L'élection de Jean-François Lisée à titre de chef du parti québécois vendredi soir dernier constitue un événement qui marquera profondément la scène politique. Un événement qui était imprévisible pour bien des observateurs et pour une forte majorité des apparatchiks du Parti québécois. Ils étaient nombreux à soutenir la candidature du jeune Alexandre Cloutier.
L'élection de Jean-François Lisée est aussi une rupture importante des membres du PQ avec la thèse des caribous et des pressés qui veulent coûte que coûte passer la souveraineté au travers la gorge des Québécoises et des Québécois qui n'en veulent pas. Ils n'en veulent tellement pas, qu'ils refusent même la simple idée d'être consultés sur cette question. D'où l'efficacité de la rhétorique libérale de l'insécurité référendaire si payante aux urnes en temps d'élection.
L'arrivée d'un fin rhétoricien, d'un intellectuel d'envergure comme Jean-François Lisée à la tête du Parti québécois et l'engagement formel du PQ, confirmé par le choix de Jean-François Lisée comme chef, de ne pas faire de référendum, ni promouvoir la souveraineté avec les fonds publics avant 2022 risque de faire mal à l'hégémonie électorale libérale. Réflexions sur les conséquences électorales de l'arrivée de Lisée à la tête du PQ.
Jean-François Lisée, qui est-il?
Bien malin qui pourrait répondre à la question toute simple, qui est Jean-François Lisée? Il y a selon la légende répandue par les commentateurs et les adversaires de Jean-François Lisée, plusieurs Jean-François Lisée. Je suis en désaccord avec cette tentative de définition du personnage politique Lisée.
J'ai lu tous les livres de Jean-François Lisée, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt ses blogues sur le Web et ses tweets sur les réseaux sociaux et je trouve que Lisée a toujours été d'une grande cohérence.
C'est d'abord et avant tout un intellectuel de talent. Il sait manier la rhétorique avec beaucoup de brio. Il sait écrire et parler. Comme le disait Boileau, « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément » (L'Art poétique, 1674, Nicolas Boileau-Despréaux). Avec Jean-François Lisée, on ne peut douter qu'il conçoit bien les choses. Depuis Robert Bourassa, nous n'aurons jamais eu plus grand maîtres de l'esquive à la tête de l'un des grands partis politiques au Québec.
Lisée c'est aussi un fin tacticien, un fin stratège et un politicien redoutable. Le nouveau chef du PQ a lu, j'en mettrais ma main au feu, des auteurs comme Machiavel, Sun Tzu et/ou Von Clausewitz. Si je me réfère à cet univers, on divise la théorie militaire en divers échelons : voyons cela ensemble pour mieux comprendre Lisée.
Lisée et la théorie militaire
Ainsi, « il appartient à l'échelon politique de faire le choix de la paix ou de la guerre et d'en fixer les grandes orientations. C'est l'échelon politique qui dispose des ressources nécessaires à la réalisation des objectifs fixés et qui en déterminent le déploiement et la mise en œuvre. Il appartient à l'échelon stratégique de mener les réflexions, de prendre les décisions de haut niveau et de long terme en vue de gagner la guerre, c'est-à-dire de planifier et de coordonner l'action des forces militaires d'un pays en organisant les actions défensives ou offensives pertinentes. Il revient à l'échelon tactique, en cohérence avec l'art opératif, de cibler les enjeux plus locaux et limités dans le temps dans le but de gagner la bataille du terrain. L'échelon opératif se doit de positionner les forces terrestres de façon à leur assurer un avantage initial avant la bataille. Il appartient enfin à l'échelon technique, en cohérence avec le dispositif tactique, de maximiser les effets des armes. » (Citation libre reformulée par l'auteur.)
Jean-François Lisée est un grand maître de la stratégie et de la tactique et son analyse de la conjoncture politique est la plupart du temps pénétrante. Ainsi, l'épisode de l'affaire Charkaoui-Cloutier était un geste tactique pour gagner une bataille sur le terrain et ce n'était pas une erreur comme on a voulu nous le faire croire. L'argument utilisé affirmant qu'il était suicidaire de promettre un référendum au moment où l'homme politique le plus populaire au Québec est Justin Trudeau fait preuve d'un réalisme politique désarmant tout en faisant un choix politique approprié aux circonstances de la conjoncture politique du moment.
