Nous sommes incroyables au Québec. On débat entre nous en disant
une chose et son contraire et s'on étonne que nos voisins aient de la
difficulté à nous suivre. Pas étonnant que nous sommes vus comme des enfants
gâtés par le Rest of Canada (ROC).
Cela est plus apparent que jamais dans le faux débat démagogique
sur l'initiative du siècle qui veut faire du Canada une nation de 100 millions
d'habitants d'ici l'an 2100. Les souverainistes, toujours en mal de
trouver une faille permettant de recréer l'indignation collective pour mousser
son projet, n'ont pas tardé de s'emparer de toutes les tribunes pour y faire
valoir une théorie du complot des élites canadiennes. On y voit une tentative
d'assimilation de la nation québécoise et de la mise en œuvre avec succès du
rapport de Lord Durham du 19e siècle. N'en jetez plus la cour
est pleine. Réflexions sur un faux débat alimenté par des démagogues.
L'enjeu des flux migratoires
Au cœur de cette diatribe, il y a une question majeure qui est
celle de l'immigration. L'immigration est devenue un enjeu majeur au 21e siècle
pour toutes les sociétés puissantes et riches. Nous n'avons qu'à constater ce
fait en Europe ou aux États-Unis qui peinent à gérer leur frontière au sud
bordant le Mexique.
À l'heure de la mondialisation, les migrations sont devenues l'un
des vecteurs de transformation socio-économique et des relations
interétatiques. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), créée
en 1951, estime qu'il y a environ 272 millions de migrants internationaux,
soit 3,5 % de la population mondiale. Cela crée une tendance forte à une
plus grande mixité des populations dans les pays riches au cours des prochaines
années. Tous les pays sont confrontés à des problèmes de gestion de leurs
frontières. Au cours des dernières années, les débats concernant les migrants
et les questions d'immigration sont devenus sources de tensions dans les pays
occidentaux et sont même largement responsables de la montée d'une droite
politique nationaliste, xénophobe et même raciste. Le Québec et le Canada ne
font pas exception à cette tendance lourde en Occident et cela se traduit par
des débats sur la question de l'immigration. Cela à une consonance particulière
pour le Québec qui veut conserver ses traits distinctifs culturels comme nation
française en Amérique. Le Canada pour sa part avec sa politique de
multiculturalisme et de diversité est le pays le plus accueillant sur la
planète pour les migrants. Pas étonnant que l'idée avancée par Century
initiative de faire du Canada un pays de 100 millions de personnes en
2100 soulève des vagues au Québec. Chez nous, cela se double par une théorie
complotiste attribuant au Canada la volonté de faire disparaître le Québec. Un
peu de calme mesdames et messieurs, ce n'est pas cela la question. Colporter de
telles insanités c'est de la pure démagogie.
Maîtriser l'enjeu de l'immigration dans la
société canadienne
Au risque d'écrire une évidence, rappelons que le Québec n'est pas
un pays. Nous vivons au Canada. C'est le Canada qui est le maître d'œuvre de la
progression de sa population. La force du nombre est ce qui fait la force d'un
pays, d'une nation. Nous n'avons qu'à voir la force de la Chine, de l'inde et
du Brésil. Dans ce contexte, il n'est guère étonnant que lorsque des gens réfléchissent
à l'avenir du Canada, ils puissent penser que l'augmentation de la taille de la
population canadienne est une voie possible pour assurer une présence forte du
Canada dans le monde.
Ce qu'il faut savoir c'est que le Canada a accepté de partager sa
responsabilité de choisir son immigration et les niveaux de population qu'il
accepte avec le Québec comme une forme de reconnaissance tangible du caractère
national du Québec. Cette politique d'immigration partagée avec le Québec a été
inaugurée en 1978 entre le gouvernement de René Lévesque du Parti québécois et
du gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau. Les intellectuels de
l'époque conçoivent d'ailleurs mal que le gouvernement Lévesque ait pu
s'entendre avec le gouvernement Trudeau. L'entente intervenue permet au Québec
d'accroître ses pouvoirs en matière d'immigration. Les immigrants indépendants
seront désormais choisis par le Québec avec approbation définitive par le
Canada. Par cette entente administrative, le Québec obtient un « statut particulier
sectoriel » qui lui permet d'exercer une meilleure maîtrise de son immigration
et de son caractère distinctif en Amérique du Nord. Cette entente a été
renforcée dans la foulée de l'échec de l'accord du lac Meech alors que
l'entente McDougall-Gagnon-Tremblay venait donner des pouvoirs accrus et mieux
définis en matière d'immigration. On ne parle pas assez de cette entente et de
sa portée.
Entente McDougall-Gagnon-Tremblay
L'entente
McDougall-Gagnon-Tremblay consiste en une entente où le contenu et les
objectifs sont définis précisément. À l'article 1, on précise les quatre
domaines de l'Accord :
-
la sélection des personnes
qui souhaitent s'établir au Québec à titre permanent ou temporaire ;
-
leur admission au Canada ;
-
leur intégration à la
société québécoise ;
- la détermination des
niveaux d'immigration à destination du Québec.
