Vous désirez démarrer un commerce d'été, vous songez à un café sur roues. Vous n'avez pas d'expérience particulière dans le domaine. Vous vous informez auprès de votre municipalité pour évaluer la faisabilité de votre projet.
Vous cherchez également un fabricant qui vous permettra de vous procurer les triporteurs nécessaires à la réalisation du projet. Vous découvrez une entreprise québécoise qui pourrait combler vos besoins.
Après discussions, vous acceptez un devis pour un triporteur destiné à la vente de café et de viennoiseries et l'autre pour des produits réfrigérés tels des jus, etc.
La date pour la livraison des deux triporteurs est fixée au 1er juillet.
Arrive ce qui devait arriver, les deux triporteurs ne sont pas livrés le 1er juillet, mais plutôt en août. Vous demandez la résolution de la vente et des dommages, le vendeur invoque la force majeure et malgré tout, les vélos ont tout de même été livrés.
Qui a raison?
Cette affaire a fait l'objet d'une décision dans le dossier Gingras et Normand c. 9086-5767 Québec inc. rendue le 21 mai 2019 numéro 500-22-233161-168.
Au départ, le juge s'est demandé s'il s'agissait d'un contrat de vente ou un contrat de service. En effet, il y a une différence entre un contrat de vente et un contrat de service, notamment en ce qui concerne la demande de résolution du contrat.
Le contrat de vente s'applique dans le cas où il y a un transfert de propriété; celui de service, quand il s'agit de réaliser un ouvrage et dans ce dernier cas, le client peut être appelé à rembourser la valeur des travaux exécutés (art. 2129 C.c.Q.).
Comment faire la distinction entre les deux? Le juge se réfère à l'article 2013 C.c.Q;
Il y a un contrat de vente et non un contrat d'entreprise ou de service lorsque l'ouvrage ou le service n'est qu'un accessoire par rapport à la valeur des biens fournis
pour établir que les coûts de fabrication des deux vélos s'établissent à 20% et 22% du prix de vente, donc que les services fournis ne sont qu'un accessoire par rapport à la valeur des biens en litige; il s'agit donc, dans le cas présent, d'un contrat de vente et non de services.
Ici la chronologie des évènements a son importance. Le 20 mars, suite à une rencontre avec la défenderesse, les demanderesses font parvenir au défendeur un document détaillé de leur projet. Le 4 avril, la ville autorise le projet. Le 9 avril, les demanderesses demandent un dessin technique et avisent la défenderesse qu'elles attendent une soumission pour le prix de vente. Le 23 avril, nouvel écrit des demanderesses. Le 2 mai, la défenderesse fait parvenir une première soumission. La première soumission n'étant pas acceptée, une seconde suit, elle n'est pas plus acceptée; une troisième sera déposée le 11 mai.
Le 12 mai, les demanderesses confirment l'acceptation de la troisième soumission.
Le 24 mai, la défenderesse prépare le devis; le 28 mai, les demanderesses le signent et donnent un acompte.
Lors du procès, les parties divergent d'opinion quant à la date de livraison; pour les demanderesses, ce sera le 1er juillet, pour la défenderesse, le 1er juillet était un objectif.
À la lumière de la preuve présentée, le juge tranche que la date ultime de livraison a été fixée au 1er juillet. Pour ne pas avoir respecté la date du premier juillet, la défense invoque le cas fortuit au motif que c'est le fabricant de batteries qui n'a pas livré le produit dans les délais impartis.
Sur le sujet, le Tribunal en vient à la conclusion que la défenderesse n'avait pas l'expertise voulue pour ce genre de travail et qu'elle a tardé à mettre en branle le projet. En conséquence, l'argument du cas fortuit causé par le retard pour la livraison des batteries par le sous-traitant n'est pas retenu d'autant plus que la construction des triporteurs n'était pas terminée au 1er juillet.
C'est ainsi que le Tribunal accepte la résolution du contrat et condamne la défenderesse à remettre l'acompte versé.
Comme il n'y a pas de preuve relativement à la rentabilité et à la viabilité du projet, le juge rejette cette portion de la réclamation. Usant de sa discrétion, le juge accordera 2 000$ pour compenser les dépenses d'opération, il refusera les pertes de revenus et la perte de salaire de l'une des demanderesses toujours faute de preuve. Finalement, il accordera à chacune d'elles 2 500$ pour les dommages et intérêts signalant qu'il use, encore une fois, de sa discrétion pour ce faire.
En conclusion, il faut retenir que le vendeur d'un bien ou d'un service se doit d'informer son client de ses capacités à fabriquer le bien ou à donner le service. De même, il est important d'établir une date de livraison afin d'éviter tout imbroglio sur le sujet et finalement, quand vous faites une réclamation monétaire, il est essentiel d'en établir le fondement i.e. d'en faire la preuve.
Au plaisir,
Me Michel Joncas
Fontaine Panneton Joncas Bourassa & Associés