Tout récemment, soit le 22 mai dernier, la Cour Supérieure a eu à se pencher sur la possibilité qu'un groupe de femmes désigné comme les Courageuses entreprenne un recours collectif contre monsieur Gilbert Rozon à la suite des allégations d'agression ou de harcèlement sexuels.
Le recours collectif est habituellement utilisé afin d'établir la responsabilité d'une personne à la suite des actes ou des faits similaires.
En vertu du texte de loi (art. 575 C.p.c.) quatre éléments sont exigés pour permettre un tel recours :
a) Les demandes des membres soulèvent des questions de droit et de fait identiques, similaires ou connexes;
b) Les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
c) La composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des règles sur le mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou sur la jonction d'instance;
d) Le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assumer une représentation adéquate des membres.
En défense, les avocats de monsieur Rozon invoquent particulièrement le fait que chaque cas est individuel, qu'il n'y a pas de question identique, similaire ou connexe, chaque cas d'allégation sexuelle doit être étudié individuellement.
Rappelant une décision de la Cour Suprême (Vivendi Canada inc. c. Dell'Aniello, 2014 CSC 1) le juge souligne que le recours collectif vise à faciliter l'accès à la justice, la modification des comportements préjudiciables et l'économie des ressources judiciaires.
Faisant état de l'existence d'autres recours collectifs contre des établissements religieux, où des individus étaient poursuivis pour des actes similaires, le juge ne voit pas pourquoi les principes directeurs énoncés cette fois-ci par la Cour d'appel ne s'appliqueraient pas dans le cas d'un seul individu.
C'est ainsi que le juge établit sept questions auxquelles il entend répondre à savoir :
1. Y a-t-il apparence de droit?
2. Y a-t-il des questions identiques, similaires ou connexes ?
3. La composition du groupe justifie-t-elle l'exercice de l'action collective?
4. La représentation par la demanderesse est-elle adéquate?
5. Quels doivent être les paramètres du groupe et des questions identiques, similaires ou connexes?
6. Quels sont les paramètres de l'avis d'autorisation et la période d'exclusion?
7. Quel est le district judiciaire dans lequel l'action collective doit s'exercer?
Comme vous n'êtes pas sans le savoir, le Tribunal a permis aux Courageuses représentées par madame Tulasne d'entreprendre des procédures. C'est donc dire que le juge a répondu oui à toutes les questions qu'il se posait.
J'aimerais attirer votre attention particulièrement sur les réponses données par le juge concernant le point 2 qui me semble déterminant pour l'exercice de ce recours. En effet, comme l'ont soulevé les avocats de monsieur Rozon qu'en est-il d'un possible consentement aux relations sexuelles?
Le juge retient les éléments suivants comme étant identiques similaires ou connexes :
a) Monsieur Rozon aurait un modus operandi similaire pour toutes les agressions et le harcèlement sexuel allégués;
b) La question d'impossibilité d'agir des victimes est commune puisque selon le juge elle émane du statut de monsieur Rozon dans son milieu ou des résultats des accusations criminelles portées en 1998;
c) Le point de départ de la prescription dont le rôle de monsieur Rozon lui-même dans la réalisation de cette connaissance;
d) La demande de condamnation à des dommages moraux et pécuniaires est de nature commune, car une preuve pourra éclairer le juge sur les types de séquelles généralement causées chez les victimes;
e) Relativement aux dommages punitifs, le Tribunal considère qu'une preuve commune reliée au caractère intentionnel permettra au juge qui aura à entendre ce dossier d'apprécier la gravité des gestes justifiant l'octroi desdits dommages.
Par contre, et c'est là où à mon avis le jugement trouve son fondement le Tribunal affirme :
Les aspects individuels identifiés par monsieur Rozon ne sont pas un obstacle à l'autorisation. Le Tribunal note que le consentement de chaque victime sera analysé un par un, au moment opportun, en fonction des déterminations factuelles pertinents.
Les Courageuses c. Rozon, 2018 QCCS 2089
En conclusion, le juge a permis qu'une preuve commune soit faite relativement à certains des éléments reprochés à monsieur Rozon, mais ce dernier aura toujours la possibilité une fois que le groupe d'accusatrice sera connu, de les interroger individuellement, entre autres sur le consentement obtenu ou non.
C'est un dossier à suivre...
Me Michel Joncas, avocat
Fontaine Panneton Joncas Bourassa & Associés