La semaine dernière, Richard Wagner, un des trois juges québécois à la Cour suprême du Canada, était officiellement assermenté comme juge en chef de cette cour. Plusieurs y ont vu une bonne nouvelle pour le Québec et ils ont raison... en partie.
C'est une bonne nouvelle pour le Québec, car la Cour suprême du Canada est une institution extrêmement puissante dans le système politique canadien. Elle peut invalider toute loi contestée devant elle, par exemple au nom du partage des compétences fédérales-provinciales ou d'une charte des droits. C'est aussi elle qui, ultimement, peut interpréter et donc donner le sens final à toute loi qui remonte jusqu'à elle.
Cela est problématique, car ainsi trop de pouvoir est concentré entre les mains de neuf personnes. Et considérant que cette cour est formée majoritairement de common lawyers, le fait qu'elle puisse invalider ou interpréter ultimement le Code civil du Québec est aussi problématique. Idéalement, la Cour d'appel du Québec devrait être l'interprète ultime du Code civil. À défaut d'opter pour cette solution logique, le droit canadien prévoit au moins que trois des neuf juges de la Cour suprême soient Québécois et donc formés en droit civil.
Cela est important car la tradition du droit civil québécois est très différente de celle de la common law du Canada. En gros, le droit civil est un droit élaboré principalement par le législateur, soit le Parlement québécois qui adopte le Code civil, et il valorise des raisonnements a priori (avant les faits) qui favorisent la sécurité juridique.
Tous les cas possibles, ou presque, sont prévus dans le Code civil et par conséquent chaque citoyen peut connaître d'avance les conséquences juridiques de ses actions. À l'inverse, la common law est un droit élaboré principalement par les juges et il valorise des raisonnements a posteriori (après les faits) qui favorisent l'équité. Plusieurs cas ne sont pas prévus d'avance et par conséquent, les solutions sont fixées par le juge après les faits en fonction de ce qu'il considère juste et équitable.
Par exemple, dans l'affaire Éric c. Lola, il était question d'une ex-conjointe qui réclamait une pension alimentaire de son ex-conjoint, et ce, même s'ils n'avaient pas été mariés. Conformément à une logique de common law, une majorité de juges a déterminé que l'exclusion par le Code civil des couples non mariés du régime des obligations alimentaires entre ex-conjoints était discriminatoire et donc invalide.
Conformément à une logique de droit civil, une minorité de juges a déterminé que cette exclusion n'était pas invalide, et donc qu'il était normal que les ex-conjoints vivent avec les conséquences prévisibles de leur choix de ne pas se marier. À la fin, c'est la juge en chef de l'époque qui a fait la différence en décidant que même si cette exclusion était discriminatoire à ses yeux, elle pouvait être justifiée et donc valide.
Cela illustre à quel point un juge en chef peut jouer un rôle important. C'est pourquoi il faut se réjouir que le nouveau juge en chef soit un Québécois formé au droit civil. En même temps il ne faut pas trop se réjouir.
D'abord, parce que le choix du gouvernement Trudeau de nommer un juge en chef québécois est conforme à un usage qui prône l'alternance à ce poste entre un civiliste et un common lawyer. Or, ce gouvernement aurait pu profiter de cette nomination pour affirmer qu'il s'agit là plus que d'un usage, mais d'une convention constitutionnelle obligatoire. Ainsi, il aurait fortement incité les futurs gouvernements à respecter l'alternance. Mais il a choisi de ne pas faire ce pas supplémentaire.
Ensuite, parce que le juge Wagner a signé avec d'autres juges une des pires décisions de l'histoire de la Cour suprême du Canada en matière de droits linguistiques. En effet, en 2013 dans l'affaire Conseil scolaire francophone c. Colombie-Britannique, cette cour a conclu que le français était interdit dans les procès civils de cette province, et ce, même pour les francophones.
Voilà pourquoi il ne faut pas trop se réjouir de la nomination du juge en chef Wagner.
Guillaume Rousseau
Avocat et professeur agréé à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke