Des voisins se disputent au sujet d'une haie de cèdres qui
les séparent et d'un droit de passage qui est contiguë à cette haie.
Les faits peuvent se résumer comme suit :
Madame Aubé est propriétaire d'un lot où se trouve une haie
de cèdres d'une hauteur de vingt-trois pieds à certains endroits et douze pieds
de large dans sa partie la plus étendue. Sur le lot de Madame Gagné qui est contiguë à celui de
Madame Aubé, Monsieur Ouellet détient une servitude de passage d'une largeur de
quinze pieds.
L'hiver après une chute de neige, il arrive que les
branches chargées de neige nuisent à la circulation sur le chemin asphalté. Il ne fait aucun doute que les branches et les racines de
la haie de cèdres empiètent sur le lot de Madame Gagné.
Madame Aubé apprend que Madame Gagné veut l'obliger à
couper des branches et des racines qui se retrouvent sur son terrain. Madame
Aubé dépose alors une demande en injonction permanente et en dommage pour
empêcher Madame Gagné de porter atteinte à sa haie et y construire une clôture
à moins d'un pied de distance de la ligne de division du lot.
De son côté Madame Gagné entreprend à son tour une demande
en injonction permanente afin que Madame Aubé coupe les branches et troncs de
la haie qui se trouvent sur sa propriété et qui l'empêche d'ériger sa clôture à
un pied de distance de la ligne du lot.
Qui aura raison?
Tout d'abord quel est le droit applicable?
Art.947
CcQ
La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer
librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions
fixées par la loi.
Art.
985 CcQ
Le propriétaire peut, si des branches ou des racines
venant d'un fonds voisin s'avancent sur son fonds et nuisent sérieusement à son usage, demander à son voisin de les
couper, en cas de refus, il peut le contraindre à les couper.
Art. 1002 CcQ
Tout propriétaire peut clore son terrain à ses frais, à
l'entourer de murs, de fossés, de haies ou de toute autre clôture...
Art.
976 CcQ
Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du
voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent,
suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.
Dans l'affaire Gagné c. Aubé 2020 QCCS 892 rendue le 19
février 2020, la juge Bergeron de la Cour Supérieure a décidé à la suite de la
preuve et des arguments qui lui ont été soumis que pour appliquer l'article 985
CcQ, il ne suffisait pas que les branches et les racines se trouvent sur le
terrain voisin pour qu'on puisse les couper mais que ces branches et ces
racines devaient nuirent sérieusement à l'usage du fonds voisin.
C'est ainsi que la juge écrit dans son jugement :
(56) La preuve dans cette affaire démontre qu'à l'occasion,
surtout en hiver, alors que la neige est lourde, les branches des plus gros
cèdres situés vers l'arrière de la haie de cèdres, le long de la ligne
séparative rendent plus difficiles le passage dans l'emprise qu'utilise
Monsieur Ouellet alors que ces mêmes branches « frottent » contre les véhicules
ou encore contre la cabine du tracteur qu'il utilise pour le déneigement.
En conséquence, malgré que la preuve ne soit pas précise
sur les largeurs en cause, la juge considérant qu'il y a nuisance à causes des
branches, établira à un pied à partir du chemin asphalté... :
(71) ... « l'extrême
limite que les branches ou toute autre partie des cèdres, sur toute leur
hauteur, ne doivent pas excéder et, en conséquence, où elles doivent être
coupées ou élaguées »
Vous remarquerez que la juge n'a pas considérée la coupe
des racines puisque celles-ci ne nuisent pas « sérieusement » au lot de Madame
Gagné.
Qu'arrivera-t-il de la clôture?
La juge justifiera sa position comme suit :
(79) Ainsi, dans le contexte où le Tribunal a imposé que
l'empiètement des branches ou des parties de cèdres soit contenu à un pied de
la ligne d'asphalte et, selon le témoignage de Madame Gagné, alors que
l'empiètement actuel est d'au moins trois pieds de la ligne séparative, une
clôture pourra être réalisée avec les recommandations énoncées dans l'expertise
de Madame Bernier, à un pied (trente centimètres) mesuré en direction de la
ligne séparative du bord de l'asphalte utilisé pour la servitude de passage.
(80)
Ainsi l'impact que la clôture pourrait avoir sur la «
solidité » de la haie de cèdres sera limité, mais il n'y a pas lieu de priver
Madame Gagné de son droit de clore et d'user de sa propriété dans les limites
posées par celle-ci, qui, à l'audience requiert l'installation d'une clôture à
un pieds de la ligne séparative.
Le jugement respecte les droits des uns et des autres, en
effet, Madame Aubé conserve la partie de sa haie qui ne nuit pas à Madame
Gagné, bien qu'elle empiète sur le lot de cette dernière et de son côté Madame
Gagné peut ériger sa clôture, mais doit tout de même respecter la présence de
la haie de Madame Aubé qui se retrouve sur son lot.
Pour conclure, il ne faut surtout pas oublier que le Code
civil ne permet pas à un propriétaire de couper les branches ou les racines qui
se trouvent sur son terrain sans la permission de son voisin ou du Tribunal en
cas de refus dudit voisin.
Au plaisir,
Me Michel Joncas, avocat
Monty Sylvestre, conseillers juridiques inc.