Vous décidez de vous construire une résidence, vous faites
affaire avec un contracteur, vous vous entendez avec ledit contracteur pour
payer « au noir » certains travaux, y aura-t-il des conséquences?
Eh bien oui et comme vous le verrez les conséquences peuvent
être des plus coûteuses pour les parties.
Dans l'affaire DF Coffrages inc. vs François Grimard et
Francine Laplante, l'honorable Pierre Bachand J.C.Q. a eu à se prononcer sur le
sujet (1).
Les faits
Les parties conviennent de diminuer le coût total du contrat
de construction de 230 198,53 $ à 170 198,53 $ évitant ainsi de payer
les taxes sur 60 000 $ ; ce montant de 60 000 $ aurait ainsi été payé
« au noir ».
À la phase finale de la construction, la situation se détériore.
Les parties ne s'entendent plus sur le paiement des travaux et entre autres,
sur les paiements des modifications apportées au projet.
Après avoir analysé le contrat signé entre les parties, le
Tribunal retient le paragraphe où il est question des modifications qui peuvent
être apportées au contrat soit par l'ajout ou le retrait de certains travaux.
Le juge retient que les parties se sont engagés « ... à plus
que ce prévoit la loi... » (1) en s'obligeant à constater dans un écrit les
ajouts et les retraits au contrat original.
C'est ainsi que les défendeurs déclarent avoir payé au fur
et à mesure les travaux additionnels modifiant le contrat quand le demandeur DF
Coffrages inc. leur présentait dans un écrit les coûts additionnels ; à
l'inverse le représentant de DF Coffrages inc. prétendait que les parties
s'entendaient verbalement et que le paiement des travaux additionnels était
reporté.
Sur ce point, le juge affirme que si la version de DF
Coffrages inc. est la bonne, la sanction est lourde puisque ce dernier n'ayant
pas fourni d'écrits comme le prévoit le contrat, ses réclamations sur les
travaux additionnels seront irrecevables.
Ayant entendu la preuve sur les travaux payés « au noir »,
le Tribunal se questionne de la façon suivante :
(31) Y a-t-il nullité absolue du
contrat du fait que les parties ont agi de concert pour frauder le fisc? Si oui,
quelles en sont les conséquences? (1)
Après un examen très élaboré de la jurisprudence, le juge
conclut :
(42) La jurisprudence et la
doctrine arrivent aux mêmes conclusions. Par conséquent, la preuve étant faite
de part et d'autre de l'entente illicite visant à frauder l'État, le Tribunal
doit constater la nullité absolue de ce contrat et par conséquent, il n'est pas
susceptible d'exécution judiciaire. (1)
Puisque DF Coffrages inc. demande le paiement pour des
travaux additionnels et que les défendeurs Grimard et Laplante réclament pour
des malfaçons, des travaux non exécutés et des dommages, le Tribunal citera la
Cour d'appel dans la décision Les Amusements St-Gervais (2) :
(37) La Cour a adopté récemment
sous la plume du juge en chef une position similaire à celle des auteurs
Beaudoin et Jobin ; celui qui commet sciemment un acte illicite peut se voir
refuser son exécution.
Le Tribunal adoptant la position de la Cour d'appel,
ajoutera :
(50) .... De plus, la nullité
absolue met fin à toutes relations contractuelles des parties, notamment à la
garantie pour vices de construction et malfaçons.
Les avocats de la demanderesse ayant invoqué que le paiement
« au noir » se rapportait uniquement au contrat initial et que les travaux
additionnels constituaient eux un nouveau contrat, le juge rejette carrément
cette position puisqu'aux yeux de la Cour :
(53) ... De plus, on ne peut tenter
de bonifier le contrat en disant que 81,95 % des travaux l'ont été en
conformité des lois. Décider ainsi serait évacuer les fraudes aux lois
fiscales. S'il fallait se rendre à cet argument où s'arrêterait-on? À 51 %
illicite et immoral, un contrat serait nul et à moins de 50 %, il serait
valide? (1)
Discutant de la demande reconventionnelle présentée par
Grimard et Laplante, la Cour affirmera :
(54) D'abord, il va de soi qu'un
contrat nul de nullité absolue l'est autant pour l'une que pour l'autre partie.
Cela entraine les mêmes conséquences juridiques. Par conséquent, toutes les
réclamations pour malfaçon, pour inexécution partielle du contrat et pour
dommages contractuels ne sont pas susceptibles de sanctions judiciaires. (1)
Pour ces motifs, le Tribunal rejettera les deux demandes
adressées par DF Coffrages inc. ainsi que Grimard et Laplante.
Ce jugement bien étoffé démontre clairement qu'avant de
contracter « au noir » il y a lieu de se questionner. Non seulement vous
frauder l'état en ne payant pas les taxes, mais vous vous privez des droits légitimes
qui accompagnent le respect des lois, comme dans le présent dossier, de faire
en sorte que les travaux mal exécutés soient refaits ou, dans le cas de l'entrepreneur,
que vos travaux additionnels soient rémunérés.
Au plaisir,
Me Michel Joncas, avocat
(1) 2015 QCCQ 4282
(2) AZ-50069914 C.A.