Nous sommes dans la phase de décarbonation de
notre économie avec l'objectif de ne pas dépasser de 1,5 ℃ le réchauffement du
climat d'ici 2100 en comptant sur trois leviers : l'atténuation
par la transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, l'efficacité des procédés devant nous permettre de
mieux produire et la sobriété de façon à
restreindre l'achat et l'utilisation des produits consommés à nos besoins de
nécessité.
Ces trois leviers doivent être utilisés autant par
les instances publiques, les entreprises que les consommateurs. Mais attention
à l'effet rebond.
L'effet rebond
L'effet
rebond se produit constamment au niveau économique : grâce à des progrès
techniques, on rend les produits et services plus efficaces. En les rendant
plus efficaces, on dégage des excédents de ressources alors utilisées pour une
surconsommation du produit ou du service ou pour acheter d'autres biens. À
chaque gain d'efficacité, on fait un bond vers plus de consommation. Plus de
consommation de matières premières et d'énergie pour produire et plus de
matières résiduelles à disposer.
Dans le domaine de l'automobile, on a réussi
depuis une vingtaine d'années à rendre plus efficaces les méthodes de
production (ex.: robotisation). Conséquences : les autos sont plus plus
économes en essence, plus fiables (assistance à la conduite), plus sécuritaires
(coussins gonflables), plus résistantes à la corrosion, plus performantes
(freins ABS), etc. Puis l'on a ajouté des caméras de recul et de l'assistance
pour le stationnement ou encore des systèmes audio et vidéo plus sophistiqués
et j'en passe.
Avons-nous vendu moins de véhicules ? Avons-nous
vendu moins d'essence ? Y a-t-il moins d'accidents ? Les routes sont-elles
moins achalandées ? Non. Il y a plus de véhicules sur les routes, ils sont plus
gros et consomment plus d'essence.
Ces évolutions, ces rebonds, sont considérés comme
des progrès dans une société qui les évalue à la croissance continuelle de son
économie, de son PIB. Mais il en est tout autre à partir de moment où l'on
doit, selon l'ONU, « réduire rapidement et radicalement
nos gaz à effet de serre ».
L'effet rebond et la réduction des GES
L'effet rebond dans la lutte aux changements climatiques
se produit, entre autres, lorsque des actions visant à réduire ou à contenir
les émissions de GES sont réalisées mais que, de façon directe ou indirecte,
induisent des effets pervers qui ont comme conséquence de produire autant ou
même davantage de GES.
Les gouvernements se sont mis à subventionner
l'achat de véhicules électriques afin de transiter vers les énergies
renouvelables. Action louable avec des cibles et des échéances pour faire la
transition. Mais attention à l'effet rebond.
À partir du moment où les consommateurs décident
d'utiliser les économies réalisées pour se payer des voyages par avion, une
croisière dans le Sud ou encore s'acheter un véhicule plus performant (VUS) ou
un VTT, d'un côté, on diminue les GES provenant de l'auto à essence mais on les
augmente au niveau de l'avion ou du paquebot ou autres substitutions.
On voit ici l'effet rebond, l'intention est bonne
autant celle des gouvernements que celle des consommateurs mais le raisonnement
conduit à une action qui produira autant, sinon plus, de GES.
Au niveau du transport aérien civil, selon The
Shift Project, chaque kilomètre de vol par passager consomme environ trois fois
moins de carburant qu'il y a quarante ans. Les prix ont diminué et le nombre de
kilomètres de vol a explosé. Alors que le volume de GES émis par
passager-kilomètre diminuait de moitié, le volume total d'émissions a été
multiplié par deux. De plus, la consommation de matières premières et d'énergie
a cru de façon importante.
Les exemples d'effet rebond se retrouvent dans la
majorité des secteurs de consommation.
Pierre Veltz, professeur émérite à l'École des
Ponts Paris Tech et auteur de « Bifurcations :
réinventer la société industrielle par
l'écologie? » explique ainsi le phénomène : « De
façon générale, l'efficacité rend les biens et les services moins coûteux, plus
accessibles, plus désirables, et la demande, dopée par la publicité et par les
multiples formes de l'effort pour vendre, croît en proportion, ou même
davantage ».
Que faire
D'abord, reconnaître l'effet rebond. On n'a pas le
choix, prévoir dès la conception des produits et des services cet effet pervers
et plus globalement soumettre la production, la commercialisation, la
consommation aux stratégies de l'économie circulaire.
Dans le cas des transports, étudié précédemment,
agir au niveau des structures en développant une société qui offre des
alternatives profitables et attrayantes pour court-circuiter l'effet rebond. Et
agir au niveau des mentalités, par exemple, par un contrôle de la publicité sur
les VUS, en exposant clairement les enjeux en cause.
On a laissé les lois du marché agir et la
détérioration de la planète s'amplifier. Il faudrait y opposer le couplage de la sobriété à
l'efficacité : produire mieux mais dans une optique de consommer moins avec un
indice de bonheur amélioré.
Yves Nantel