Regarderez-vous le Bye Bye dans
deux jours ? Puis, quelques jours plus tard si ce n'est le lendemain les médias
regorgeront de critiques et de commentaires sur ce que l'on aura aimé ou pas
du Bye Bye 2021. On s'avisera sûrement de critiquer les
comédiens, le choix des sujets, la réussite ou non de certaines imitations. Pas
de doute que la pandémie, les covidiots, la campagne électorale fédérale, les
discours complotistes, le racisme systémique, l'hécatombe des CHSLD ainsi que
des références à la montée de l'extrême droite en France avec Éric Zemmour en
vedette risquent d'occuper une place de choix dans cette revue de fin d'année. C'est
toujours amusant quand on regarde une émission du Bye Bye de
confronter la lecture de l'actualité qui en est faite avec la nôtre. Bien sûr,
il y a aussi la façon dont cela sera abordé. Chose certaine, critiquer le Bye
Bye, c'est la routine du jour de l'an. Business as usual. Mais si
l'on se demandait, plutôt que de jouer au critique spécialisé du Bye
Bye de cette année, d'où vient cette tradition de se réunir en famille
pour voir les faits marquants de l'année.
Le Bye Bye de
Radio-Canada
Certains diraient à juste titre de la revue de fin
d'année, le Bye Bye, qu'il est une tradition bien ancrée perpétuée
par la Société Radio-Canada depuis 1968.
Voici l'historique que l'on peut retrouver
sur Wikipédia :
« L'émission a été présentée toutes les années de
1968 à 1998. Toutefois, en raison de la démission des membres de l'équipe
du Bye Bye 1997, le spécial n'a pas été présenté cette
année-là. Cependant, une rétrospective des meilleurs Bye Bye avait
été diffusée. En 1998, Daniel Lemire prend en charge toute la structure
du Bye Bye. Ce fut le dernier spécial jusqu'à ce que
Radio-Canada engage Véronique Cloutier pour une nouvelle formule en 2003.
L'année 2004 ayant été difficile pour Cloutier, Radio-Canada a décidé de
ne pas renouveler l'expérience.
À la demande populaire et constatant qu'il n'y
avait plus de domination télévisuelle la veille du Jour de l'an, Radio-Canada
engage le groupe Rock et Belles Oreilles (RBO) pour concevoir une nouvelle
mouture du Bye Bye, celui de 2006, afin de souligner les
25 années d'existence du groupe. C'est aussi RBO qui a conçu le Bye
Bye 2007. Toutefois, en 2008, Radio-Canada s'est tournée à
nouveau vers Véronique Cloutier pour animer et produire cette revue télévisée
de fin d'année.
Avant de recevoir l'appellation Bye Bye,
le concept a été présenté sous un autre nom, soit Salut '57 !,
diffusé le 31 décembre 1956, le 31 décembre 1957 et puis pendant
trois autres années, de 1959 à 1961 c'est l'émission Au p'tit café qui
se charge de la revue de l'année qui se termine. D'autres comme Zéro de
conduite, Ça va éclater ! et, Les Couche-tard furent aussi utilisés pour les
spéciaux de fin d'année présentés les télédiffuseurs.
La comédienne et humoriste Dominique Michel a
participé à pas moins de dix-sept Bye Bye dans toute sa
carrière, incluant le spécial de 1997, 30 fois Bye Bye. Ce fut
ainsi son dernier Bye Bye. »
Cela conforte sûrement celles et ceux qui ont
répondu que le Bye Bye est une tradition purement télévisuelle
implantée par la Société Radio-Canada. Mais ce n'est pas toute la vérité. S'il
est vrai que la formule des Bye Bye télévisuels est issue de
Radio-Canada et de la télévision, la tradition des revues d'actualité est un
pur produit du début du théâtre et du début de la scène à Montréal au 19e siècle.
Voyons cela de plus près.
Montréal, Québec Canada, 1900
Les premières revues d'actualité occupent une large
place sur la scène culturelle montréalaise au début du 20e siècle.
La population se prend d'affection pour ces nouveaux produits culturels et on y
retrouve autant un public ouvrier qu'un public de classes bourgeoises. C'est
d'ailleurs à partir de ces revues d'actualité que se créera au Québec une
véritable tradition théâtrale.
Les revues d'actualité sont des spectacles
hétéroclites composés de plusieurs sketchs, chansons, saynètes et monologues.
