Durant les dernières décennies, la Chine était dans une lancée spectaculaire quant à l'érection de mégastructures. Le développement de ses infrastructures était mis à l'avant-plan et les plus grandes compagnies du monde furent sollicitées afin de faire briller ce nouveau géant planétaire. Depuis quelques années, nous assistons à un certain ralentissement, mais la Chine demeure le pays possédant le plus grand nombre de chantiers en cours. L'une de ces mégastructures fut officiellement ouverte en 2003 : il s'agit du Barrage des Trois-Gorges.
Il s'agit du plus grand et du plus puissant barrage au monde avec un débit moyen de 30 000 m3/seconde, comparativement à 4300 m3/seconde pour notre imposante Centrale Robert-Bourassa. Plusieurs compagnies canadiennes et québécoises, comme SNC Lavalin et Hydro-Québec, participèrent à ce projet en apportant leur expertise en la matière. Ce qui demeure le plus impressionnant à mes yeux est davantage la transformation radicale du territoire qui fut effectuée en amont de celui-ci. En effet, lorsque le gouvernement chinois décida d'harnacher le plus long fleuve d'Asie (3e au monde), le Yangtze ou Fleuve Bleu, il dû prendre une décision éthiquement, socialement et culturellement inacceptable aux yeux du monde entier : faire monter le niveau de l'eau et ainsi inonder près de 400 kilomètres linéaires de villes et villages riverains. En plus de ces centaines de communautés, plusieurs sites religieux et patrimoniaux furent sacrifiés au profit du sacro-saint développement économique, qui nécessite de plus en plus d'énergie. Les quelques sites jugés plus importants furent déplacés plus en altitude afin de les préserver; le reste est maintenant sous l'eau. Dès le début de la construction, le gouvernement chinois a fait ériger plusieurs escaliers larges d'une dizaine de mètres, qui montent de la rivière Yangtze jusqu'à une bonne hauteur sur les flancs de montagnes qui forment sa vallée. En bref, les autorités ont annoncé à la population qu'ils avaient un nombre x de mois, dépendamment de leur emplacement, pour tout déménager en haut des marches! Des millions de personnes furent touchées.
Cette situation particulière donna naissance à une industrie touristique toute aussi singulière. Des croisières fluviales quittent la ville de Chongqing pour tranquillement descendre vers Yichang, où se situe le barrage en question, en passant par de splendides paysages d'escarpements rocheux. Je ne suis pas trop fervent des croisières normalement, mais cette fois-ci, ça me semblait le moyen idéal pour parcourir une bonne distance vers la côte sans s'encastrer dans un bus, tout en visitant une région remplie d'histoire et de richesses culturelles. Mon ami Yannick et moi nous sommes donc dirigés au port de Chongqing pour acheter des billets pour une croisière de 4 jours / 3 nuits, repas et sorties compris, pour environ 120$ chacun. De se présenter au port est, d'après moi, la meilleure solution pour un voyageur afin d'éviter les prix ridiculement élevés, affichés sur les sites Internet. Il faut avouer que ce type d'activité est principalement prisé par les Chinois eux-mêmes, ce qui explique que nous étions les seuls étrangers sur un total de 300 passagers! Ce fut toute une expérience d'intégration culturelle, mais nous étions là pour ça... Durant le trajet, nous arrêtions dans des villages fantômes, à moitié inondés, pour visiter des temples, des mausolées ou des châteaux qui ne seront bientôt accessibles qu'aux poissons et aux plongeurs. Le village de Fengdu fut particulièrement intéressant, car il abrite des centaines de sculptures et fresques dédiées aux démons et autres créatures de leur mythologie. C'était vraiment spécial de voir des routes bordées de fils électriques se diriger directement dans l'eau; d'apercevoir le toit d'une maison vaguement émerger de l'eau à proximité de la coque de notre bateau; de voir des gens faire des allers-retours, les bras chargés, afin de déménager leurs avoirs en haut de la montagne.
Outre les sorties, il y avait la vie sur le bateau. Yannick et moi partagions notre cabine avec 4 autres passagers venant du Hubei... C'est certain que de se faire réveiller chaque matin à 6:00 par des gens qui parlent (ou plutôt hurlent) entre eux à un moins d'un mètre de son oreille n'est pas le réveil tant souhaité, mais ça nous a appris à mieux connaître les Chinois et leur rapport à autrui. Les soirées étaient bien animées aussi, il y avait des chanteurs, des musiciens et surtout, du karaoké et de la danse! Comme nous étions les seuls étrangers, les animateurs de soirée semblaient bien s'amuser à nos dépends, afin de faire rire leurs compatriotes. Loin de nous agacer, cela nous a permis de se rapprocher et de fraterniser plus aisément avec ces derniers.
Un soir, nous sommes sortis sur le pont avant avec une «Tsingtao» bien froide pour voir le ciel étoilé et pour constater la beauté du paysage accidenté à la lueur de la lune. Au moment où le ciel nous offrait sa plus brillante performance, nous avons vu une météorite traverser le ciel avec sa longue trainée! WOW! Beau cadeau de la vie.
Les « Petites Trois-Gorges » sont situées sur un magnifique affluent du Yangtse, le Shennong. À cet endroit, il faut débarquer du navire pour prendre de petites embarcations qui nous conduisent dans des passages plus étroits et dont les parois à angles droits sont si élevées que le nombre d'heures d'ensoleillement quotidien en est grandement réduit. Grâce à ses paysages inusités, cet arrêt constitue la plus belle partie de la croisière.
Le clou de notre périple est le fameux barrage lui-même : un ouvrage titanesque de plus de deux kilomètres de longueur et de 185 mètres de hauteur! Je venais de visiter LG2 à la Baie-James et j'avais l'impression que le nôtre était plus gros... et c'est le cas! Cependant, celui des Trois-Gorges possède le double de turbines et peut produire quatre fois plus d'électricité! C'est en parlant à un employé de la centrale que je compris que l'importance de se barrage ne se situe pas seulement dans la production d'énergie, mais également dans le contrôle des crues et dans le désenclavement des régions plus à l'ouest, en permettant le transport des grands navires sur plus de 600 kilomètres supplémentaires.
Je vous souhaite de belles découvertes dans cet autre monde qu'est la Chine! En attendant, ma prochaine chronique portera sur les destinations les plus populaires de ce pays, dans lequel voyager avec son sac-à-dos est plus accessible qu'on le croit.
