Première chronique de 2021. Je veux marquer les consciences
en ce 6 janvier en posant la question qui me turlupine depuis l'arrivée de
cette pandémie qui a été plus un révélateur de ce que nous sommes qu'un
prétexte de véritable transformation. Depuis l'établissement des Français dans
une Nouvelle-France qui n'était autre que la terre des Amérindiens déjà
présents. La population vivant sur ce territoire a vécu de nombreux événements
qui l'ont façonnée et fait ce qu'elle est maintenant. Chercher à comprendre le
Québec et ce qu'il est devenu est un exercice utile en ce début de 2021. Je
vous y convie dans cette chronique qui cherche à faire le point sur ce que nous
sommes aujourd'hui.
La sortie du religieux
Les plus jeunes n'en
ont rien à faire, mais le Québec est bien le fils de l'Occident. Il en emprunte
les grands pans de son histoire et de son évolution. En Occident, l'Histoire
avec un grand H témoigne d'un grand virage culturel. Une société d'humains
regroupés autour de son église et de ses règles vivant en communauté. Issu
d'une société où les gestes du quotidien étaient jugés au regard des normes et
des règles édictées par l'Église, l'Occident s'est matérialisé si l'on peut
dire, la société est devenue matérialiste où le geste quotidien est jugé à
l'aune de normes édictées par le marché. Ce combat a eu la Révolution française
comme carburant idéologique alors que la Révolution anglaise lui en a fourni
les moyens matériels par le machinisme et la vapeur. Citons un auteur qui
décrit bien ce phénomène : « On parle ici de deux révolutions, la
révolution politique française et la révolution industrielle anglaise. La
première a mis fin à la légitimité que les couronnes d'Europe allaient
symboliquement chercher à Rome ou au-delà si nécessaire ; elle a créé l'homme
libre de sa destinée individuelle ; elle a fait passer la science d'un rôle
purement utilitaire et périphérique à celui d'ordonnateur du monde, ce qui
était jusqu'à ce jour, une prérogative divine. La deuxième a libéré des forces
mécaniques multipliant la production, faisant passer l'Occident d'un état de
raretés et de pénuries à celui de l'abondance. » (Gaétan Nadeau, Angus. Du
grand capital à l'économie sociale ─ 1904-1982, Montréal,
Fides, 2020, p. 227.)
La création d'un marché...
Ainsi, la création d'un marché, d'un peuple émancipé de Dieu
a donné lieu à la création de la démocratie par un libéralisme militant. Vous
comprendrez que cela ne fut pas fait sans histoires au pluriel. Une lutte s'est
engagée entre tenants d'une société de Dieu ou du marché. Pour illustrer ce
combat sans fin, prenons l'exemple de la lutte entre les gibelins et les
guelfes. Les guelfes et les gibelins sont deux factions
médiévales qui s'opposèrent militairement, politiquement et culturellement dans
l'Italie des XIIe et XIIIe siècles. À l'origine,
elles soutenaient respectivement deux dynasties qui se disputaient le trône du
Saint-Empire : la pars Guelfa appuyait les prétentions de la dynastie des Welf
et de la papauté, puis de la maison d'Anjou, la pars Gebellina, celles des
Hohenstaufen, et au-delà celles du Saint-Empire. (Source Wipidédia)
Cette querelle a perduré jusqu'à
nos jours si l'on veut. Au début du 20e siècle, l'expression
gibelin est utilisée par le Vatican comme une épithète injurieuse. Pour
celui-ci, Gibelin signifie être libéral. Franc-maçon, démocrate, républicain,
matérialiste. Des gens qui font disparaître Dieu dans l'explication des choses
et l'inexorable poussée de la raison scientifique. Sous Pie X, il est de
bon goût de se déclarer guelfe pour décrire ceux qui sont attachés à la
présence de Dieu et de sa parole dans la vie quotidienne. Bref, le combat de
l'Occident, si on veut le résumer dans un seul trait grossier c'est Dieu contre
le Marché.
Au Québec, il y
a eu des gibelins et des guelfes bon teint...
