6 degrés. C'est le titre d'une série télé qui
met en vedette un adolescent dont la vision est limitée à 6 degrés. C'est
comme s'il regardait à travers une paille. Une série très attachante et bien
faite.
Dans cette série, l'ado navigue au quotidien entouré
d'angles morts.
La vision chez l'humain est conçue pour voir devant.
Nos yeux sont situés devant notre tête. Leur forme procure une certaine vision
périphérique, mais pour voir derrière il faut se retourner. Certains animaux
ont des yeux de chaque côté de la tête. Ils arrivent à voir presque à 360 degrés.
Comme un mécanisme de protection contre les prédateurs.
Le jugement et l'intelligence
Ce qui différencie l'homme de l'animal, c'est sa
capacité de jugement et son intelligence. Je sais, on dira souvent que tel ou
tel chien est intelligent et que tel autre animal aussi. Je concède le point
sans m'obstiner : notre relation avec les animaux a pris une tangente plus
ou moins saine qui fait que bien des animaux reçoivent bien plus d'attention
que les humains.
De toute façon, notre distinction va beaucoup plus
loin. Nous avons l'intelligence nécessaire pour évaluer une situation, y
réfléchir, être capable de prévoir les contrecoups de nos faits et gestes et,
en prime, nous avons un bagage émotionnel. La combinaison de tout cela permet
d'identifier des valeurs qui guident nos vies.
L'animal ne nous suit plus dans la description que
je viens de faire.
Ce qui est troublant, tout cela étant dit, c'est que
par instinct, l'animal ne nuira pas à son environnement. Il s'y adaptera. Quand
une espèce devient une nuisance pour l'environnement, c'est qu'un déséquilibre
est survenu. On le vit présentement en Estrie et en Montérégie avec un cheptel
de chevreuils nettement trop grand pour l'espace. Il y a un débalancement
évident entre le chevreuil et ses prédateurs. C'est la forêt qui en souffre.
Ce cas précis nous montre bien la dynamique qui
anime l'humain qui doit gérer intelligence, émotions, jugement et
valeurs : qui oserait s'attaquer au problème du cheptel de chevreuil alors
que, conséquemment, un petit Bambi « toute
cute »
serait séparé de sa mère et de sa fratrie?
Vision à 6 degrés
Le pire aveuglement est celui qui est volontaire.
L'humain contemporain, si riche fût-il de son
intelligence et de son jugement, a pris la décision de réduire sa vision
périphérique à 6 degrés. Il fonce. Performe. Se positionne à l'intérieur
d'une hiérarchie qui place les bons au sommet et les pas bons en bas. Et au gré
de leur ascension vers le sommet, les bons ont pris soin de rendre la montée
tellement lisse qu'elle en devient de plus en plus inaccessible à quiconque s'y
aventure. L'aide d'un bon du sommet devient nécessaire pour monter.
Et l'environnement? Et l'équité? Et la solidarité?
Bof... Vu à travers la paille de l'ambition, tout ça
compte bien peu! Après tout, le bon n'obtient que ce qu'il a dument mérité!
Notre vision à 6 degrés nous a poussés plus
haut, plus, dans la conquête du bien-être personnel, de la définition même de
la réussite. Dans le concept de notre vision à 6 degrés, l'important est
de performer et de démontrer notre réussite. Les oiseaux mâles ont un plumage
plus flamboyant que celui des femelles. Ils s'en servent pour séduire celle-ci,
renvoyant l'image de celui avec qui ils ont le goût de faire des petits. Les
logos qu'on affiche fièrement sur ce qu'on possède jouent le même rôle.
Pourtant, `ce stade-ci de notre aventure humaine, le
jugement devrait nous tourmenter. La Covid-19 ramène des situations qui
demandent réflexion, échanges et analyses. Il faut quitter le mode 6 degrés
et, en s'appuyant sur les connaissances acquises, se donner une vision de 360 degrés,
n'oubliant pas, au passage d'ajouter la notion de temps. Comprendre le chemin
parcouru et anticiper le chemin à venir.
C'est avec ça en tête qu'on doit, à mon avis, penser
aux personnes aînées et au sort qu'on leur réserve. C'est en pensant à cela
qu'on doit analyser les projets de pipeline. Qu'on doit reconnaître la
dynamique défaillante de notre système de santé. De notre système d'éducation.
De la problématique de l'accès à un logement décent. C'est avec ça en tête qu'on
doit considérer notre rapport à l'autre.
Le temps n'est plus aux paroles apparemment pleines
de bienveillance. La bienveillance se vit plus qu'elle ne se dit.
On devrait minimalement voir une contradiction dans
l'expression de notre volonté à protéger l'environnement tout en construisant
des pipelines et gazoducs.
"On a deux yeux, deux oreilles et une seule bouche. On
devrait voir et entendre deux fois plus qu'on ne parle!", disait l'autre.
Comme on n'arrête pas le progrès, disait aussi
l'autre, voilà qu'on a réussi à balancer ça aussi : juste une bouche? Qu'à
cela ne tienne, on parlera des deux côtés de celle-ci!
Clin d'œil de la semaine
"On voit la paille dans l'oeil de son voisin, mais pas la
poutre dans le sien"
La version moderne "On voit notre voisin à travers une paille. Ça évite
de se demander s'il y a une poutre quelque part"!