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Les pissous de François Legault

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 7 avril 2021

Nous vivons dans une drôle d'époque. Celle-ci est caractérisée entre autres choses par le manque de civilité et par la perversion d'esprits malades. Comment penser autrement à la suite de la recrudescence des propos haineux que l'on retrouve sur les réseaux sociaux ? Il y a une dizaine de jours, le premier ministre du Québec, François Legault, a publié sur sa page Facebook une diatribe sur les pissous qui se cachent derrière leurs écrans pour faire la loi sur ces égouts à ciel ouvert que sont devenus les réseaux sociaux. Réflexion sur l'un des pires maux de notre époque : l'incivilité.

L'incivilité

S'il y a un motif pour nous inquiéter de cette époque dans laquelle nous vivons, c'est bien cette propension que l'on retrouve l'utilisation de façon quasi généralisée du tu et du toi des gens les uns envers les autres. Sans vouloir revenir à une autre époque, il faut quand même avouer que les règles de bienséance de mon enfance, le vouvoiement et toutes ces choses qui apparaissent aujourd'hui futiles contribuaient à donner du vernis aux rapports sociaux. Ce sans-gêne ambiant se traduit par une familiarité dans les relations entre les gens qui mettent à mal les notions de base du respect et de la politesse en société. Ce qui vient ajouter au confort que les gens ressentent à invectiver les autres dans l'anonymat derrière leurs écrans. Il y a tout un monde entre invectiver les gens de façon anonyme ou le faire à visage découvert. Critiquer les gens ou les choses en signant son nom demande plus de courage que de se cacher derrière un pseudonyme ou une image sympathique de chat ou de tigre. L'incivilité est partout et elle fait des ravages. Je ne parle même pas ici de la question de savoir débattre avec autrui.

Un espace public transformé

livreL'espace public est un concept qui a été développé au milieu des années 1960 par le philosophe Jürgen Habermas. Pour Habermas. Le concept de sphère publique est en lien avec le développement des médias de masse tant en Europe qu'aux États-Unis. Il est discuté dans ce livre comme un concept opératoire pour étudier à la fois le développement de l'opinion publique en lien avec le vouloir-vivre ensemble démocratique.

Dans ces diverses contributions, selon diverses approches, il est établi que le modèle d'Habermas n'est pas sans défaut et que ses limites nécessitent de nouvelles approches : l'histoire n'est pas statique, et la sphère publique dans la situation contemporaine est conditionnée par d'autres circonstances historiques et est (espérons-le) imprégnée d'autres potentialités. Dans la mesure où l'on se préoccupe de la dynamique de la démocratie, nous avons besoin d'une compréhension de la sphère publique qui soit conforme aux réalités émergentes d'aujourd'hui et utilisable à la fois pour la recherche et la politique. Cela implique de se réconcilier avec l'analyse de Habermas, de l'intégrer et de la modifier dans de nouveaux horizons intellectuels et politiques. 

Parmi les nouveaux horizons qu'ouvrent les perspectives de ces diverses contributions, le plus important c'est le constat du pluralisme et de la dynamique de la sphère publique qui vient inverser le contrôle habituel des médias traditionnels et leur emprise sur l'espace public. Cette nouvelle configuration de l'espace public en lien avec le développement économique et social peut être résumée en quatre éléments fondamentaux soit la crise de l'État et de sa légitimité, la segmentation des auditoires des médias, l'émergence de nouveaux mouvements sociaux dans le sillage de l'avènement des réseaux sociaux et l'espace public sous la domination des grandes corporations et des médias de masse.

Cela a contribué à l'apparition d'une parole publique décrispée, sans contrôle éditorial et par laquelle toute personne se sent autorisée à discuter et à pontifier sur tous les sujets. Le relativisme ambiant et le nivellement des expertises au vecteur que toute opinion se vaut, donnent pour résultats ce déferlement d'insultes et d'injures qui font office de débats et d'arguments sur les réseaux sociaux.

Les 15 minutes de gloire d'Andy Warhol

livreDe nos jours, plusieurs personnes désirent devenir des célébrités. C'est Andy Warhol qui disait que tous pouvaient avoir leurs 15 minutes de gloire. L'expression est une paraphrase d'une affirmation d'Andy Warhol dans le catalogue d'une exposition au Moderna Museet de Stockholm tenue de février à mars 1968. En 1979, il a réitéré cette affirmation en disant : « ... ma prédiction des années soixante s'est réalisée : à l'avenir, tout le monde sera célèbre pendant quinze minutes. » Pour Warhol, afin de devenir une célébrité, il fallait accomplir un geste remarquable ou remarqué. 

C'est ainsi que la convergence de phénomènes sociaux et politiques et le potentiel de nouveaux médias d'information créent un contexte favorable à une parole nouvelle libérée de toutes contraintes. Cette parole libérée est cependant à chercher ses repères en ce moment et on retrouve le pire et le meilleur. La parole qui se libère pour dénoncer la culture du viol est différente de celle qui répand le virus du racisme et de la xénophobie même si elle provient du même phénomène.

Pouvons-nous garder espoir en nous ?

La difficulté en ce moment c'est de garder les yeux sur les bonnes choses tout en dénonçant les manifestations non désirées de cette parole libérée. Il ne faut pas mettre la faute sur l'outil, mais sur nos comportements. On peut bien mettre la faute sur les réseaux sociaux, mais il faut aller plus loin dans notre analyse. Ce n'est pas vrai que l'on doit tolérer de telles paroles dans notre société et dans notre monde. Il est temps que l'on y mette de l'ordre et que l'on inculque à toutes les citoyennes et à tous les citoyens un minimum d'éducation à la civilité et à la politesse. Ce n'est pas vrai que tout se vaut et que la liberté d'expression permet du grand n'importe quoi. Je laisse aux avocats à leurs avocasseries qui débattront de la Charte des droits et du bien-fondé de la liberté d'expression. Moi, en ce qui me concerne, je suis plutôt d'avis que la liberté d'expression s'arrête où commence celle des autres.

LegaultNous devons nous mobiliser et dire tolérance zéro envers ces esprits dérangés et pervers. Ces grands malades qui s'ignorent. Il est temps que l'on cesse d'insulter ou d'offenser les autres sous le prétexte que nous avons droit à notre opinion. Ce n'est pas une lutte contre l'antisémitisme ni contre le racisme qu'il faut mener, mais une lutte contre les imbéciles et contre l'incivilité. Dans nos relations quotidiennes et sur nos réseaux sociaux, disons tolérance zéro envers celles et ceux qui sont des destructeurs de notre vivre-ensemble. Nous devons combattre la puanteur qui émerge des égouts et ne plus tolérer l'incivilité. Nous devons réapprendre à respecter les autres. Cela est une tâche urgente. Il faut veiller à y mettre de l'ordre maintenant. Il faut débusquer et combattre les pissous de François Legault.

 

 


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