Par Me Ariel Thibault, avocat
Collaborateur spécial en remplacement de Me Michel Joncas
Ce n'est une surprise pour personne. La cause qui a accaparé l'attention dans l'actualité judiciaire ces dernières semaines est sans aucun doute le jugement dans le dossier de Jérémy Gabriel contre Mike Ward.
D'emblée, il est intéressant de noter que le vieil adage qui dicte que « la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres » trouve aussi application en matière de droits de la personne. En effet, c'est ce que nous retenons de cette décision de la Commission des droits de la personne, car le jugement se résume ainsi : la liberté d'expression s'arrête là où le droit de ne pas subir de discrimination commence.
En matière de droits fondamentaux, les questions sont toujours complexes. Tout le monde s'attend donc à ce que ce débat n'y fasse pas exception. Bref, le dossier ne fait que commencer. Le premier sprint d'un marathon. D'ailleurs, l'avocat de Mike Ward, le célèbre Julius Grey, a déjà annoncé qu'il portera sa cause en appel. Nous pouvons déjà apercevoir l'ombre de la Cour Suprême derrière.
Ainsi, dans le coin droit, le droit de vivre sans discrimination, que celle-ci porte sur le sexe, le statut social, la race, l'âge ou dans ce cas, le handicap. Dans le coin gauche, le droit à la liberté d'expression, un pilier de notre société qui permet la libre parole en politique, en musique ou ici en humour. Deux droits fondamentaux puisque fondements de nos sociétés de droit. Comment séparer deux droits au statut quasi constitutionnel?
Alors que la Cour Suprême n'a jamais voulu « hiérarchiser les droits », la crainte des uns est justifiée de penser que ce jugement crée un avantage certain à un droit, ou à l'inverse une faille dans la liberté d'expression. Plus étonnant, alors que la Commission représentait le petit Jeremy aux frais de l'État, Mike Ward prétend avoir déboursé près de 100 000 $ en honoraires pour mener ce combat pour la liberté d'expression. Deux droits égaux en théorie, mais en pratique, un des deux paye à fort prix la facture du processus. Que serait-il arrivé si, au lieu du « successful » Mike Ward, l'artiste poursuivi n'avait pas eu les moyens de mener à terme ce combat? La question se pose. Les droits fondamentaux ne méritent-ils pas un traitement particulier devant les tribunaux?
En conclusion, difficile de tracer une ligne dans une zone si grise que même la mine d'un crayon n'y laisse trace. Une seule chose est sure, beaucoup d'encre coulera d'ici à ce que la Cour Suprême tranche la question. En attendant, rappelons-nous que notre expression est libre... jusqu'à une certaine limite.