Il y a quelques jours, la docteure Anne-Isabelle Dionne
ainsi que plusieurs autres médecins ont sorti une lettre ouverte traitant des
lacunes du système de santé actuel et de plusieurs solutions pour l'améliorer.
Aujourd'hui, je prends donc la tribune qui m'est offerte pour participer à la
diffusion de ce message fort et vrai. Je partage chaque mot de ce texte qui,
espérons-le, trouvera son chemin vers les décideurs d'aujourd'hui et de demain.
Lorsque le changement ne vient pas du haut de la pyramide décisionnelle, il ne
peut venir que du bas. Si la population continue d'ouvrir les yeux sur
l'importance de la prévention de la maladie et non seulement de son traitement,
le système devra s'adapter pour répondre à ce nouveau besoin. L'intégration au
système de la santé des professionnels de l'activité physique, de la nutrition,
du sommeil, de la psychologie et des saines habitudes de vie devient chaque
jour une évidence de plus en plus présente dans l'opinion publique. Cette
lettre ouverte arrive juste à point. Bonne lecture.
« 79 % des Canadiens qui cherchent à être en meilleure
santé ont utilisé au moins un service au niveau des approches complémentaires
parfois appelées approches alternatives en plus ou plutôt que les soins
conventionnels offerts gratuitement dans le système de santé actuel [1].
Étonnant ?
Non, inspirant !
Comme médecins, nous avons appris au cours de notre
formation une quantité incommensurable d'informations relatives à la santé de
l'humain et de son homéostasie. Les longues études universitaires et
particulièrement l'exposition clinique à des patients nous ont appris à devenir
d'excellents cliniciens. Nous sommes habilement capables de répertorier les signes
cliniques et les symptômes ressentis par le patient pour ensuite élaborer un
diagnostic différentiel raffiné. Une fois que le patient est mis dans la « boite
» du diagnostic, nous sommes les experts de la maîtrise du traitement de
première, deuxième ou troisième ligne et de ses effets cliniques supposés.
Cependant, lorsque cette approche ne fonctionne pas, que le patient est
toujours en souffrance, il peut se passer deux choses : soit on tente
de changer le patient de « boite » de diagnostic et on réessaye un autre
traitement médicamenteux (en se croisant les doigts!) ou on admet que la
médecine actuelle ne peut plus rien faire pour lui. Rendu à ce point, le
patient peut manquer de patience, mais surtout de réponses.
Nos lignes directrices qui appuient le dépistage de
nombreuses conditions en première ligne (cancer, maladie métabolique ou autre)
ont été élaborées pour que l'on soit capable de prescrire un traitement
pharmacologique ou chirurgical au moment du diagnostic dans le but de prévenir
une complication ou un décès relié à la condition en question qui engendrerait
parallèlement des coûts significatifs pour le système de santé. Cependant,
aucune indication de dépistage systématique en première ligne n'existe pour
orienter la prise en charge des habitudes de vie de nos patients de façon
personnalisée dans le but qu'ils ne développent jamais ces maladies. Tant qu'un
patient n'est pas placé dans la « boîte » d'un diagnostic quelconque, il n'a
pas lieu d'intervenir (voir ici, on se met un peu la tête dans le sable!). Ce
n'est pas parce qu'un patient n'a aucun diagnostic qu'il est en excellente
santé, bien au contraire!
Et pourtant, une puissance immense de nos interventions en
tant que médecin serait particulièrement observée à cet exact moment, avant même
que les critères de maladie ne se manifestent. On pourrait habilement réussir à
améliorer des comportements ou habitudes de vie ayant le potentiel de favoriser
un meilleur équilibre de la santé humaine. La prévention réelle est beaucoup
plus qu'un dépistage précoce de la maladie pour l'attraper à un stade de
développement peu avancé. C'est l'art d'orienter et d'influencer les habitudes
de vie du patient, entre autres par la personnalisation des conseils les plus
favorables pour chaque individu, mais aussi et surtout de réussir à mobiliser
le patient pour qu'il soit à l'avant plan dans ce processus de création de
santé en y étant l'acteur principal.
Serait-il temps de se questionner sur la pertinence de nos
méthodes actuelles de nos approches avec le patient à l'ère des épidémies de
maladies chroniques? La médecine conventionnelle est d'une efficacité
spectaculaire dans la gestion de maladies aiguës et/ou menaçant la vie, mais
nous ne pouvons pas en dire autant par rapport à notre performance sur la gestion
des maladies chroniques, dont l'incidence ne cesse de s'accroître à mesure que
de nouvelles thérapies sont accessibles pour les traiter (paradoxalement!). Ces
maladies, toutes issues de comportements malsains au quotidien, pourraient être
prévenues en majorité si on savait mieux comment accompagner de façon plus
efficace, en esquivant le paternalisme médical usuel et en mobilisant le
patient pour faire de sa santé le leitmotiv de ses actions. Les choix de
médicaments à prescrire recommandés par les lignes directrices dans la gestion
de plusieurs maladies chroniques sont maintenant plus nombreux que le nombre de
minutes que nous avons à consacrer à la communication, à l'éducation, à la
mobilisation du patient et sa responsabilisation en regard de sa propre santé
lorsque celui-ci est dans notre bureau. Et puis après un patient, vient
l'autre... puis l'autre.
