Je l'avais prédit. Nous étions beaucoup plus nombreux à regarder et à écouter le premier vrai débat des chefs des principales formations politiques canadiennes jeudi soir dernier. Le premier événement en langue française de la campagne électorale. C'est comme si l'on venait de joindre le Québec à la campagne électorale et les communautés francophones de partout au Canada. Un débat qui fut largement décevant. Anne-Marie Dussault n'a pas vu ses talents d'animatrice grandis de l'exercice même si ses collègues journalistes Patrice Roy et Yves Boisvert s'en sont relativement bien sortis avec des questions intéressantes, pertinentes et parfois incisives.
Impasse sur les droits des francophones du pays
Néanmoins, on a totalement ignoré les communautés francophones d'ailleurs au Canada. C'est comme si au Québec, nous ignorions les problèmes de plusieurs communautés francophones au pays, entre autres ceux d'obtenir des services dans leur langue maternelle ou de pouvoir être capable d'envoyer leurs enfants dans des écoles françaises. Une occasion manquée!
Période de réponses formatées
Comme dans bien d'autres occasions du genre, ce ne sont pas tant les questions qui ont fait défaut lors de ce débat des chefs, mais l'absence de réponses et de véritables échanges entre les différents protagonistes.
Je suis d'avis que lors de ce premier débat en français, diffusé par un consortium de médias dont la Société Radio-Canada et le journal La Presse, il y aurait été avantageux de faire débattre de façon plus ordonnée les chefs entre eux. Comme dans des débats précédents, nous avons eu droit à de la cacophonie qui ne sert pas les électeurs ni les chefs de partis. Quand tous ces chefs parlent en même temps et s'enterrent l'un et l'autre, la démocratie en souffre et jeudi dernier elle a souffert...
Les vieux démons
Lors de ce débat, même s'ils étaient cinq, ce sont deux chefs, Gilles Duceppe et Thomas Mulcair, qui ont été les plus sollicités même s'ils ont parfois composé des duos et des triades avec d'autres chefs sur des questions particulières. Au fond, l'un des thèmes majeurs de ce débat fut, à ma grande surprise, l'éternel débat Québec-Canada. Gilles Duceppe a réservé ses plus cinglantes attaques à Thomas Mulcair sur des questions, ma foi, un peu dépassées. Que venait faire l'argument de Gilles Duceppe, à l'encontre de la position de Thomas Mulcair sur la déclaration de Sherbrooke, du non-respect des règles du Québec par le gouvernement Chrétien lors du référendum de 1995? Pourquoi diable Gilles Duceppe a-t-il parlé de la formulation de la question à un éventuel référendum sur la souveraineté du Québec qui ressemblerait à « Voulez-vous que le Québec devienne indépendant »? Est-ce qu'un référendum sur la souveraineté du Québec est anticipé pour les prochains mois ou la prochaine année?
Gilles Duceppe s'est gouverné comme le troisième journaliste du plateau plutôt que de nous dire en quoi le Bloc québécois serait encore pertinent aujourd'hui. Il a raté une belle occasion de se rappeler à nos souvenirs, mais en parlant d'avenir, non pas du passé. Sur cet aspect, c'est le premier ministre Harper qui a eu la meilleure réplique assassine, « monsieur Duceppe, cette question est passée date. »
Les cassettes de Justin Trudeau
Le chef libéral Justin Trudeau aurait eu avantage à s'appeler Justin Sinclair tant il avait de la difficulté avec la langue française. J'ai été étonné de son incapacité à bien traduire sa pensée dans la langue de Molière alors qu'il avait beaucoup mieux fait lors des débats en anglais. Son père Pierre Elliott avait une maîtrise parfaite de la langue française. Sur cet aspect, il est plus le fils de sa mère que de son père.
Outre cet aspect, c'est l'utilisation des formules creuses toutes faites qui a fait le plus mal à la performance de Justin Trudeau lors de ce débat. Nous parler de son plan d'infrastructures et des réductions d'impôt pour la classe moyenne en réponse à la question sur l'aide à mourir a été une erreur majeure. Je veux bien qu'un politicien se centre sur son message, mais parfois il peut perdre toute crédibilité et c'est ce qu'a fait Justin Trudeau en nous servant toute la soirée ses cassettes formatées. Plus capable d'entendre, j'ai un plan...
