On a beau dire, on a beau faire, la pandémie qui sévit parmi
nous est loin d'avoir dit son dernier mot. Tous les jours, nous pouvons prendre
la mesure des conséquences de ce grand mal du début du 21e siècle
qui étend ses tentacules non seulement à notre état de santé physique, mais
aussi qui attaque le tissu social et notre capacité de vivre-ensemble. Avec la
pandémie, on peine à retrouver le plaisir d'être ensemble comme peut nous
offrir les spectacles d'art vivants qui tardent, malgré le relâchement
bénéfique des règles sanitaires, à retrouver ses spectateurs et spectatrices.
Non la pandémie ne tire pas à sa fin et nous avons encore de nombreuses années
à en mesurer toutes les conséquences. Réflexion sur le nouveau monde qui tarde
à apparaître.
Dérèglement économique et social
Malgré les chiffres plutôt rassurants sur le taux de
croissance économique et de la reprise des activités économiques dans la
plupart des secteurs de notre économie, on ne peut pas passer sous silence les
profonds dysfonctionnements qui apparaissent ici et là. À commencer par la
pénurie de la main-d'œuvre qui inquiète tous les secteurs de l'économie, mais
tout particulièrement le réseau de la santé et des services sociaux qui a
longtemps fait la fierté de la différence québécoise.
Sur le plan social, on s'est longtemps fait une fierté du
modèle québécois qui faisait du Québec une sorte de Scandinavie avec toutes les
précautions que nous devons faire preuve avec des métaphores du genre.
Ce modèle québécois craque aujourd'hui de partout. Modèle
québécois caractérisé par ses soins de santé gratuits, accessibles et
universels, par les garderies à faible coût pour les parents, par le régime de
congé parental, par les programmes de discrimination positive pour favoriser
une plus grande participation des femmes et des membres des communautés
visibles, par un régime de droit civil progressiste faisant une place à toutes
et tous en éliminant la discrimination envers celles et ceux qui étaient
différents et par notre fierté d'être propriétaire des actifs d'Hydro-Québec.
Aujourd'hui, il faut bien se rendre à l'évidence, tout cela est remis en
question. Ce n'est pas directement lié à la pandémie de la COVID-19, mais
celle-ci a joué le rôle d'accélérateur qui, avec le vieillissement de la
population, la perte de confiance dans nos institutions, la montée inexorable
de l'individualisme et le consumérisme à outrance.
Celles et ceux qui espéraient un nouveau monde plus juste,
plus équitable, plus vert après la pandémie se réveilleront bientôt avec une
triste gueule de bois
Le je, me, moi
Jamais dans l'histoire de l'humanité, l'Occident a été aussi
près de tomber dans un précipice sans fond, le Québec, bien que distinct, n'en
est pas exempt. Pire encore, nous sommes une terre particulièrement
hospitalière à ce « je, me, moi » qui étends plus que jamais son emprise sur
l'ensemble de la société.
Vous voulez que je vous en donne des exemples, allons-y.
Prenons tout d'abord, cette question devenue centrale dans nos débats publics
de la vaccination obligatoire dans le secteur de la santé. Et bien, la
résistance d'une minorité des gens visés par cette mesure essentielle pour
protéger les patients qui fréquentent nos hôpitaux et nos résidences pour
aînées, soutenue par les syndicats, aurait eu raison de la puissante machine
étatique. Le méchant état québécois n'a pas le droit selon ces défenseurs à
tout crin des libertés individuelles d'imposer une telle mesure. Le ministre de
la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, malgré sa détermination a dû
rebrousser chemin, marcher sur la peinture fraiche de sa volonté affirmée et
faire marche arrière sur la volonté de son gouvernement d'obliger toutes les
travailleuses et tous les travailleurs du secteur de la santé à être vaccinés.
Une défaite importante de la solidarité nécessaire entre nous tous pour vaincre
ce virus.
Ne lançons pas la pierre et soyons empathiques envers ce
ministre qui fait du mieux qu'il peut pour mener notre navire à bon port. Qui
n'a pas dans sa propre famille ou dans des familles qu'il côtoie des gens qui
de façon déraisonnable refusent de se faire vacciner au nom d'innombrables
raisons que je refuse de me faire juge. N'empêche que le refus de participer à
l'effort collectif en matière de vaccination n'est pas sans conséquences et
constitue un message clair de notre échec à vivre-ensemble. Dans nos vies
personnelles, ce sont de petits drames, mais à l'échelle de la société c'est
une catastrophe. Prenons à témoin, les bris de service dans notre système de
santé qui aurait résulté de la vaccination obligatoire de toutes et de tous
dans le secteur de la Santé et de services sociaux. Ce n'est pas un simple
dommage collatéral puisque le puissant syndicat des infirmières et des infirmiers,
La Fédération des infirmières et des infirmiers du Québec, FIIQ, met en demeure
le ministre de mettre fin d'ici le 15 novembre aux heures supplémentaires obligatoires
(TSO) même si cela signifie la réduction des services à la population. Dans
quel monde vivons-nous ? Celui du : « Je, me, moi » ...
Garder le cap sur l'espoir
Je comprends que cette chronique ne suscite pas l'espoir.
Pourtant, je crois qu'il faut garder le cap sur l'espoir. L'espoir en une
humanité qui ne cesse de s'améliorer malgré les apparences. La vie que nous
menons aujourd'hui est un réel progrès sur celui des contemporains du 19e siècle
par exemple. Nous vivons dans un monde bien imparfait et nous aurons à
traverser encore de nombreuses embûches. Des défis nous attendent et ceux-ci
sont colossaux à commencer par celui de la lutte aux changements climatiques.
Dans le brouhaha ambiant, nous pouvons désespérer de ce que nous sommes, mais
nous pouvons aussi nous encourager de ce qui est beau dans nos vies. Il faut
maintenir le dialogue, faire preuve d'empathie envers celles et ceux qui ne
partagent pas notre goût pour la beauté du monde. Nous devons nous réjouir de
cette jeunesse qui mène le combat de la lutte aux changements climatiques, de
nos artistes qui créent et voisinent la beauté dans leur création, de ces
femmes et de ces hommes qui s'engagent encore dans la vie politique pour
améliorer le monde dans lequel nous vivons, de ces scientifiques qui ne cessent
de faire reculer l'ignorance et qui proposent des solutions pour améliorer
notre quotidien et enfin de ces parents dévoués qui ne veulent que le bien de
leur progéniture.
Croire à demain
Il faut croire.
Croire à demain. Tous ensemble. Nous devons faire cause commune pour un
meilleur vivre-ensemble. Il faut être ensemble en ces temps troubles. Il faut
nous rappeler que nous ne serons jamais plus fort que les liens que nous
tissons avec celles et ceux qui font partie de nos vies. Nous vivons un temps
difficile, mais ce n'est pas une raison pour ne pas nous efforcer de composer
ensemble un chant commun, un hymne à la beauté du monde comme l'a fait de si
brillante façon le parolier québécois Luc Plamondon dans une chanson divinement
interprétée par Diane Dufresne :
« Ne tuons pas la
beauté du monde
Faisons de la terre un grand jardin
Pour ceux qui viendront après nous »
Luc Plamondon
Ensemble, faisons de cette
dernière strophe de la chanson de Plamondon notre hymne à la vie de demain. Ne
tuons pas la beauté du monde...