À chaque
année, on mesure le progrès des pays par le taux de croissance de l'économie.
Et comment mesure-t-on ce taux de croissance ? En additionnant la valeur, en
dollars, de la production des biens et services que l'on
désigne sous le nom de Produit intérieur brut (PIB). On dira par exemple :
le PIB du Canada a augmenté de 4,6 % en 2021, après une baisse de 5,2 %
provoquée par la pandémie en 2020.
Pour
produire des biens et des services, nous avons besoin d'énergie et cette
énergie nous vient principalement des énergies fossiles. Nous avons besoin
d'énergie pour extraire les matières premières, pour fabriquer des produits
finis, pour les commercialiser et pour les rendre accessibles. L'énergie est aussi
nécessaire pour nous chauffer et nous éclairer, pour cuisiner, pour nous
transporter. La combustion de ces
énergies émet des gaz dont le gaz carbonique (CO2) avec 80 % du
total, qui, avec le méthane 14 % et le protoxyde d'azote 4,9 %
provoquent l'effet de serre que nous connaissons.
Dans le
graphique ci-bas emprunté à l'économiste François Delorme, chroniqueur de la
revue un.point cinq, on remarque, qu'au Canada, la courbe des GES suit assez
fidèlement celle du PIB. Le PIB et les GES forment un couple : si le PIB
augmente, les GES augmente et inversement. Si l'on veut contenir le
réchauffement de la planète, il faut réduire les GES de façon beaucoup plus
importante que le taux de croissance de l'économie (PIB), il faut casser
l'harmonie de ce couple, on dit alors qu'il faut effectuer le découplage du PIB
et des GES.
Maintenir
la croissance continue
À ce jour,
tous les pays qu'ils soient de type capitaliste ou socialiste, développés ou
sous-développés, s'évaluent à l'aune de leur croissance économique.
Les grands
organismes internationaux, suivis des pays industrialisés réunis au sein de
l'ONU, soutiennent qu'il est possible de maintenir la croissance de l'activité
économique (PIB) tout en réduisant les émissions de GES et de contraindre le
réchauffement du climat à 1,5°C. Ils s'engagent à relever le défi en
décarbonant l'économie par la transition vers les énergies renouvelables,
secondé par le captage et stockage du carbone et si nécessaire par les
solutions extrêmes de géoingénierie. On parle alors de développement durable,
d'économie verte. Les plans du Canada (Un environnement sain et une économie
saine) et du Québec (Plan pour une économie verte) sont de cette orientation.
Mais à ce
jour, au Canada, les plans de la décennie 2010-2020 n'ont pas réussi à
découpler le PIB des GES. Au mieux, les mesures appliquées n'ont réussi qu'à
contenir les émissions qui auraient été émises s'il n'y avait pas eu de
mesures. On n'a pas assisté à un réel découplage à savoir une baisse marquée
des émissions.
Au niveau
international, de 1990 à 2019, seule l'Allemagne a réussi un découplage
important, suivie dans une moindre mesure par la France et quelques autres
pays. Pour l'année la plus récente dont nous avons des données, soit 2021, nous avons
vu au contraire un couplage parfait entre la progression du PIB et les
émissions de CO2 : alors que le PIB augmentait de 5,9 %, les
GES suivaient avec 6 % d'augmentation.
La grande
question
Le concept
de la croissance continue est-il compatible avec une réduction suffisante des
émissions de GES permettant d'inverser le réchauffement du climat ?
Il faut
bien comprendre ici que la croissance c'est l'empilement des taux de croissance
à chaque mois, à chaque année. Après deux mois de recul, on s'agite; on parle
de récession et toutes les mesures économiques sont mises en place pour
retourner à la croissance. La croissance signifie donc une plus grande
exploitation des ressources, des procédés de production davantage sollicités,
une plus grande consommation de biens et services et, leur corollaire,
l'augmentation ou au mieux la stagnation des émissions de GES.
Devant les
insuccès des plans antérieurs et devant les catastrophes de plus en plus
dévastatrices de plus en plus d'experts, des organisations, affirment que la
poursuite de la croissance à tout prix est une illusion. Notre planète a des
ressources limitées qu'il faut respectées et que, malgré les prétentions de l'«
économie verte », nous devons considérer la remise en cause de la croissance
pour réellement la découpler des GES. Dans un de ses rapports, l'automne
dernier, le GIEC évoquait pour la première fois cette éventualité.
Les appels
à la sobriété énergétique et les mises en garde contre les effets de
rebond vont en ce sens. Ceux à la préfiguration d'une société différente mais plus
heureuse se font de plus en plus pressants.
L'important
aujourd'hui est que tous s'attellent à la tâche de la réduction des émissions
de GES, c'est indiscutable. Mais, à ce jour, nous n'y sommes pas arrivés. Il
nous faut urgemment fixer une date de révision de la stratégie misant sur la
croissance à tout prix - un plan B - afin d'éviter qu'on s'appuie sur une
illusion et qu'on se retrouve au point de non-retour de l'irréparable.
Yves
Nantel
Mars 2023