L'abonné absent Stephen Harper
Le chef conservateur, Stephen Harper, s'est pour sa part appliqué à répéter son message sur la stabilité économique, la sécurité et, nouveauté, sur nos valeurs canadiennes. Habilement, Stephen Harper, sur les conseils de son spécialiste étranger du « wedge politics », continue d'exploiter le filon très payant des valeurs canadiennes par la question du niqab. Sous un gouvernement Harper, pas de niqab aux cérémonies d'assermentation de citoyenneté et nous avons appris que jamais il dirait à sa jeune fille de porter un niqab, cela serait contraire à nos valeurs canadiennes. Monsieur Duceppe l'a bien sûr rejoint sur ce terrain au nom des valeurs canadiennes et du consensus québécois sur cette question. Il fait bon de voir Gilles Duceppe se porter à la rescousse des valeurs canadiennes aux côtés du gouvernement libéral de Phillipe Couillard. Surréaliste!
Stephen Harper a passé une bien belle soirée. Il n'a pas connu de difficultés sauf à un petit moment où la chef du parti vert, madame Elizabeth May, l'a accusé d'avoir le pire bilan environnemental de tous les pays du monde avec la Nouvelle-Zélande. Sans quoi, ce fut une soirée sans faute pour monsieur Harper. Il a été selon moi le grand gagnant du débat. Il est passé inaperçu ou presque même s'il a un lourd bilan à traîner.
L'Anglo sympathique : Elizabeth May
Il y a peu à dire concernant madame May, si ce n'est de reconnaître que c'est une femme compétente et sympathique et qu'elle défend des politiques et des principes fondamentaux pour notre avenir à tous. Sa difficulté avec la langue française a rendu sa prestation quasi inaudible pour plusieurs. Elle nous a quand même réservé quelques moments fort intéressants soit lorsqu'elle a dit que le problème du transport du pétrole ce n'était ni les pipelines, ni les trains, mais le produit. Sa répartie aussi disant que le niqab était une distraction a été une contribution positive au débat. D'autant plus qu'elle était la seule femme.
Thomas Mulcair l'assiégé
Il était clair que Thomas Mulcair serait la cible. Malgré tout, il a su bien faire face à la musique et il a prouvé hors de tout doute qu'il avait la stature d'un premier ministre. On a aussi compris que si on le cherche, on le trouve. Il a eu maille à partir avec la question du niqab, mais il faut se rappeler que c'est lui qui a raison. Pourtant, ce dont il est question ici, c'est de la négligence du gouvernement Harper à adopter, en février dernier, un nouveau règlement, pas du débat existentiel sur les valeurs canadiennes. Pourtant, tant Stephen Harper que Gilles Duceppe, pour des raisons bassement électoralistes, transforment cette négligence, volontaire ou non, du gouvernement Harper en débat existentiel.
Lorsque le niqab est associé à l'oppression des femmes, c'est une chose, mais en interdire le port en tout temps dans une société libre et démocratique comme la nôtre, c'est une tout autre chose. Si l'on se rend au bout de la logique de messieurs Duceppe et Harper et des 93 % des Québécois et des 84 % des Canadiens qui s'opposent au port du niqab lors de la cérémonie d'assermentation de la citoyenneté canadienne, pourquoi devrait-on le permettre à d'autres moments?
Ne soyons pas naïfs, ce que les Québécois et les Canadiens veulent, c'est que les gens qui viennent chez nous prennent nos habits, pas les leurs. Ce n'est pas dit clairement, mais c'est ce que sous-tend toute l'affaire. C'est une bonne question. Faut-il interdire au Canada la liberté de religion sauf pour les catholiques et les protestants afin de respecter les valeurs canadiennes? Pourquoi pas juste la religion protestante puisque c'est la religion majoritaire chez nous?
Thomas Mulcair a pris une position responsable et courageuse sur le niqab, tout comme Justin Trudeau et Elizabeth May d'ailleurs. Il a pris cette position même en sachant que cela pouvait lui faire perdre des votes au Québec. Il l'a fait quand même. Il s'est tenu debout pour ses convictions et pas pour ses intérêts électoraux. C'est pour cela que pour moi, Thomas Mulcair a gagné le débat même si ce n'est pas l'opinion des Québécois et des Canadiens. Pour moi, Thomas Mulcair est un champion premier ministrable...