Ce sera la première fois que nous aurons à la tête d'un parti un aussi brillant stratège politique et un tacticien hors pair et en prime il a un certain charisme. Les adversaires du Parti québécois doivent se le tenir pour dit. Lisée ne fera pas de prisonniers. La bataille sera sanglante. Pour Lisée, la fin justifie les moyens. Il ne ménagera aucun effort pour mener le Québec sur les voies ensoleillées de l'indépendance nationale.
La rhétorique Lisée, les affabulations de Couillard :
Jean-François Lisée est aussi un fin causeur et un adversaire redoutable pour Philippe Couillard qui peut bien jouer les fins esprits et les poètes, mais dont la culture politique et livresque est beaucoup plus anémique que celle de Jean-François Lisée. La meilleure preuve qui a pu nous en être donnée est la déclaration de Philippe Couillard au lendemain de l'élection de Lisée comme chef du PQ. Il a voulu le dépeindre dans les habits des partis politiques d'extrême droite que l'on retrouve en Europe. Avec une telle déclaration, Couillard pousse un peu fort le bouchon de l'audace. Si le premier ministre se donne la peine de lire l'œuvre de Lisée tant comme essayiste, politicien ou chroniqueur, il constatera comme moi que Lisée est un social-démocrate et un indépendantiste pour qui la fin justifie les moyens. Comparer Lisée à l'extrême droite c'est de « l'affabulation Couillardienne ».
D'ailleurs, à ce rayon de l'affabulation, il est inquiétant que Philippe Couillard assimile le nationalisme à l'intolérance et qu'il l'oppose au fédéralisme. Le nationalisme est une idéologie alors que le fédéralisme est un système politique. Un Québec souverain par exemple pourrait très bien vivre un système fédéral avec ses différentes régions en dotant chacune d'elles d'un gouvernement régional qui aurait des pouvoirs distincts pour elles et le pouvoir central qui sera à Québec. À vouloir ratisser trop large parfois on rate la cible. Ne dit-on pas avec pertinence, « Visa le noir, tua le blanc ». Le discours livré vendredi soir dernier par Lisée a prouvé à la fois sa grande capacité d'analyse et sa parfaite maîtrise de la rhétorique partisane. Il est un adversaire redoutable.
Le temps du retour des vrais débats
C'est pourquoi l'élection de Jean-François Lisée à la tête du PQ est une bonne nouvelle pour le PQ et pour le Québec. Tout Canadien que je suis et persiste à l'être, je peux me réjouir que le Parti québécois soit un parti fort et en santé. Lisée est selon moi un puissant remède pour l'aider à sortir de sa langueur. Grâce à sa puissance rhétorique et à son génie stratégique et tactique, il n'y aura plus place aux raccourcis pour les libéraux de Philippe Couillard. Jadis, un grand parti du Québec, le PLQ a perdu sa fougue dans la défense d'un Québec différent au sein du Canada. La présence d'un Québec fort dans un Canada uni. Un Québec distinct, mais attaché au Canada. Contrairement à ce qu'a affirmé Lisée, cette vision du Québec n'est pas morte, mais elle est mise sous le boisseau par les libéraux depuis l'échec de Meech. Il est grand temps que les vrais libéraux nationalistes, s'il en reste, se lèvent et défendent un Québec debout au sein du Canada.
En attendant que ce miracle se produise, nous nous retrouvons au Québec avec un parti qui prône l'indépendance et qui promettra de ne pas la faire avant 2022 et un autre qui veut un Québec distinct dans le Canada et qui refuse d'en parler parce que le fruit n'est pas mûr. Pendant ce temps, les électeurs auront un nouveau personnage politique 2.0 à découvrir qui leur dira sous toutes les plates-formes @E- Lisée moi!