Que cherche le patient à l'extérieur du cabinet du médecin?
Se pourrait-il que l'approche pharmacologique que nous valorisons tous et que
nous appliquons assez facilement dans la prise en charge de nos patients ne
soit pas réellement ce que le patient désire pour soutenir sa santé et ce dont
il a réellement besoin? On rétablit rarement la santé avec les médicaments, on
freine simplement l'évolution d'une maladie. Tout comme l'a défini l'OMS, la
santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne
consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Mais en
réalité, que ferait le médecin s'il n'y avait plus de maladie chez son patient?
Sommes-nous réellement aptes, comme médecins, avec nos connaissances actuelles,
à adresser et optimiser cet état de bien-être complet, même s'il y a absence de
maladie? Se pourrait-il que d'autres professionnels aient les compétences et
connaissances complémentaires que les médecins n'ont pas ou peu afin de
soutenir efficacement la santé en concordance avec les valeurs du patient ?
Le patient nous démontre qu'il a le désir de se sentir en
meilleure santé en investissant dans les approches complémentaires. Je rêve du
moment où le patient sera réellement au centre de ses soins en matière de santé
et où nous serons en mesure de lui présenter toutes ses options bien-être et
l'accompagnerons dans ce sens, sans jugement, dans l'ouverture et le respect de
la personne qui est devant nous et en l'aidant à se réapproprier sa santé et
savoir comment la maintenir. Soyons tous, professionnels de la santé et
praticiens en approches complémentaires, collaborants, rigoureux et dotons-nous
de structures de protection pour le public, mais sans pour autant lui enlever
la possibilité d'avoir à choisir entre les médecines conventionnelles ou les
approches complémentaires. La santé passe par de l'écoute et du soutien pour
optimiser la nutrition, le mouvement, la gestion du stress, le sommeil, la
spiritualité, les relations sociales, la qualité de l'environnement, etc. Il
n'est pas absolument nécessaire d'être médecin pour agir en ce sens, mais c'est
définitivement dans cette direction que nous créerons plus de santé! »
Dre Anne-Isabelle Dionne MD
Dre Dionne est omnipraticienne depuis 2014 et pratique aux
soins intensifs de l'hôpital Honoré-Mercier de St-Hyacinthe ainsi que dans un
GMF sur la Rive-Sud de Montréal. Elle a fondé en 2018 un centre de médecine
préventive se spécialisant dans l'accompagnement des gens souffrant de
problèmes de santé divers dans l'amélioration de leurs habitudes de vie au
quotidien par le biais de l'alimentation, l'activité physique, la gestion du
stress et du sommeil. Le Centre Axis est un OBNL qui offre une prise en charge
multidisciplinaire à visée préventive à la population générale désirant
améliorer leur santé, prévenir ou renverser une maladie chronique connue tout
en diminuant le besoin de médication associé.
Dre Raphaëlle Leroux-Levesques MD
Dre Leroux-Levesques est diplômée de la faculté de médecine
de l'Université de Sherbrooke en 2004. Elle a complété une formation à l'unité
de médecine familiale de Moncton au Nouveau-Brunswick en plus d'une formation
complémentaire en médecine d'urgence. Depuis 2007, elle pratique à l'urgence et
aux soins intensifs de l'hôpital Honoré-Mercier à St-Hyacinthe. Son intérêt
pour la santé intégrative, l'activité physique et la nutrition l'a
naturellement amenée à s'impliquer auprès du Centre Axis. Récipiendaire du Prix
de leadership pour étudiant en médecine de l'Université de Sherbrooke en 2004,
elle souhaite utiliser cette qualité pour contribuer au développement du Centre
Axis.
Cosignataires :
Dre Anne-Isabelle Dionne MD, omnipraticienne
Dre Raphaëlle Leroux-Lévesques MD, omnipraticienne
Dre Catherine Bouchard MD, omnipraticienne
Dre Marie-Ève Bouchard Rochette MD, omnipraticienne
Dre Jane Omer MD, omnipraticienne
Dre Sophie Stavrinidis MD, cardiologue
Dre Émilie Boisvert MD, omnipraticienne
Dre Alexandra Albert MD, rhumatologue
Dr Éric Sauvageau MD, omnipraticien
Dre Anne-Marie Bédard MD, omnipraticienne
Dre Anne Levesque MD, omnipraticienne
Dre Marion Dumais MD, omnipraticienne
Dre Évelyne Borduas Roy MD, omnipraticienne
Dre Lyne Desautels MD, omnipraticienne
Dre Pascale Hudon MD, omnipraticienne
Dr Pierre Cloutier MD, omnipraticien
Dr Hugo Viens MD, Chirurgien orthopédique
Dr Alain Bédard MD, omnipraticien
Dr Gaétan Brouillard MD, omnipraticien
Dr Bernard Bassleer MD (Belgique), Cardiologue
Dre Peggy Pères MD (France), omnipraticienne
[1] ESMAIL,
NADEEM (2017), Complementary and Alternative Medicine : Use and Public
Attitutes 1997, 2006, and 2016, Fraser Institute, Alberta, 79 p. (en ligne
consulté le 18 septembre 2017 https:// www.fraserinstitute.org/sites/default/files/complementary-and-alternative-medicine-2017.pdf
Pierre-Olivier Pinard B.Sc. CFMP cand. DESS