Si vous pensez à une abeille, quel est le premier mot qui
vous vient en tête? Miel? Même chose pour nous. Pourtant, des 800 espèces
d'abeille sauvage au Canada, savez-vous combien produisent du miel? 0. Cela
nous fait réaliser que nous ne connaissons pas vraiment nos abeilles indigènes.
Faisons quelque chose d'un peu différent pour nous aider à
comprendre nos abeilles. Mettons-nous dans leur peau! Voici donc la petite
histoire bien personnelle d'une petite abeille solitaire :
Vous vous réveillez dans la noirceur. Vous êtes une larve, mais
une très belle larve! Vous venez tout juste de sortir de votre œuf et remarquez
que vous êtes enfermée dans une petite chambre au cœur creux d'une tige de
roseau. Vous semblez partager un mur avec une voisine. La situation semble
étrange, mais vous détectez des arômes qui vous semblent rassurantes et
familières. C'est parce que votre voisine est en fait votre sœur. Une fois calme
et habituée à votre environnement, vous ressentez la faim monter. Vous n'avez
pas à aller bien loin avant de tomber sur une pile de nourriture dans votre
chambre! Si vous aviez des pieds, vous vous seriez probablement enfargé dedans.
L'odeur est aussi très familière. C'est en fait un cadeau de votre mère. Vous
ne la rencontrerez jamais, mais vous êtes reconnaissant du logis et de la
nourriture qu'elle vous a laissé. Vous prenez une bouchée. C'est la meilleure
chose que vous ayez jamais mangé! Bon, c'est aussi la seule que vous n'ayez
jamais mangé, mais un délice tout au même. Les jours passent, vos réserves de
nourriture s'abaissent et le froid s'installe. Les nutriments que vous avez
ingérés vous ont permis de synthétiser votre propre soie, que vous entourez
aussitôt autour de vous comme un foulard. Vous vous sentez beaucoup mieux. En
fait, vous n'êtes pas certain pourquoi, mais vous sentez l'envie de continuer à
vous emmitoufler. Quelques jours plus tard, vous êtes au chaud, complètement
enrobé dans votre petit cocon. Vous êtes si confortable que la fatigue commence
à vous bercer. Vous combattez le sommeil pour un bref instant, avant de vous y abandonner
et de fermer les yeux.
Vous vous réveillez dans un bain de lumière. Vous n'êtes
plus dans la noirceur! Vous percevez même une lueur chaude à travers les parois
de votre chambre. Cela ne peut vouloir dire que deux choses :
1) Vous avez maintenant des yeux! Wow! Votre sœur va être tellement jalouse.
2) C'est le printemps!
Vous ressentez le besoin de sortir. Cette chambre s'en vient
bien trop petite pour vous, vos 4 ailes et vos 6 pattes. Vous avez des rêves de
grandeurs et un nouveau corps pour les atteindre. Votre nouvelle paire de
mandibules vous permet de détruire le mur que vous partagiez avec votre voisine
aisément. Votre sœur est déjà partie. Devant vous, un long tunnel menant à la
lumière, légèrement obstruée par les débris de plusieurs chambres, maintenant
vides. Vos sortez dehors et avez un petit party de retrouvaille avec vos frères
et sœurs avant d'être attiré plus loin par plein d'arômes alléchantes. Vous
passez quelques semaines à explorer votre nouveau monde. Vous mangez du pollen
et du nectar, vous dormez dans une grotte, la vie est belle. Vous vivez seule,
vous êtes une abeille forte et indépendante qui n'a besoins de personne. À un
certain point, une envie incontrôlable accapare tous vos choix et tout vous
actions. Vous vous mettez à la recherche d'une petite crevasse confortable. Ah,
un trou dans une souche d'arbre, parfait! Vous allez au fond de la grotte et
pondez un œuf. Cool! Vous ne saviez pas que vous pouviez faire ça! Vous décidez
que cet œuf sera une femelle. Vous pouvez faire ça, apparemment. Vous n'êtes
pas une très bonne cuisinière, mais vous faite de votre mieux pour laisser à
cet œuf une source de nourriture. Au menu : vomis de nectar sur lit de
pollen maché. Yum, pareil comme celui de maman! Vous jetez un dernier coup
d'œil à la chambre, donnez un bec mouillé sur le front de l'œuf (du moins, vous
pensez que c'est son front), et vous fermez la chambre à l'aide de votre salive
et de la boue. Vous passez la journée à faire des vas-et-viens et finissez par
pondre 8 œufs, chacun avec leur chambre individuelle et leur nourriture. Une
vague de nostalgie vous engloutie. Votre travail étant fait, vous quittez
l'endroit, le cœur léger et pleine de fierté.
Vous passez le reste de vos jours à tranquillement polliniser
de fleurs en fleurs et à profiter des beaux temps de l'été. Vous commencez à
ressentir le vieillissement. Éventuellement, vous n'avez plus la force de
quitter votre petit terrier. Vous vous rappeler vos vieux jours emmitouflés
dans votre cocon. Avec fierté, vous imaginez vos progénitures en train de
préparer leur propre aventure. La noirceur empiète tranquillement les pourtours
de votre vision. Sereine et comblée, vous vous endormez dans la noirceur...