L'article 2
établit un nouvel objectif important pour le Québec : préserver le poids
démographique du Québec au sein du Canada et assurer une intégration des immigrants
dans cette province, qui soit respectueuse de son caractère distinct. Pour
atteindre cet objectif, il a fallu charger officiellement le Québec de
recommander le nombre d'immigrants qu'il souhaite accueillir, faire en sorte
que le nombre d'immigrants soit proportionnel à la population de la province,
et confier à cette dernière la responsabilité de tous les services d'intégration,
plus particulièrement celui d'offrir aux résidents permanents les moyens d'apprendre
la langue française.
Le Canada
demeure responsable des normes et objectifs nationaux relatifs à l'immigration,
de l'admission de tous les immigrants, ainsi que de l'admission et du contrôle
des visiteurs. L'admission des immigrants peut vouloir dire l'application des
critères relatifs à la criminalité, à la sécurité et à la santé, en plus du
traitement administratif des demandes et de l'admission physique aux points d'entrée
du Canada. Le Québec est responsable de la sélection, de l'accueil et de l'intégration
des immigrants à destination du Québec, et le Canada s'engage à ne pas admettre
au Québec les immigrants indépendants ni les réfugiés qui ne répondent pas aux
critères de sélection du Québec, sauf en ce qui concerne l'arbitrage des
revendications du statut de réfugié présentées par des personnes se trouvant
déjà au Canada.
Dans cet accord Canada-Québec, le Canada s'engage,
comme c'était le cas dans le cas de l'Accord du lac Meech, à permettre au
Québec de recevoir un pourcentage du total des immigrants reçus au Canada égal au
pourcentage de sa population par rapport à la population totale du Canada, avec
le droit de dépasser ce chiffre de 5 % pour des raisons démographiques.
Les deux parties s'engagent plutôt à poursuivre des politiques qui leur
permettent d'atteindre cet objectif. Bien que l'Accord n'en fasse pas mention,
de telles politiques pourraient, pour le Canada, inclure la mise en place à l'étranger
- notamment dans les pays francophones - de suffisamment de ressources pour
traiter les demandes d'immigration, ainsi que l'établissement d'objectifs de
traitement plus élevés pour de tels bureaux.
Le Canada
continue d'établir chaque année les niveaux d'immigration en tenant compte de l'avis
du Québec relativement au nombre d'immigrants que ce dernier désire recevoir.
Pour la première fois, un calendrier officiel de consultation est établi.
Conformément à ce calendrier, le Canada doit informer le Québec, avant le 30 avril
de chaque année, des options à l'étude relativement aux futurs niveaux d'immigration,
en les répartissant entre les diverses catégories d'immigrants.
Le Québec, quant à lui, fera connaître au Canada, avant le 30 juin de
chaque année, le nombre d'immigrants qu'il compte accueillir au cours de l'année
ou des années à venir, en les distribuant également en catégories.
À la suite de ce processus, en vertu de la Loi sur l'immigration et la
protection des réfugiés, le ministre fédéral de l'Immigration, des Réfugiés et
de la Citoyenneté doit déposer un rapport annuel aux deux Chambres du Parlement
avant le 1er novembre si le Parlement est en session, ou dans
les 30 jours suivant la reprise des travaux de l'une ou l'autre des deux
chambres. Ce rapport devra contenir le détail des niveaux d'immigration pour l'année
à venir.
Des
politiciens en défaut du respect de nos lois
Ce que l'on
comprend à la lecture des termes de l'entente Canada-Québec signée par mesdames
McDougall et Gagnon-Tremblay en 1991, c'est que cette entente n'est pas
respectée ni par le gouvernement du Québec ni par celui du Canada. Dans ces
conditions, faut-il s'étonner que ce dossier fasse l'objet d'autant de
démagogies ? Il faut dire également que le Canada ne porte pas seul la
responsabilité de cet échec du dialogue en matière d'immigration.
La volonté des élites québécoises et
du gouvernement Legault de se comporter comme si le Québec était un pays et
d'ignorer le Canada nous coûte cher et pourrait même à terme contribuer à notre
disparition en tant que nation distincte avec un poids politique en Amérique du
Nord. Moi plutôt que voir un complot du Canada pour nous faire disparaître, je
vois plus les manifestations concrètes de l'absence de l'intérêt du Québec pour
le Canada. Il faut mettre fin à cette politique de la chaise vide pratiquée par
le Québec et renouer le dialogue avec le Canada sur l'enjeu de l'immigration et
sur plusieurs autres. On ne peut pas décemment vouloir tout décider chez nous
tout en disant aux Canadiens que l'on veut décider chez eux. En politique
canadienne, il n'y a pas de place pour l'idée on décide chez-nous et chez vous...