Amorcer la nouvelle année en nous rappelant les grands disparus nous
permet, me semble-t-il, de mieux aligner nos relations et nos flûtes en
2023. N'y-a-t-il pas d'ailleurs un adage
qui évoque de façon métaphorique: ''reculer pour mieux sauter'' ? Revenons en ce sens sur certains
disparus qui ont marqué le milieu
culturel et artistique avant même la tombée du rideau 2022.
Il y a eu bien sûr les départs à l'international des Jean-Luc Godard,
Jean-Louis Trintignant, Vangelis ou Sydney Pothier et William Hurt. Ils ont laissé dans leur sillage des
souvenirs tangibles, tant en littérature qu'au cinéma et en musique.
Au Québec, nous pouvons retenir pour mémoire les Jean Lapointe, Paolo
Noël, Yves Trudel (Méo), Jean-Claude Lord, Roger Giguère, Pierre Marcotte, Marc
Hamilton, Julie Daraîche ou Nadège St-Philippe. Comme animatrice culturelle, j'ai eu la chance de les rencontrer à un
moment ou à un autre, soit pour réaliser une entrevue, pour assister à une
conférence ou apprécier leur travail ou spectacle...
Plus près de nous, en Estrie, à Sherbrooke, je me souviens de ces gens
qui ont mis l'épaule à la roue, qui ont consenti temps et efforts ou créé des
oeuvres de tout acabit, afin de faire avancer le domaine des arts. En plus d'avoir ouvert les portes du beau et
du mieux-vivre ensemble, ils nous ont laissé un véritable héritage
culturel.
Dans le domaine des métiers d'art et des arts visuels, facile de
penser à Marie-Paule Royer. Déjà un an, presque jour pour jour, que
l'artiste nous a quittés, laissant derrière elle une créativité bonne
enfant. Ses gribouillis, ses toiles
texturées et ses peintures sur des cahiers d'écriture visaient un constant
dépassement personnel. Il est vrai que
la maladie l'avait rendue sensible aux gestes spontanés, exploratoires,
attentionnés. Elle adorait aussi les
rencontres artistiques et les expositions collectives qu'elle fréquentait
assidûment.
En mai, peu après le spectacle pour annoncer la fermeture du Loubards,
lieu où il a connu des années musicales fructueuses, en compagnie de
Jean-Jacques Beauchamp et de Guy Breton, Maurice
Mô Saint-Pierre s'en est allé bienheureux.
Soigné pour un cancer de la gorge dans la fleur de l'âge, il n'a jamais
cessé pour autant de faire valser sa clarinette. Depuis 2002, il chérissait en effet les
soirées du magazine radiophonique Arts d'oeuvres de CFLX, qui accueillaient en
saison estivale son lot d'artistes. Parmi eux, plusieurs musiciens qu'il
découvrait ou redécouvrait avec force plaisir et bonheur.
De la génération de Jim et Bertrand, Dave Lapp a promené, quant
à lui, ses chansons et sa guitare
sur la route pendant plus de deux-trois décennies. Sa légende de compositeur et
de style folk, aux côtés de Bruce Jackson et du désormais célèbre groupe
Lennox, composé de Charlie Cover, Jean-Guy Robert et Jim Corcoran, a vite
dépassé les frontières des Cantons-de-l'Est.
Au Golden Lion, à Lennonxille, où il a brillé dans les années 1970, il a
développé des filiations musicales indéniables qui culmineront avec la sortie
en 2019 d'un album finement réalisé, le Dave Lapp & Friends LennoxHill Session. Même s'il a plutôt complété des études en
adminsitration, c'est la musique qui l'a nourri comme artiste professionnel
indépendant jusqu'à son décès en juin dernier.
L'ami Perry Beaton a reçu
un diagnostic de cancer en phase terminale au mois de mars et, rapidement, il a
accepté le verdict d'irréversiblité de son destin. Il a aimé la vie, pleine et entière, les
membres de sa famille, ses amis, son travail, ses expériences et projets. Gentleman portant le kilt, aimant le scotch et jouant de la contrebasse, il a égréné les jours lentement et sûrement. D'une douce intelligence, il a vivement
apprécié les arts, la science, la mécanique, la météorologie. Après une longue
carrière comme photographe au journal The
Record, Il a fait partie de la joyeuse bande à Sylvie L, c'est-à-dire de
l'équipe du magazine radiophonique Arts d'oeuvres, installé sur la terrasse du
Loubards en saison estivale depuis le bicentenaire de Sherbrooke.
