Vous achetez une maison de campagne et vous invitez des amis à vous aider pour votre déménagement. À l'heure du midi, vous mettez à la disposition de vos amis de la bière froide dans une glacière, chacun peut se servir à volonté. En après-midi, certains de vos amis utilisent votre véhicule tout-terrain pour faire des randonnées. Vous servez à souper vers 18 heures et vers 19h30, votre ami Paquette emprunte le tout-terrain. Il aurait bu à ce moment-là une quinzaine de bières et fumé deux joints.
Deux experts appelés à témoigner prétendent pour l'un que Paquette avait un taux d'alcoolémie entre 179 et 189 mg/dl au moment d'utiliser le véhicule soit deux fois et plus que la norme permise et l'autre que « ...le niveau d'intoxication portait atteinte de façon significative à ses capacités de perception et de concentration. »
Paquette prétend que vous l'avez autorisé à utiliser le tout-terrain alors que vous prétendez le contraire.
L'inévitable arrive. Alors que Paquette circule dans un champ, il aperçoit un trou, il freine, mais ne peut éviter l'obstacle, il est projeté au sol. Paquette demeure conscient, mais il ne peut plus bouger. Il est conduit à l'hôpital où l'on constate des fractures de plusieurs vertèbres. Paquette est devenu paraplégique, il vous réclame 7 millions de dollars pour l'avoir laissé utiliser votre tout-terrain alors qu'il n'était pas en mesure de conduire.
Êtes-vous responsable de cet accident?
Dans l'affaire Marcheterre c. Fédération Cie d'Assurance et al , la Cour d'Appel du Québec s'est prononcée sur un dossier semblable. Au départ, il faut savoir que la Loi sur l'assurance automobile du Québec ne permet pas l'indemnisation des victimes d'accident « ... causé par une motoneige ou un véhicule destiné à être utilisé en dehors d'un chemin public. »
Dans une telle situation, le propriétaire est responsable du préjudice causé par son véhicule tout comme le conducteur peut l'être. C'est ainsi que le juge de la Cour d'Appel écrira dans ce dossier particulier :
« ...force m'est de conclure que, entre le propriétaire et le conducteur, la responsabilité du premier à l'égard du second ne peut être établie qu'aux termes des règles de droit commun. » (par. 28)
La Cour en vient donc à se poser la question suivante : le propriétaire du véhicule a-t-il commis une faute au sens de l'article 1457 du Code Civil du Québec qui traite de la responsabilité civile?
La version de Paquette, à savoir qu'il avait obtenu l'autorisation des propriétaires du véhicule n'ayant pas été retenue par le juge de première instance, la Cour d'appel maintient cette position et conclut que Paquette doit assumer seul la responsabilité de son accident. Le Tribunal affirmera ce qui suit :
« Dans les circonstances de l'espèce, offrir à ses invités des rafraîchissements alcoolisés correspond à une conduite acceptée par la société. On ne saurait prétendre raisonnablement qu'une telle offre engendre l'obligation pour l'hôte de prévoir qu'une consommation effrénée par un individu en particulier s'ensuivra. » (par. 64)
Les propriétaires avaient-ils l'obligation d'empêcher quiconque d'utiliser le véhicule tout-terrain, la Cour répond à cette question que le propriétaire n'avait pas le « devoir de le protéger de ses propres excès. »
En conclusion, en matière de responsabilité, la victime ne peut invoquer sa propre turpitude, son propre comportement fautif.
Au plaisir
Me Michel Joncas
Fontaine Panneton Joncas Bourassa & Associés