelle de leur
progéniture dans l'étang! C'est incroyable!
De plus, à
l'aide de leur horloge biologique, chaque femelle retourne dans la cour
intérieure qu'elle avait choisie, exactement au moment de l'éclosion, pour
aller chercher ses rejetons et leur permettre de commencer leur vie mouvementée
dans l'étang de Paga.
L'heure des petits poulets
Finalement,
l'heure des petits poulets est arrivée. Notre guide nous explique que depuis
qu'il est jeune, il a travaillé très fort pour approcher certains des plus
puissants spécimens. Il nous dit que par sécurité, lorsqu'il a des visiteurs,
il ne fait affaire qu'avec 4 ou 5 des plus gros crocodiles, qu'il connait par
leur nom.
Il nous
prend alors un poulet et le brandit au-dessus de l'eau en appelant les crocos.
Quelques têtes s'enfoncent dans l'eau et en ressortent près de nous. Il en
repousse deux en nous disant que ceux-ci sont trop instables et laisse sortir
la plus grosse bête de l'eau. Il demande à l'un de ses amis de tenir bien haut
et bien en vue l'animal à plumes qui se débattait comme s'il connaissait déjà
son sort.
Le crocodile
fixe son prochain repas; il sait ce qu'il doit faire pour l'avoir. Notre guide
me dit : « Va lui prendre la queue sans faire de gestes brusques. »
Je m'exécute en me souvenant que je ne dois pas lui laisser sentir ma crainte.
Son ami balance légèrement la proie que l'antique prédateur suit de la tête.
C'est comme
s'il essayait de l'hypnotiser. « Maintenant, accroupis-toi sur son dos,
sans t'asseoir complètement dessus! », me dit-il, pendant que mes amies me
prennent en photo.
« Quoi!?
T'es sérieux? » Oh oui! Il est sérieux, et il vient même à mes côtés pour
immortaliser le moment. Puis, il nous demande à tous de s'éloigner, il prend un
poulet et lui lance! En une fraction de seconde, il engloutit son repas et
retourne tranquillement dans l'eau. Il a refait la même chose avec un autre,
qui avait l'air assez insistant, afin que mes amies puissent également vivre
l'expérience.
Nous avons
passé deux autres jours dans les environs de Navrongo et de Bolgatanga avec ces
gens qui nous ont accueillis si chaleureusement. Puis, nous avons pris un
autobus pour Kumasi, afin de terminer notre formation en agriculture tropicale.
À deux
reprises, nous avons eu des problèmes avec le bus et avons dû attendre
plusieurs heures au cœur de la savane qu'un mécanicien soit dépêché sur les
lieux, mais cela nous a permis de nous faire de nouveaux amis et d'en connaitre
un peu plus sur la culture frafra...
Bon voyage à
tous !
Pour ma
part, je vous écrirai les deux prochaines chroniques à partir du Kenya et de la
Tanzanie... Mon avion décolle demain!