Alain Blanchet a rendu l'âme en
décembre à l'âge de 57 ans, après une longue maladie. Serein devant l'inconnu, il a profité de ses
derniers instants pour revoir les gens qu'il a fréquentés, à la Rive gauche,
entre autres. Surnommé Ti-Blanc
Blanchet, ceux qui l'ont connu savent combien il appréciait la simplicété et la
musique. Percussionniste de haut niveau,
il a joué avec le Big Band de jazz, sous la direction du regretté Gilles Dion,
puis accompagné Pier Béland en Floride, Harmonica Zeke en Thaîlande, en plus de
briguer les planches avec Paul Gingues, Pierre Desroberts, Daniel Poulin, Larry
Niles, pour ne nommer que ceux-là.
Sans doute la doyenne d'entre tous et toutes, Lois Ogilvie Blanchette est décédée en décembre à l'âge vénérable
de 102 ans. Son leg musical reste à ce
jour incomparable, bien qu'elle ait perdu sa voix de soprano colorature dans
les années 1970, à la suite d'une paralysie des cordes vocales. Elle s'est fait connaître dès 1951, alors
qu'on l'avait invitée comme soliste du programme d'ouverture de Club Schubert du
MacKinnon Memorial Building, au 300 de la rue Montréal, à Sherbrooke. Ce concert sera suivi d'une remarquable
apparition aux célébrations du 116e anniversaire de l'Église Plymouth-Trinity,
fondée en 1880. C'est sans compter ses
participations à la fois comme cheffe et choriste de différents choeurs dont The Singing Girls of Sherbrooke (La
Chorale de l'amitié), The Second Winds,
The Sher-Lenn Choir et The Marie-Claire Choir.
Avocat aux opinions avisées, Me
Michel Joncas a tiré sa révérence la veille de Noël. Désigné en 2001 par la Corporation de la
Fondation Mgr Jean-Marie Fortier comme l'un des trois administrateurs nommés
par l'archevêque de Sherbrooke, il a siégé également à titre de président au
sein du Centre d'archives Mgr-Antoine-Racine.
Au fil des ans, son appréciation des arts en général l'ont conduit à
investir différents secteurs culturels. Il a ainsi mené à bien la campagne de
souscription en vue de rénover l'édifice actuel du Musée des beaux-arts de
Sherbrooke, de même la campagne du Petit Théâtre de Sherbrooke, afin de lui
assurer des bases solides et pérennes. Pendant longtemps, il a signé des
chroniques juridiques dans le journal internet EstriePlus, ce qui démontre encore une fois son profond dévouement
pour sa communauté d'appartenance.
À Sherbrooke, le 26 décembre 2022, est décédée madame Fernande Allard, âgée de 87 ans. Les
gens du livre, des lettres et de la littérature l'ont bien connue. Très généreuse de son temps, elle a longtemps été associée à la Biblairie
GGC, librairie indépendante, sous la direction de Diane et de Gérald Guy
Caza. Ses conseils ont influencé plus
d'une génération et certainement plusieurs écrivains et lecteurs. Ceux-ci l'ont d'ailleurs suivie dans les
différents salons du livre à Sherbrooke et ce, depuis le tout premier, inauguré
en 1978 par l'Association des auteurs des auteurs des Cantons-de l'Est et mis
sur pied ses artisans Pierre Francoeur et André Bernier.
Voilà qui conclut
cette première chronique de l'année. Mes
salutations bien basses à ces grands
disparus du milieu des arts et de la culture en Estrie. J'en oublie sans doute, et déjà je m'en
excuse. Mon intention visait à commémorer les sentiers battus de certaines et
de certains. Nous ne claironnerons
jamais assez fort leur apport à la mise en valeur d'un secteur trop souvent
oublié dans les annales d'une communauté.
C'était mon objectif de départ.
C'est aussi le souhait que je lance ici : celui de nous souvenir du
passé pour mieux envisager l'avenir, celui de nous souvenir surtout de tous ces
noms perdus comme savent le fredonner les auteurs compositeurs paroliers et
interprètes Stéphane Côté ou Edgar Bori... Bonne année 2023 !