Votre belle-sœur Jasmine vous raconte ses récentes difficultés. Elle travaillait depuis plus de vingt ans chez le même employeur. Elle a démarré au bas de la pyramide pour gravir un à un les échelons de l'entreprise et finalement devenir directrice générale. Son salaire était élevé, elle avait droit à un boni annuel et l'usage de véhicules.
Elle a été malade, donc absente durant plusieurs semaines. À son retour, quelqu'un avait pris sa place. Son employeur, la Compagnie XYZ, lui offre alors trois choix : poursuivre son congé de maladie, devenir commis ou vendeur.
Devant cette situation, Jasmine réclame une indemnité de départ. La compagnie lui offre alors un poste de directrice des opérations, sans diminution de salaire. Jasmine accepte ce poste. La compagnie change d'avocat, le salaire de Jasmine diminue considérablement, les heures de travail sont modifiées.
Jasmine refuse ce changement draconien dans son travail. Elle poursuit la Compagnie XYZ et se trouve, quelques mois plus tard, un autre emploi comme vendeur.
L'actionnaire de la Compagnie XYZ vend son entreprise et se verse un dividende équivalent au produit net de la vente. La Compagnie XYZ est devenue une coquille vide, n'ayant plus aucun actif. Que faire?
Jasmine peut-elle poursuivre personnellement l'actionnaire de la compagnie qui a encaissé sous forme de dividende le produit de la vente du commerce appartenant à la Compagnie XYZ, peut-elle lever le voile corporatif?
La réponse est oui. En effet, il appert qu'en agissant comme il l'a fait, l'actionnaire a agi frauduleusement. Le versement du dividende a été fait hors du cours normal des affaires de la compagnie. Alors que Jasmine le poursuit, l'actionnaire soutire la quasi-totalité des actifs sachant que la compagnie ne pourra jamais payer une éventuelle condamnation. L'actionnaire, en agissant comme il l'a fait, a commis une faute extracontractuelle fondée sur l'article 1457 C.c.Q. Dans un dossier similaire aux faits relatés, la Cour d'appel du Québec a maintenu la condamnation personnelle d'un actionnaire qui avait vidé sa compagnie en se votant un dividende, laissant ainsi son employé devant une compagnie sans actif pour lui payer une indemnité (Le Groupe Gareau inc. c. Brouillette, Cour d'appel le 30 mai 2013). Il est à noter que la Cour d'appel n'a pas jugé bon de lever le voile corporatif étant donné la faute de l'administrateur actionnaire.
À de nombreuses reprises, les tribunaux ont sanctionné personnellement les administrateurs qui ont soustrait à des créanciers des biens de la société pour leur profit personnel; on parle alors de « fraude paulienne ».
L'article 317 C.c.Q. qui se lit comme suit :
« La responsabilité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou en contravention à une règle intéressant l'ordre public. »
permet quant à lui de mettre en lumière les agissements d'un actionnaire qui utiliserait une compagnie pour commettre l'une des fautes décrites audit article. Donc, lever le voile corporatif.
Comme l'écrit Martel, l'article 317 :
« ... ne crée pas lui-même une source de responsabilité ou un recours autonome, il permet seulement d'appliquer les recours généraux du Code civil en responsabilité contractuelle ou extracontractuelle contre des personnes qui autrement risqueraient d'y échapper en se réfugiant derrière la personnalité distincte d'une plusieurs sociétés. » (La Société par actions vol. 1 par. 1-276)
En conclusion, une compagnie ne peut être utilisée ou servir de paravent à un actionnaire pour commettre une fraude, un abus de droit ou une contravention à une règle d'ordre public.
Au plaisir.