Il se développe de plus en plus un code non écrit de la
rhétorique politique qui a cours dans notre société, celui de la construction
de la trame narrative pour bâtir une image politique forte. Nos collègues de
langue anglaise utilisent le concept du strorytelling pour décrire les
effets de toge de discours rhétoriques. D'où l'idée qu'il vaut mieux en
politique se définir soi-même plutôt que de se laisser définir par ses
adversaires. La mise en récit d'un discours politique est fondamentale pour
qu'il devienne la réalité et le choix des électrices et des électeurs lors d'un
scrutin. La trame narrative et la question de l'urne qui en résulte constituent
les deux piliers essentiels de toute construction de discours politique. À la
suite des élections fédérales et municipales au Québec et en scrutant les
préparatifs liés à l'élection présidentielle française et aux élections de
mi-mandat aux États-Unis, de véritables petits laboratoires sont à notre portée
pour prendre conscience du phénomène de la mise en récit de la rhétorique
politique. Exploration du monde de la rhétorique politique ici et ailleurs.
Le phénomène Zemmour en France
L'autre soir, au hasard de mes pérégrinations télévisuelles,
je suis tombé sur un magazine d'actualité télévisuelle en France diffusé sur
TV5 : C dans l'air diffusé en
direct six jours sur sept. Ce magazine télévisé a pour mission d'approfondir un
fait d'actualité du jour en mettant en débat des interlocuteurs de divers
horizons. Ce qui permet au loustic que nous sommes de nous faire une opinion
sur des sujets souvent complexes. Ce magazine est ambitieux, car il traite
autant des sujets nationaux qu'internationaux. Par exemple, la semaine
dernière, il y a eu une émission sur les États-Unis de Trump et du wokisme
qui prenait prétexte la visite de la vice-présidente Kamala Harris en France.
Il y a eu aussi une émission consacrée à la Biélorussie et celle qui a attiré
mon attention, une émission sur le débat entre les candidats de la droite en
vue de la présidentielle française du printemps prochain.
Dans le cadre de ce débat, le politologue français Dominique
Reynié a expliqué les difficultés de la droite par son incapacité à raconter à
l'électorat français une histoire alléchante qui suscitera les passions et
l'engagement derrière des idées et des candidats. C'est la même difficulté pour
la gauche et même jusqu'à un certain point pour le président actuel Emmanuel
Macron. Dans l'état actuel des choses, c'est le candidat qui n'a pas déclaré sa
candidature, Éric Zemmour, qui a la plus puissante trame narrative et qui
percole ces jours-ci en France. La France ne sera plus la France si des gestes
décisifs ne sont pas posés afin de défendre la république et ses valeurs. La
première cible de Zemmour ce sont les Français de confession musulmane. En ce
sens, Éric Zemmour a une rhétorique puissante de type populiste qui rappelle
celle de Trump aux États-Unis. Pas étonnant que Zemmour a des chances de
devenir un phénomène tout comme l'a été et l'est encore Donald Trump aux
États-Unis. J'aurai l'occasion de revenir dans de prochaines chroniques en 2022
sur l'élection présidentielle française, mais pour le moment restons-en au fait
que la rhétorique politique et sa mise en récit sont des phénomènes aujourd'hui
communs à toute campagne politique quel que soit le pays ou le continent, tout
au moins en Occident.
Le nouveau Coderre revu et amélioré
À Montréal, la campagne électorale est vite devenue un
référendum de personnalités plutôt qu'une bataille d'enjeux. Cela tient
beaucoup à la stratégie déployée par le candidat Coderre qui s'est présenté
comme un homme nouveau complètement transformé ayant le désir de voir Montréal
se retrouver. Toute la campagne électorale de Denis Coderre s'est bâtie autour
de sa personnalité. On a peu vu les membres de son équipe. L'histoire de la
campagne électorale à Montréal avait pour trame narrative la résilience et la
combativité d'un homme et de sa vision pour Montréal. Une trame narrative qui
avait été soigneusement mise en scène par le lancement d'un livre et par le
passage du principal intéressé à Tout le
monde en parle pour en faire l'annonce officielle. Or, ce qui a miné la
stratégie déployée par Denis Coderre et Ensemble
Montréal, sa formation
politique, c'est que le discours de l'homme nouveau, la rhétorique de l'homme
résilient n'a pas été soutenu par la réalité. Les ratés de communication se
sont multipliés de l'incident du téléphone cellulaire, aux accros liés au choix
des candidats concernant leur passé, à l'opacité du candidat à la mairie sur
ses revenus et l'identité de ses clients. Ces phénomènes ont balisé la voie à
un taux de votation faible rappelant les taux de participation aux élections
scolaires. Avec moins de 35 % de taux de participation, on constate que la
démocratie municipale est en crise non seulement à Montréal, mais aussi dans
l'ensemble du Québec. La rhétorique politique, les stratégies de mise en récit
ce sont de beaux concepts, mais pour que cela ait de l'écho, il est nécessaire
d'avoir un public. Ce dernier s'est fait rare lors des dernières élections
municipales.
Écrire l'histoire à Sherbrooke
Chez nous, à Sherbrooke, la candidate qui a remporté
l'élection à la mairie, la cheffe de Sherbrooke Citoyen, madame Évelyne
Beaudin, a aussi déployé une rhétorique politique, une trame narrative qui
invitait les électrices et les électeurs à choisir d'écrire l'histoire en
élisant pour une première fois une mairesse qui une fois élue se ferait forte de
rompre avec les pratiques politiques du passé en promettant une ville verte,
citoyenne, et surtout qui mettrait au pas ses promoteurs privés et ses
entreprises. Après tout, la ville appartient aux citoyennes et citoyens, pas
aux riches entrepreneurs ou industriels.
On ne doit pas douter de la détermination des membres et des
ténors de Sherbrooke citoyen de mettre en œuvre ces politiques et de revoir en
entier la gouvernance de la Ville de Sherbrooke. Il sera intéressant de voir la
dynamique politique au cours de la prochaine année. Madame Beaudin et
Sherbrooke Citoyen sont minoritaires au Conseil municipal. D'ailleurs si l'on
compte bien, madame Beaudin est devenue mairesse avec l'appui de moins de 20 %
de la population sherbrookoise. Ce qui n'entache pas sa légitimité, car elle a
gagné l'élection, mais notons tout de même que le taux de participation était
bien en deçà de 50 %. Cela est un drame en soi. Un drame pire encore pour
une formation politique qui ne jure que par la participation citoyenne. Ne
serait-ce pas le premier geste concret d'une participation citoyenne éclairée
que de participer en votant aux élections municipales ?
La trame narrative du changement et de l'histoire qui
s'écrit en rupture avec avant est manifestement la trame narrative de
l'élection de la nouvelle mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, il faudra
voir maintenant si les actions et les gestes du conseil municipal et du
leadership de madame Beaudin seront au diapason de cette trame narrative. Je ne
doute pas des intentions de la nouvelle mairesse d'aller dans cette direction,
mais parfois la réalité réserve des surprises. C'est dans ces moments qu'il
faut se rappeler les sages paroles de l'ex-premier ministre du Québec, René
Lévesque, qui avait dit que le défi de gouverner c'est de conserver ses idéaux
même si on perd fatalement ses illusions en cours de route.
Si vous voulez comprendre le monde politique,
intéressez-vous à la trame narrative mise en scène par les différents acteurs
ou parties prenantes dans l'espace public, vous serez ainsi plus critique devant
ce phénomène de plus en plus envahissant : la poétique politique...