Le 1er juin dernier, le projet de loi no
96, la Loi sur la langue officielle et
commune du Québec, le français1,
fut sanctionné par l'Assemblée nationale du Québec. Cette loi, hormis ses
impacts importants et fort médiatisés sur le milieu économique et commercial2, affecte de façon marquante les ordres professionnels du
Québec, telle la Chambre des notaires du Québec. En effet, l'article 129 de cette loi empêche la publication des actes en anglais au registre foncier3. Le bref délai
entre la sanction de la loi
et l'entrée en vigueur de cet article a été déploré par les notaires4,
étant donné les conséquences importantes de cette dernière sur leur pratique et
son impact sur leurs clients. Dans son Mémoire
portant sur le projet de loi no 965, publié en
septembre 2021, la Chambre des notaires du Québec a relaté ses inquiétudes
vis-à-vis l'article 129 de cette loi,
entrée en vigueur le 1er septembre dernier, particulièrement en ce
qui concerne les délais et les coûts supplémentaires que cette norme engendre.
Tout d'abord, il est important de
mentionner que dans ce mémoire, la Chambre des notaires du Québec appuie de
façon générale la loi no 96, notamment en raison de la place
importante qu'occupe la pratique notariale dans l'identité québécoise ainsi que
les fonctions que remplissent les notaires. La pratique notariale est
particulière au Québec, non seulement au Canada, mais à travers l'Amérique du
Nord6 ; l'unicité de cette institution
représente donc une partie intégrale de l'identité québécoise7. La Chambre reconnait aussi qu'en la qualité d'officier public, la maîtrise
du français représente un élément fondamental à la pratique
notariale et une obligation essentielle pour les professionnels du notariat8.
Toutefois, l'article 129, qui empêche la publication des
actes en anglais au registre foncier du Québec9,
risque d'engendrer des conséquences non négligeables sur la pratique notariale
et sur la clientèle des notaires. La publication des droits immobiliers au
registre leur donne une reconnaissance au niveau juridique et permet de les protéger
contre une inscription contraire10 ;
comme l'évoque la Chambre des notaires, « [l]e but
principal de la publicité est [...] de permettre la sécurité des transactions
immobilières11. » La Chambre
craint que les modifications en vigueur à cet égard puissent compromettre cette sécurité. Contrairement à la présentation de l'acte lui-même (en anglais) au registre,
auquel l'inscription se faisait généralement la journée même de la signature
de l'acte, la nouvelle loi exige une inscription d'un acte en anglais par un
résumé de l'acte en français du notaire et avec une traduction certifiée
conforme à l'original12. Ces mesures, en
plus d'occasionner des coûts additionnels de rédaction et de traduction,
génèrent des délais supplémentaires dans le processus d'inscription au registre
foncier. De ce fait, lors de ce délai ajouté,
le notaire ne peut
garantir la sécurité, les droits
créés par l'acte et ces
derniers ne sont donc pas à l'abri d'une inscription
contradictoire13, ce qui contribue
sans doute à diminuer la sécurité des transactions immobilières.
Ces délais peuvent
entraîner des conséquences graves sur les individus qui prennent part au marché immobilier. Par exemple, un délai
additionnel pourrait avoir pour effet de reporter un achat immobilier
subséquent, ce qui compliquerait les chaînes de transactions immobilières qui
se font souvent dans un court intervalle14.
L'entrée en vigueur de l'article 129 de la loi 96 ce 1er
septembre provoque certainement un changement dans la pratique notariale.
Malgré le court délai entre la sanction de la loi et l'entrée en vigueur
de cet article, les notaires
du Québec ont su s'adapter à cette nouvelle
réalité juridique15. Il reste à voir si leurs craintes
exprimées il y a un an s'avèreront bien fondées.
Félix Brochu, stagiaire en droit, en collaboration avec Me Catherine
Chouinard, notaire.
1
Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, L.Q. 2022, c. 14 (ci-après « Loi 96 »).
2 Maxime BERGERON, « Des entreprises inquiètes
pour leur recrutement », La Presse, 31 août 2022.
3 Loi 96, art. 126.
4
Maxime BERGERON, « Fini les documents
en anglais au registre foncier
», La Presse, 1er septembre 2022.
5 CHAMBRE DES NOTAIRES
DU QUÉBEC, Mémoire portant
sur le projet de loi no 96,
Montréal, Chambre des notaires du Québec, 2021.
6
Id., p.
6.
7 Id.
8 Id., p. 9.
9
Loi 96, article
129.
10
Code civil du Québec, RLRQ,
c. CCQ-1991, art. 2941.
11
CHAMBRE DES NOTAIRES, préc., note 5, p. 43.
12 Id., p. 44
13 Id., p. 44-45
14
Id., p.45
15
M. BERGERON, préc., note 4.