La réforme du Code de
procédure civile en 2015 a démontré la volonté du législateur de «
favoriser la simplification des conflits et l'atteinte de solutions émergeant
d'une collaboration accrue entre les parties ayant initialement des positions
opposées »1. Cette réforme est exemplifiée entre autres dans le protocole de
l'instance, soit l'agenda convenu entre les parties pour le déroulement de
l'instance. Alors que plusieurs avocats de litige insistent sur l'importance
d'avoir des experts distincts, le législateur oblige, depuis la réforme, les
parties de rapporter leurs motifs de refus à une expertise commune dans le
protocole de l'instance.
Dans Webasto c. Transport
TFI 6, le Tribunal nous rappelle que « le principe central de la procédure
civile reste celui de la contradiction »2. Par conséquent, une expertise commune n'est pas la
règle, mais plutôt une option qui doit être évaluée par le juge chargé de la
gestion d'une affaire.
Encore, faut-il qu'une partie
énonce dans le protocole de l'instance les motifs justifiant son refus de
procéder par expertise commune pour que celles-ci soient considérées. C'est
d'ailleurs ce que nous enseigne la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt St-Louis
c. La Presse ltée3. L'affaire au fond en est une de diffamation, où
l'appelante, madame Nadine St-Louis, allègue que les propos tenus par une
chronique d'une journaliste dans la Presse sont faux et diffamatoires. La
chronique cite St-Louis comme un exemple d'une personne qui s'autoproclame
autochtone alors qu'elle n'ait un mince bagage génétique pour le faire.
Dans le protocole de
l'instance, toutes les parties « indiquent ne pas avoir l'intention de recourir
à une expertise commune, sans toutefois préciser les motifs sous-tendant leur
décision »4. L'appelante énonce son intention de déposer deux expertises à l'appui
de son action, dont une portant sur son identité autochtone. Les intimés
s'opposent à toute expertise. Dans un tel cas de désaccord dans le protocole de
l'instance, un juge doit trancher lors d'une conférence de gestion. Pendant
cette conférence, le juge ordonne que l'expertise relative à l'identité
autochtone de l'appelante soit commune et que les frais engendrés ne doivent
pas dépasser 7 000 $.
L'appelante va en appel de
cette décision sur l'expertise commune, un de ses arguments étant qu'elle n'a
pas été entendue. En effet, la question de l'expertise commune n'a jamais été
évoquée par les parties et ce n'est qu'au moment du jugement que le juge
l'évoque.
Même si le principe d'être
entendu est fondamental en droit, la Cour d'appel nous rappelle que ce droit a
été respecté dans le cas présent pour trois raisons. D'un, le droit d'être
entendu est plus assoupli lors de la gestion de l'instance que lorsqu'un
tribunal doit statuer sur le fond d'une affaire5. Deuxièmement, un juge doit
conférer aux parties « l'occasion d'être entendues adéquatement » ce qui « n'exige pas que le juge ait effectivement
reçu des observations de chacune des parties avant de pouvoir rendre jugement »6. Ces deux
raisons prennent toutes leur sens lorsque le Tribunal énonce sa troisième
raison : le protocole de l'instance donne l'occasion aux parties de se prononcer
sur l'opportunité de l'expertise commune « et c'est à ce moment qu'elles
doivent manifester leur opposition »7. Dans le cas présent, la Cour d'appel a déterminé
qu'il n'y avait pas lieu d'intervenir et d'infirmer la décision de la Cour
supérieure vu l'opportunité d'être entendu de l'appelante et que l'appelante ne
s'est pas déchargée du fardeau requit pour faire intervenir une cour d'appel à
l'égard d'un jugement de gestion.
Si vous ne voulez pas recourir
à l'expertise commune, minimisez les risques de vous le faire imposer en
énonçant bien les motifs de refus dans le protocole de l'instance. Même si le
Tribunal pourrait quand même vous l'imposer, sa décision sera prise en
considération de vos motifs.
Me Anne
Petitclerc, avocate Monty Sylvestre, conseillers juridiques inc.
1 Webasto c. Transport
TFI 6, 2019 QCCA 342, par. 9, https://canlii.ca/t/hxrt0.
2 Idem, par. 13.
3 2021 QCCA 1782, https://canlii.ca/t/jkxt4.
4 Idem, par. 4.
5
Idem, par. 9.