Une
personne trans peut tout à fait être transphobe, ou du moins, avoir des
réflexes et des automatismes sociaux qui témoignent d'une transphobie
internalisée. Cette transphobie est plus souvent qu'autrement involontaire et
socialement apprise. Elle ne témoigne pas d'une haine active d'une personne
trans envers une autre personne trans, mais plutôt de l'observation et de
l'adoption de croyances transphobes par une personne trans comme réflexe de
survie. Non seulement la personne trans est en train de correspondre et de
survivre, mais elle peut aussi réagir de cette façon pour justifier la honte
qu'elle ressent envers elle-même. Cette honte n'est pas innée, elle est acquise
par l'observation de commentaires et comportements sociaux qu'on lui projette
dès son début d'affirmation de genre.
Je
sais que je suis transphobe depuis mes 7-8 ans. Je ne suis pas activement
transphobe, j'ai simplement une bonne dose de croyances transphobes à
déconstruire. J'ai grandi dans un milieu qui véhiculait une tonne de préjugés
sur les rôles et les attributs de genre, mais également sur les personnes
trans. Avant 2010-2015, il n'y avait pas vraiment de représentations réalistes
et saines de personnes trans. Mon entourage n'avait pas particulièrement de
connaissances sur la diversité sexuelle et de genres et ne pouvait pas vraiment
m'aider à ce sujet. Donc, ayant vécu mon enfance et adolescence entre 1985 et
2000, j'ai eu accès à un modèle assez simple et répétitif de personne trans.
Dans ma tête, c'était clair que si j'étais trans, je n'avais qu'une
possibilité : être une personne hypersexualisée devant tolérer
l'impossible pour être aimée et désirée, ressemblant plus souvent qu'autrement
à une farce ou un clown, ne ressemblant jamais au genre à laquelle je
m'identifie. La fin de mon histoire, le moment durant lequel on dit
généralement qu'ils et elles vécurent heureux jusqu'à la fin des temps, était
pour moi un moment qui s'annonçait fatidique. Il n'existait pas de modèle de
personne trans heureuse.
Comment
s'exprime la transphobie internalisée ?
La
transphobie internalisée s'exprime sous différentes formes. Pour ma part, j'ai
une personne près de moi qui ne croit pas en mon existence. Elle pense que je
fais à semblant, que j'essaie d'obtenir de l'attention en m'affirmant
non-binaire ou que je suis juste une personne un peu trop stupide pour
comprendre le concept de genres. Ses pensées sont complètement incohérentes,
mais étant donné son rôle autrefois important dans ma vie (cette personne fait
partie de ma famille), elles refont surface souvent dans ma tête. Je me
questionne sur ma propre légitimité et ma propre existence. Je ressens sa haine
et l'absorbe comme une éponge. Et puis, je me dévalorise en raison de mon
identité de genres. À chaque fois qu'une personne dans la rue me regarde avec
dégoût, je le vois. Cette haine-là, je n'y donne pas beaucoup d'importance,
mais je récolte l'avis un peu comme un sondage. C'est rare les jours ou mon
sondage me donne un résultat positif, parce que les personnes mal à l'aise avec
la transidentité ou transphobes, il y en a pas mal plus qu'on peut le penser. C'est
l'absorption de cette haine que j'appelle transphobie internalisée.
Donc,
lorsqu'on commence à affirmer son ou ses genres, on a plusieurs défis. Le
premier est bien entendu d'affirmer cette identité de genres et de soulever les
questionnements en lien, d'avoir l'énergie pour ensuite apporter les
changements nécessaires à notre bonheur. Le deuxième, c'est de questionner
notre entourage et les relations qu'on entretient. Étant donné le peu de
personnes réellement non transphobes, il faut choisir avec minutie son
entourage, si on a le privilège d'être entouré.es. Troisièmement, un travail de
déconstruction de genres se met en marche, autant pour notre propre personne,
que comme une réflexion collective. Et puis, finalement, il y a un énorme
travail sur soi à faire, pour ne pas se nuire et nuire à d'autres personnes
dans notre entourage : il faut décortiquer et déconstruire notre
transphobie internalisée. Si j'avais à parier, sans dire que c'est un phénomène
universel, considérant la société dont nous faisons partie, je suis pas mal
convaincu que c'est un phénomène très commun chez les personnes trans. Bien
sûr, cette dernière donnée n'est pas basée sur une étude, elle n'est qu'une
opinion, un ressenti. Ça vaut ce que ça vaut.
Une
des conclusions qu'on peut avoir suite à la lecture de cet article est
simplement que notre société nous influence que notre genre ait été assigné à
la naissance, ou non. La transphobie n'est pas un phénomène réservé aux
personnes cisgenres. En même temps, la transphobie internalisée n'est pas
nuisible pour une autre personne que la personne le portant et elle disparaît
souvent ou s'atténue suite à un travail sur soi. La transphobie active ou
systémique des personnes cisgenres contribue à discriminer activement les
personnes trans et à les marginaliser davantage. Elle a des impacts réels sur
leur vie en général et est l'expression d'un sentiment d'insécurité et
d'ignorance de personnes pour une personne ou un genre qu'elles ne connaissent
pas.
La
transphobie internalisée est le résultat d'années de persécution, de
transphobie systémique et de violences envers les communautés trans, par des
personnes ne faisant pas partie des communautés LGBTQ+, ou même certaines en
faisant partie. S'attaquer à la transphobie systémique serait un excellent
moyen de renforcer la sécurité des personnes trans et de leur donner
l'opportunité d'avoir une expérience d'affirmation de genre dépourvue de honte
et de haine internalisée.