De façon générale, ces revues traitent d'événements d'actualité de la vie et
sociale de l'époque et elles mettent en vedette des politiciens et des
personnalités connues. On y retrouve aussi des personnages insolites inventés
de toutes pièces comme le personnage Maison à louer, Scandale de l'électricité.
Règle générale, la trame narrative est assurée par une commère ou un compère
qui raconte au public présent une histoire en se servant de lieux et de
personnages.
La
meilleure revue de cette époque selon les auteurs est Le diable en
ville d'Alexandre Sylvio. La presse relate ce spectacle de la façon
suivante : « Le diable est revenu sur terre pour se rendre compte de ce
qui s'y passe, étant donné du grand nombre de mortels qu'il reçoit dans son
domaine. Il fait le tour de la ville et avec ses deux personnages qui
l'accompagnent, on visite l'Hôtel Mont-Royal, on rencontre l'heure normale,
l'amateur de radio, une salle de théâtre, un cinéma. Les situations sont cocasses
et l'humour est au rendez-vous. » On retrouve là l'essence même des Bye
Bye d'aujourd'hui même si le produit culturel a beaucoup évolué.
Des racines françaises
« Ces revues d'actualité ont des racines proprement
françaises. Elles ont été les principales attractions culturelles à Montréal de
1900 à 1930 et ont accompagné la venue de la modernité au Québec. On doit les
premières revues d'actualité locale à des Français établis à Montréal tels les
frères Delville, Numa Blès et Lucien Boyer. Par la suite, on retrouve une
influence américaine par le biais des spectacles de variétés et du burlesque.
Alexandre Sylvio produit Y'en a dedans en 1927. Ce spectacle aligne
saynètes, dialogues, sketchs, parodies, chansons en solo ou en duo, en plus
d'un burlesque de la vie moderne intitulé le progrès en l'an 50. »
(Lacasse et coll., p. 103.)
Les revues d'actualité connaîtront un immense
succès et elles seront supplantées à la fin des années 30 par la radio et
le théâtre qui commence à prendre de l'importance sur les scènes de Montréal.
Ce n'est que vers la fin des années 1950, plus précisément en 1957, que
ces revues d'actualité reprendront forme à la télévision avant de devenir la
tradition des Bye Bye que nous connaissons si bien
aujourd'hui.
Le Bye Bye 2021
Au moment où j'écris cette chronique, je ne sais
pas si le Bye Bye 2021 sera une bonne cuvée. Je sais
cependant qu'il fera selon toute vraisemblance une large place à la COVID-19,
aux covidiots, au bon Dr Arruda, à François Legault et Justin Trudeau.
Parlera-t-on des Premières Nations et de la macabre découverte de corps aux
abords des anciens pensionnats ? Simon Jolin-Barette nous parlera-t-il à
nouveau de son projet de Loi à venir sur la langue française ou de celui de la
réforme du Code civil et des genres ? Comment traitera-t-on des gourous de la
nouvelle censure aux sensibilités élevées à toute injustice réelle ou
fantasmée ? De nombreuses options s'offrent aux scripteurs du Bye Bye qui
ont l'embarras du choix en ce qui le concerne. Chose certaine, l'édition
du Bye Bye 2021 fera l'objet de moult commentaires de la
part de tous les observateurs comme le sont toutes les émissions de télévision
qui ont encore le privilège d'avoir une cote d'écoute de plus d'un million de
téléspectatrices et de téléspectateurs. Ce que je sais cependant c'est que
ce Bye Bye 2021 est issu d'une vieille tradition de
revue d'actualité qui a dû faire face en leur temps à de nombreuses critiques
et même à la censure de l'Église catholique. Une Église qui n'aimait pas
beaucoup le théâtre léger et l'humour grinçant de pièces comme Le
diable en ville. Autres temps, autres mœurs me direz-vous.
Ce qu'il faut retenir c'est que si la critique est parfois
dure envers nos créateurs culturels, nous pouvons au moins nous consoler du
fait que nous n'avons plus la censure de l'Église, bien que nous ayons
maintenant celle d'une nouvelle gauche irascible. En ce début d'année 2022,
rappelons-nous combien la liberté d'expression est une valeur chère pour nous
tous...
SANTÉ, Bonheur et Prospérité pour 2022 !
Lectures recommandées :
Germain Lacasse, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, Le diable en ville, Alexandre
Sylvio et L'émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal,
Presses universitaires de Montréal, 2012, 306 p.
- Le texte de cette chronique a déjà été publié, mais cette version
est remaniée.