Il n'est pas rare qu'une partie
à un litige prolonge volontairement les procédures judiciaires dans le but de
retarder le paiement des sommes qu'elle doit. Dans un jugement rendu le 27 janvier
2022, l'honorable juge Claude Villeneuve rappelle qu'un tel comportement peut
mener la partie à devoir verser des dommages-intérêts au créancier, en sus des
montants dus.
Dans l'affaire Leclerc c.
Bouchard, 2022 QCCS 219, deux hommes d'affaires s'associent pour la mise
en marché de têtes de ponceaux. Dans le cadre de cette association, le
défendeur Bouchard reconnaît devoir une somme de 166 200,00$ au demandeur
Leclerc.
Or, le défendeur refuse de
payer cette somme, obligeant M. Leclerc à déposer une demande en justice contre
lui. Au cours des procédures, le défendeur entreprend plusieurs démarches pour
retarder l'issu du procès, multipliant les procédures en cours d'instance.
Pourtant, jamais il ne remet en question la reconnaissance de dette de 166 200,00$
à l'égard de M. Leclerc.
Un an plus tard, le demandeur
demande au tribunal de déclarer les procédures du défendeur comme étant
abusives. Selon lui, le défendeur a eu un comportement dilatoire et abusif en
retardant volontairement les procédures et en ne collaborant pas au bon
déroulement de l'instance, si bien que sa défense et sa demande
reconventionnelle devraient être rejetées. Il demande également que lui soient
accordés des dommages pour rembourser les honoraires de ses avocats qu'il a dû
payer en raison de ces comportements.
Pour trancher la question, le
juge révise les règles applicables en matière d'abus de procédure. Dans un
premier temps, il rappelle qu'une partie peut généralement s'opposer au
paiement une somme sans être automatiquement sanctionnée pour abus de
procédure. De plus, généralement, chaque partie est responsable de payer ses
propres avocats, peu importe le sort du litige. Le remboursement des frais
d'avocats par l'autre partie constitue une exception.
Toutefois, le débiteur doit
agir de bonne foi et collaborer à la poursuite de l'instance plutôt que de
multiplier les procédures dans l'unique but de retarder l'obtention d'un
jugement. À ce sujet, le juge Villeneuve écrit au paragraphe 42 de la décision
: « une partie qui abuse de son droit d'ester en justice causera un dommage à
la partie adverse qui, pour combattre cet abus paie inutilement des honoraires
judiciaires à son avocat. Il y a, dans ce cas, un véritable lien de causalité
entre la faute et le dommage ».
Le juge Villeneuve estime que
ce dossier fournit un « exemple éloquent d'abus résultant d'actes de procédure
dilatoire ». Entre le moment où le demandeur a déposé sa demande en justice et
le moment où il est entendu, plus d'un an s'est écoulé. Or, le demandeur reste
toujours impayé et il a dû dépenser plus de 75 230,00$ en frais d'avocats.
Le juge arbitre toutefois les
dommages octroyés afin qu'ils reflètent les montants réellement engagés en
raison du comportement abusif du défendeur. En effet, certains frais d'avocats
étaient raisonnables ou étaient liés à un autre litige. Ainsi, le tribunal
accorde un montant de 25 000$ à titre de dommages pour abus de procédure et
rejette la demande reconventionnelle du défendeur.
Cette
décision montre l'importance pour les parties d'agir de bonne foi et de façon
diligente dans le cadre de procédures judiciaires. À défaut, le tribunal
pourrait ordonner de payer une partie des frais d'avocats de la partie adverse,
à titre de dommages pour abus de procédure.
Pour consulter la décision : https://canlii.ca/t/jm2wq
Par : Me Gabriel Demers, avocat