Le 6 avril dernier, la Cour suprême du Canada a rendu une décision importante relativement au droit de devenir propriétaire d'un terrain par prescription.
Les faits se résument ainsi : Les belligérants étaient propriétaires de lots contigus où se trouvent leurs résidences d'été. Entre 1994 et 2011, madame Allie et les siens ont utilisé un ou deux espaces de stationnement qui se retrouvent sur la propriété voisine. En 2011, madame Savard et monsieur Ostiguy deviennent propriétaires du terrain où madame Allie stationne les véhicules. Désirant que cesse l'empiètement de madame Allie, les Savard-Ostiguy demandent une injonction afin d'empêcher celle-ci de stationner son véhicule sur le terrain dont ils ont acquis la propriété par contrat.
Madame Allie répond à cette demande d'injonction en invoquant le fait qu'elle est devenue propriétaire des espaces de stationnement en vertu de la prescription décennale soit dix ans.
Qui a raison? Madame Allie qui a occupé les espaces de stationnement pendant plus de dix ans sans avoir de titre ou les Savard-Ostiguy qui ont un contrat dans lequel les espaces de stationnement y sont décrits?
Il faut souligner que l'occupation de madame Allie pendant plus de dix années n'a jamais été contestée. Deux positions juridiques s'opposent, l'une s'appuyant sur la prescription, l'autre sur le titre.
En première instance et en appel, les juges ont reconnu à madame Allie le droit d'acquérir un des espaces qu'elle a utilisé par prescription décennale.
Pour la Cour suprême, les parties avaient « ... de part et d'autre un droit légitime à faire valoir. » C'est ainsi que le juge reconnait que Savard-Ostiguy ont acquis « ... leur titre de façon régulière par acte de vente » et que « ... la possession utile de l'intimée d'un des stationnements du lot de ses voisins est reconnue et aussi légitime. » (22)
D'un côté on prétend que le fait d'avoir utilisé l'espace de stationnement de façon utile, paisible et sans équivoque aux yeux de tous durant plus de dix ans est suffisant pour devenir propriétaire, et de l'autre, il faut se fier au titre de propriété, sinon où irons-nous.
À cet égard, le juge Gascon écrivant la décision pour la majorité se prononce comme suit :
(86) En résumé, j'estime que la prescription acquisitive opère sans égard aux droits inscrits au registre foncier, et ce, peu importe que le jugement visé à l'art. 2918 C.c.Q. ait un rôle attributif ou déclaratif. À tout événement, je considère comme erronée la prémisse fondamentale de l'argument des appelants et du juge dissident en Cour d'appel voulant que ce jugement soit attributif. Dans le contexte du Code actuel, force est de conclure que ce jugement conserve le rôle déclaratif qu'il avait sous le C.c.B.-C.
Et il conclura aussi :
(94) En définitive, la solution que je propose de retenir ne fragilise pas le registre foncier. Elle reconnait plutôt l'effet incontournable de la prescription acquisitive, une importante institution du droit civil québécois reconnue par le législateur, qui vise à conférer des conséquences juridiques à une possession qui est déjà paisible, continue, publique et non équivoque.
C'est donc dire qu'il ne faut jamais permettre à un voisin d'utiliser un espace de votre propriété durant une période de plus de dix ans, sinon vous risquez d'en perdre la propriété.
Dans une telle situation, il serait utile de faire signer à cet utilisateur un document dans lequel cette personne reconnait que c'est une permission que vous lui accordez et qu'en aucun cas, elle ne pourra devenir propriétaire dudit terrain par prescription.
Au plaisir,
Me Michel Joncas, avocat
Fontaine Panneton Harrisson Bourassa & Associés