Il y a un petit quelque chose à notre époque qui nous en
décourage. Sans chercher à jouer au jeu de l'étiquette, cela aussi est un des
maux de notre époque, on peut s'inquiéter du recul de l'esprit critique et des
questionnements dans nos débats publics. Dans ma dernière chronique, je vous faisais
part de mes appréhensions quant à la babélisation de l'espace public. Ce
phénomène est nourri par les nouveaux outils de communication et surtout de
notre façon d'en d'user. J'avais négligé de m'intéresser au rôle particulier
des médias dits traditionnels dans cette valse que nous dansons sur l'autel du
piétinement de nos valeurs et de nos croyances qui ont fait du Québec ce qu'il
est aujourd'hui.
L'occasion m'en est offerte par un article paru le mercredi 13 juillet
dans Le Devoir sous la signature de la journaliste Annabelle Caillou.
Cet article au titre évocateur : De
l'intérêt public et de celui des victimes. Comment parler (ou pas) des
personnalités dénoncées ?, nous
permet de jeter un regard derrière le décor dans les salles de rédaction de nos
médias sur l'esprit qui anime désormais les choix éditoriaux. Réflexion sur le
droit de participer ou non à l'espace public.
La bien-pensance de notre époque...
Dans les témoignages de Philippe Lépine du journal Métro
et de la rédactrice en chef du journal Le
Devoir Marie-André Chouinard, on apprend que ces deux médias ont mené une
réflexion et débattu de la pertinence ou non de couvrir les activités de
personnalités dénoncées comme l'ont été Maripier Morin et Julien Lacroix. Les réflexions
et les arguments avancés par ces témoignages donnent à réfléchir. Comme l'a
aussi écrit un chroniqueur d'un quotidien local, être propulsé dans l'œil du
public grâce aux médias n'est pas un droit, mais une sorte de privilège. Le
même raisonnement s'applique à d'autres types de personnalités que celles
issues du monde artistique notamment dans le domaine du sport. Nous n'avons
qu'à penser à ce jeune hockeyeur Logan Mailloux repêché par les Canadiens de
Montréal et toujours sans contrat malgré la nature de son geste (diffuser des
photos d'une jeune femme nue sans son consentement) et son grand talent, paraît-il,
de défenseur. Lui aussi, tout comme Julien Lacroix et Maripier Morin ne devrait
pas avoir droit d'être dans l'œil du public. On pourrait selon la logique
défendue par Philippe Lépine lui interdire le droit à une conférence de presse
pour plutôt mettre en évidence des victimes d'actes similaires à celui qu'il a
eu. Mais cela se justifie-t-il dans une société libre et démocratique où comme
le dit Marie-André Chouinard en voulant avoir comme seul guide l'intérêt public :
« Je serais mal à l'aise de
décréter qu'il y a de la potentielle nouvelle freinée à l'entrée en raison de
certains principes. [...] On croit à la réhabilitation, au Québec, et ça vaut
aussi pour les agresseurs sexuels allégués, présumés innocents au regard de la
justice, ajoute-t-elle. On ne peut pas à tout jamais mettre quelqu'un au
rancart, surtout si cette personne a entamé une démarche de réparation. »
Ce débat est
important et il doit être guidé par l'intérêt supérieur du public sinon on est
envahi par la bien-pensance. Un corset idéologique qui n'a rien à envier à une
époque où le Québec tout entier, avec d'heureuses exceptions nous apprennent
les historiens, avait été enseveli sous la chape de plomb de l'Église
catholique.
On peut être
d'accord avec l'idée que d'accéder ou non à l'espace public est un privilège et
non un droit, mais encore faut-il avoir une boussole collective orientée vers
l'intérêt supérieur du public que nous sommes. La question est de savoir quels
crimes, quels méfaits, quels comportements ou attitudes excluent quelqu'un de
l'espace public ? L'autre question plus difficile encore est qui décide de la
nature de ces crimes et de ces méfaits ? Cela ne peut être l'opinion publique
ambiante qui est traversée par des émotions et des dysfonctionnements. Cela ne
peut non plus être les médias ou une quelconque structure de pouvoir élitiste
qui s'érigent en grands-prêtres de la bien-pensance. Au fond, ce qui doit
fonder le droit ou non d'accéder à l'espace public c'est le droit et les
tribunaux. Nos institutions communes qui ont le devoir d'édicter des lois et de
les faire respecter. Pas le tribunal populaire des réseaux sociaux ni les
chapelles intellectuelles universitaires ou médiatiques.
Quand
Mathieu Bock-Côté devient persona non
grata
Je n'ai jamais été un admirateur de Mathieu Bock-Côté, MBC
comme le résume le titre d'un livre à paraître bientôt et qui en fera un
phénomène. On peut discuter longuement des idées de cet imposant personnage
médiatique au Québec et ne pas se reconnaître dans plusieurs de ses combats,
mais peut-on vraiment s'offusquer qu'il revendique le droit pour tous de
pouvoir citer un titre d'un ouvrage paru dans les années 1960 comme celui
de Pierre Vallières sans se faire accuser de racisme ou d'être mis au ban de la
société ? Peut-on reconnaître sans se faire lancer des pierres que généralement
seules les femmes peuvent être enceintes ou avoir des menstruations sans être
bannies de l'espace public comme l'a été la romancière, la mère de Harry Potter
le magicien, J. K. Rowling au Royaume-Uni ? Est-il permis de douter de la
sincérité des phrases creuses, apprises par cœur, sur la reconnaissance des
peuples Premiers et sur la reconnaissance du fait que nous vivons sur des
territoires non cédés ? Ne vaudrait-il pas mieux de leur rétrocéder le
territoire et de ne plus en parler ? Peut-on sans crainte aucune contester
certains aspects de lois-culte comme la Loi 21 sur la laïcité et la Loi 96
sur la langue française sans se faire accuser de tous les maux ?
Moi je crois que la Loi 21 qui légifère les bouts de
chiffon ne fait que témoigner de notre profonde insécurité comme québécois de
souche et que la Loi 96 n'est que du théâtre pour instrumentaliser les
francophones du Québec. Et vlan, je viens de perdre mon droit à l'espace public
auprès des partisans de la CAQ. Je crois aussi que le Parti libéral du Québec
s'est livré mains et poings liés à son électorat anglophone de l'Ouest-de-l'Île
et qu'il est incapable de parler intelligemment de l'avenir du Québec au sein
du fédéralisme canadien. Et vlan, perte de mes privilèges d'accès auprès des
libéraux. Que dire enfin du Parti québécois qui mène un combat courageux sur
l'indépendance du Québec, mais qui ne parvient pas à connecter avec les moins
de 40 ans ? Et vlan, perte de mes privilèges auprès du PQ. Que dire enfin
des conservateurs d'Éric Duhaime qui fédère la colère la plus ignoble que nous
pouvons ressentir et des solidaires qui au nom d'un électoralisme de bon aloi
pactisent avec les radicaux religieux et les wokes pour chercher à gagner du
terrain politique ? Et vlan, et vlan, perte de mon droit de m'exprimer auprès
des conservateurs et des solidaires.
Je crois que je n'ai oublié personne, ni aucun parti. J'ai
émis des opinions qui vont à l'encontre des lieux communs et surtout des
croyances militantes des uns et des autres. Cela devrait-il me priver du droit
d'écrire mes opinions ? La réponse est bien sûr non. Alors, dites-moi si dire
ce que l'on pense n'est pas un problème, pourquoi cet engouement si répandu des
uns et des autres pour se conformer aux idées ambiantes ?