« Nous
naviguons présentement en zone de turbulences. Attachez bien vos ceintures, on
en a pour un bout! »
Mettons
que vous tombez sur un manuscrit que j'ai écrit en 1990. J'y racontais des
éléments de mon été, cette année-là. Du genre :
« À
la fin de cet été magnifique, un couple unit sa destinée. Les amoureux
deviennent mari et femme. Pour le meilleur et pour le pire, avait dit le
célébrant. Une grande fête suit la cérémonie! L'alcool coule à flots. Il faut
dire que la source, bien que contrebandière, est alimentée par un ami, Jimmy, un
sympathique amérindien qui habite sur sa réserve, à deux kilomètres du
domicile familial. La soirée franchit facilement la nuit et le petit matin est
planant, les volutes de fumée de "pot" se mélangeant à la rosée matinale de ce
matin d'août. Les voisins immédiats de notre couple de tourtereaux, un couple
de Jamaïcains attachant et festif, ont fourni joints et musique envoûtante.
Il y a
deux ans que le mariage a eu lieu. Le couple n'en est plus un. La conjointe
s'est éprise de quelqu'un d'autre. Difficile à accepter pour l'époux qui
n'avait rien vu venir... »
Fin de
mon récit. L'épisode n'est quand même pas unique dans la grande fresque des
histoires d'amour! Rien pour écrire à sa mère, pour reprendre l'expression
consacrée.
Mais
voilà que l'actualité nous amène ailleurs. Dit autrement, mon ouvrage d'il y a
des années pourrait bien être bloqué par le souci de la rectitude sociale à
rebours.
Pourquoi?
Plein de raisons! Le texte associe trop évidemment l'ensemble des nations
autochtones à l'alcool et la contrebande ; il lie l'ensemble des Jamaïcains
à la consommation de « pot » ;
il fait porter le rôle de « trompeuse »
à une femme, ce qui protège faussement les nombreux hommes qui le font ;
il présente un couple trop prévisiblement genré, ce qui est exclusif alors
qu'on cherche à inclure... Bref, à ce temps précis de notre évolution sociale,
bien des raisons justifieraient le rejet public du texte. Peut-être serait-il
brûlé, allez savoir!
Et ça me
trouble. Beaucoup.
Qu'une
bibliothèque accepte de brûler des bouquins, dans une tentative de « réparer »
et d'aseptiser le passé, ça me semble tellement contreproductif et navrant!
L'évolution
des sociétés passe par la compréhension. Et la compréhension passe par la
connaissance des enjeux.
Si quelqu'un
a grandi dans un milieu dans lequel le paternel buvait trop et était violent, ça
ne changera rien à l'histoire d'omettre d'en parler à ses propres enfants, plus
tard. Même qu'il se prive d'une occasion de démontrer les conséquences des
agissements malsains d'un proche sur les siens.
Plutôt
que de déchirer le passé, de faire semblant que rien n'est arrivé, que rien n'a
existé, il vaut mille fois mieux former les esprits à comprendre les choses.
Former les esprits à la pensée critique. Pas la pensée qui critique tout au
sens de chialer sur tout, mais la pensée qui se donne le temps de réfléchir
avant d'agir.
Un compromis
proposé voudrait qu'on colle un avis dans ces œuvres, expliquant que le livre a
été écrit à une autre époque, avec des référents culturels différents.
Je
préférerais qu'on mise sur un apprentissage qui ferait dire au lecteur : « Hey,
boboy! On ne dirait plus ça comme ça aujourd'hui! »,
mais qui ne l'amènera pas à déchirer les pages du passé.
Je
préférerais largement qu'on adhère au principe voulant « qu'on
doit savoir d'où on vient pour savoir où on va ».
Je
préférerais qu'on mette notre énergie à bâtir demain plutôt que d'épurer
inlassablement hier. Plutôt que de traiter hier comme une vaste « fake
news ».
Je
préférerais qu'on mise sur notre capacité à faire la part des choses.
Sinon,
on s'arme comment pour vivre demain si on vit aujourd'hui pour maquiller hier?
Clin
d'œil de la semaine
Depuis
que Monsieur Chose a brûlé toutes les allusions au mot nègre dans son
entourage, il est content et se sent léger : maintenant, il n'est plus
raciste...