On aime bien à raison, je crois, se
représenter le Québec comme une lutte entre l'Église et l'état. Un combat entre
conservateurs et libéraux sous le fond d'un nationalisme bon teint. Cela
s'explique par la conquête britannique de la Nouvelle-France. Cela a créé parmi
nous une dualité qui a perduré jusqu'à aujourd'hui. L'auteur Gaétan Nadeau
écrit à ce sujet dans son livre sur Angus que : « Le Québec vit une
étrange dualité de 1759 à 1945. Au lendemain de la conquête, il y a partage du
territoire et des pouvoirs. Les autorités militaires et ecclésiastiques siègent
à Québec ; le fleuve et les ports sont confiés aux gens d'affaires britanniques ;
les francophones se voient confier la terre et l'hinterland. Les francophones
sont donc sur leurs terres lorsque la Révolution française éclate en 1789. Bien
peu d'intellectuels peuvent en assurer le relais. » (Gaétan Nadeau, op. cit.,
p. 227-228.)
Il y eut bien sûr l'imprimeur
Fleury Mesplet, un franc-maçon qui a semé le germe d'un libéralisme qui
s'épanouira avec la rébellion de 1837-1838 sous l'impulsion de libéraux
radicaux regroupés autour de l'Institut canadien et des journaux. Mais c'est
l'arrivée du machinisme et de l'industrialisation qui donnera au Québec la
force de rompre avec l'Église et ses enseignements. Grâce aux syndicats et à de
libres penseurs, la table était mise pour que la modernisation du Québec prenne
forme sous le visage de la Révolution tranquille et son grand rêve de faire du
Québec un pays.
Cela ne s'est pas fait sans heurts.
Il y a eu un combat entre divers nationalismes, celui conservateur d'un Henri
Bourassa ou d'un Lionel Groulx et l'autre plus émancipateur de jeunes Québécois
combattant l'Église comme les Pierre Elliott Trudeau, Jean Marchand, Gérard
Pelletier et René Lévesque. De cet affrontement est né celui qui a divisé le
Québec entre fédéralistes et souverainistes. Visage plus familier du Québec
pour plusieurs de nos contemporains.
Les nouveaux
curés
À la faveur de
ce combat et des échecs souverainistes, une nouvelle configuration des lieux
s'est dessinée, celle mettant en scène les progressistes et les conservateurs.
Le Canada s'est transformé et est devenu pour plusieurs une patrie de droits et
de libertés pour un humain désincarné de ses racines et se voulant un citoyen
du monde. Cette nouvelle fièvre pour les droits des uns et des autres et pour
la défense des minorités s'est travestie en lutte contre les ismes et l'homme
blanc qui en était l'auteur. Ainsi, le racisme, le machisme, le colonialisme et
tous ces mots en isme sont devenus les ennemis du moment. Cela a donné lieu en
conjonction avec l'émergence des nouveaux médias en une chasse aux sorcières
permanente des gens dits progressistes et des vilains conservateurs blancs et
sans-cœur. Les nouveaux curés de notre époque pourchassent sans relâche tous
ces exploiteurs blancs qui cherchent à se donner bonne conscience. Dans cette
nouvelle configuration des lieux, le Québec n'est pas unique, c'est un phénomène
occidental. Je prends à témoin le dernier essai du philosophe Pascal Bruckner
intitulé : Un coupable presque
parfait. La construction du bouc émissaire blanc paru en 2020 chez Grasset à Paris : « La chute du mur de Berlin a
plongé les gauches européennes en plein désarroi. Sur le champ de bataille des
idées, le progrès, la liberté et l'universel ont fait place à une nouvelle
triade directement importée des États-Unis : le genre, l'identité et la
race. Les progressistes se battaient jadis au nom du prolétariat, du
tiers-monde et des damnés de la terre. Trois discours ─ néoféministe,
antiraciste et décolonial ─ désignent désormais l'homme blanc comme
l'ennemi : son anatomie a fait de lui un prédateur par nature, sa couleur
de peau un raciste, sa puissance un exploiteur de tous les "dominés". » (Pascal
Bruckner, Un coupable presque
parfait. La construction d'un émissaire blanc, Paris, Grasset, 2020, p. 18)
Dans
cette histoire occidentale où le blanc devient le pelé et le galeux de l'histoire,
le Québec risque de perdre gros. Nous sommes une petite nation majoritairement,
bien que non exclusivement blanche, et le nouvel état des lieux nous condamne à
nous taire au nom de notre blancheté. Nos droits légitimes, nos combats historiques ne sont plus vus que
comme un reliquat de l'exploitation coloniale de nos cousins lointains. C'est
une nation sans voix et sans légitimité aux yeux des soi-disant progressistes
que nous sommes devenus...