En plein cœur de l'Australie, au milieu du désert de Victoria, se trouve l'un des plus grands monolithes au monde. Un immense rocher rouge s'élevant à environ 350 mètres au-dessus du sol, que les Aborigènes appelèrent Uluru, et les colonisateurs anglais, Ayers Rock. Depuis des millénaires, des tribus de la région célèbrent des rites sacrés sur ses flancs, mais avec l'arrivée des Australiens d'origine britannique, ainsi que des nombreux visiteurs qui viennent admirer cette insolite structure, la cohabitation respectueuse est un enjeu de taille. Dans une prochaine chronique, je traiterai également d'un endroit souvent laissé pour compte, mais qui impressionne tout autant qu'Uluru : les monts Olga ou, comme l'ont baptisé les peuplades locales, Kata Tjuta. Faisant partie du même parc national, ces deux formations font également partie de la même strate rocheuse! Situées à 25 kilomètres l'une de l'autre, Kata Tjuta et Uluru sont les deux extrémités exhumées d'une couche géologique principalement formée d'Arkose (sorte de grès), qui a subi assez de pression pour la courber comme une banane!
Samuel et moi avons quitté Sydney en avion pour atteindre Ayers Rock, mais la veille, nous avions vérifié les prix des hébergements disponibles et nous avions convenu que nous ne pouvions nous en permettre aucun! Comme il y a toujours plus qu'une solution à un problème, nous avons décidé de louer une voiture et de la transformer en « hutte de voyage roulante ». Nous l'avons donc réservé depuis Sydney et sommes partis. En descendant directement sur le tarmac, nous avons dit au revoir à nos nouvelles amies... encore une fois des « fellows Canadians », mais de la région de Toronto cette fois-ci. Nous avons vite fait de les recroiser, car nous avions réservé le dernier véhicule et, les voyant vraiment mal prises, nous leur avons offert de les conduire à leur hébergement. Ce fut le début d'un bel échange pour les cinq jours à venir! Cette partie de l'Australie est tellement isolée qu'il n'y avait pas vraiment de possibilité économique pour aucun aspect de la vie quotidienne. En mettant de côté les deux ou trois restos plus luxueux, il y avait un petit IGA, où nous avons acheté toute notre nourriture. Nous avons mis de côté nos préférences, car les prix étaient exorbitants : les bananes, dont l'Australie est l'un des plus grands producteurs mondiaux, étaient à 20 $/kilo... Il y avait plusieurs affiches qui nous rappelaient les lois australiennes, interdisant d'acheter de l'alcool et de la colle aux Aborigènes, sous peine d'amendes ou de prison... Ça nous a laissé une drôle d'impression, nous qui arrivions sur leur terre, visiter LEURS lieux sacrés. Cependant, nous nous sommes remémorés que nous n'avions pas besoin d'être à l'autre bout du monde pour être confrontés à une réalité sociologique semblable. Comme nous n'avions pas de domicile, les filles nous ont suggéré de venir cuisiner et nous laver sur le site de leur établissement. En échange, nous leur avons proposé de passer les prendre le matin pour aller visiter le fameux monticule rouge, puis le jour d'après, les monts Olga.
La première nuit, nous nous sommes stationnés en retrait, dans un stationnement en « ville », avons penché les sièges et avons commencé notre inconfortable nuit. Quand soudain, un policier nous réveilla pour nous dire que nous devions quitter l'endroit. Après lui avoir fait part de notre budget de 35 $ par jour, il nous suggéra une halte routière à 7 kilomètres en dehors du village... Arrivés là-bas, nous avons réalisé à quel point nous étions au milieu de nulle part! RIEN! Rien, sauf des étoiles à profusion... Nous étions à l'un de ces endroits sur la planète où les scintillements sont constants et où les astronomes amateurs rêvent de s'installer. Après nous être émerveillés durant une demi-heure, nous avons finalement trouvé le sommeil. Nous avons aussi réalisé que de se lever durant la nuit pour un petit besoin peut s'avérer extrêmement risqué avec les insectes et reptiles, tous aussi venimeux les uns que les autres, qui s'installent sous la voiture pour profiter de son éphémère chaleur. Le « double check » était vraiment de mise! De plus, malgré le fait que nous ayons enfilé tous les vêtements que nous avions en notre possession afin de demeurer au chaud, nous nous réveillions en raison du froid qui nous glaçait les os. Durant les journées, il pouvait faire jusqu'à 30 degrés Celsius, tandis que les nuits, le mercure descendait jusqu'à -3... Nos amies ontariennes nous ont fourni des couvertures de leur hôtel pour la dernière nuit. Nous aurions dû leur en parler avant. Maudit orgueil!
Comme nous avions hâte que les nuits finissent, nous partions tôt pour visiter ces magnifiques sites inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO. Le lever de soleil sur Uluru est fantastique! Puis, nous avons exploré chaque rondeur et chaque fissure à la base du monolithe. C'était surréel : comme il avait plu (l'une des rares fois), une dizaine de jours avant notre arrivée, la nature était à son plus beau. Les ronces et les épines laissaient la place aux fleurs du désert de toutes les formes et couleurs; les teintes de vert contrastaient avec le rouge de la roche et le doré du sable. En faisant le tour du massif aux parois presque verticales, nous prenons le temps d'observer des sites cérémoniaux sacrés qui permettent aux Aborigènes de rester en contact avec le divin. L'un d'eux est constitué d'une demi-caverne dans laquelle on a l'impression d'être submergé par une vague, vu la forme et la texture de la pierre imitant bien le mouvement de la mer. Dans un autre site, une curiosité naturelle dans la roche ressemble étrangement à un énorme pied. Parmi ces endroits de prières et de rassemblements, il y a en a un autre qui s'adresse aux femmes qui souhaitent obtenir la grâce de la fertilité. Il est interdit de marcher sur la plupart de leurs sites sacrés, mais les populations locales ne veulent ou ne peuvent pas mettre ces règles par écrit, puisqu'ils ont une tradition orale. Le fait de monter sur le monolithe lui-même jusqu'à son sommet a aussi été problématique pour les relations entre Australiens et Aborigènes. En effet, ces derniers ne souhaitent pas interdire officiellement l'accès au toit d'Uluru, mais veulent que les comportements des gens qui grimpent soient dignes de ce lieu mystique. En gros, ils aimeraient mieux que personne n'y monte pour une autre raison, et toute une : si quelqu'un tombe en bas ou y meure, ils devront effectuer, avec l'ensemble des peuples qui partagent leurs croyances, une longue et laborieuse cérémonie de reconsécration qui redonnera son côté pur et sacré au site. Pour éviter que des gens tombent, comme il y a quelques années, ils ont convenu avec le gouvernement d'un tracé pointillé blanc duquel nous ne devons pas déroger si nous voulons effectuer une montée éthiquement acceptable. C'est ce que j'ai fait! Je suis monté en remerciant le ciel de ce que je vivais ainsi que pour ma famille et mes proches. La vue était époustouflante, je pouvais apercevoir quelques petits bassins d'eau qui étaient retenus par des interstices dans la roche, d'où l'importance pratique du lieu pour les habitants de cette contrée désertique. Au loin, je pouvais voir les monts Olga, dont il sera question dans une chronique suivante.
Après une bonne journée de plein air, nous sommes allés nous acheter une viande très en vogue ici : le kangourou! Arrivée à la cuisine communautaire des Canadiennes, un couple d'Australiens m'a fait part du fait que la viande de cet animal doit être attendrie et marinée. Comme nous avions bien faim, j'ai opté pour le kangourou attendri aux coups de karaté, ce qui a bien fait rire les autres voyageurs!