Nous
vivons dans une drôle d'époque. Celle-ci est caractérisée entre autres choses
par le manque de civilité et par la perversion d'esprits malades. Comment
penser autrement à la suite de la recrudescence des propos haineux que l'on
retrouve sur les réseaux sociaux ? Il y a une dizaine de jours, le premier
ministre du Québec, François Legault, a publié sur sa page Facebook une diatribe sur les pissous qui se cachent derrière leurs écrans
pour faire la loi sur ces égouts à ciel ouvert que sont devenus les réseaux
sociaux. Réflexion sur l'un des pires maux de notre époque : l'incivilité.
L'incivilité
S'il
y a un motif pour nous inquiéter de cette époque dans laquelle nous vivons,
c'est bien cette propension que l'on retrouve l'utilisation de façon quasi
généralisée du tu et du toi des gens les uns envers les autres. Sans vouloir
revenir à une autre époque, il faut quand même avouer que les règles de
bienséance de mon enfance, le vouvoiement et toutes ces choses qui apparaissent
aujourd'hui futiles contribuaient à donner du vernis aux rapports sociaux. Ce
sans-gêne ambiant se traduit par une familiarité dans les relations entre les
gens qui mettent à mal les notions de base du respect et de la politesse en
société. Ce qui vient ajouter au confort que les gens ressentent à invectiver
les autres dans l'anonymat derrière leurs écrans. Il y a tout un monde entre
invectiver les gens de façon anonyme ou le faire à visage découvert. Critiquer
les gens ou les choses en signant son nom demande plus de courage que de se
cacher derrière un pseudonyme ou une image sympathique de chat ou de tigre. L'incivilité est partout et elle fait des ravages.
Je ne parle même pas ici de la question de savoir débattre avec autrui.
Un
espace public transformé
L'espace public est un
concept qui a été développé au milieu des années 1960 par le philosophe Jürgen
Habermas. Pour Habermas. Le concept de sphère publique est en lien avec le
développement des médias de masse tant en Europe qu'aux États-Unis. Il est
discuté dans ce livre comme un concept opératoire pour étudier à la fois le
développement de l'opinion publique en lien avec le vouloir-vivre ensemble
démocratique.
Dans ces diverses contributions, selon diverses
approches, il est établi que le modèle d'Habermas n'est pas sans défaut et que
ses limites nécessitent de nouvelles approches : l'histoire n'est pas
statique, et la sphère publique dans la situation contemporaine est
conditionnée par d'autres circonstances historiques et est (espérons-le)
imprégnée d'autres potentialités. Dans la mesure où l'on se préoccupe de la
dynamique de la démocratie, nous avons besoin d'une compréhension de la sphère
publique qui soit conforme aux réalités émergentes d'aujourd'hui et utilisable
à la fois pour la recherche et la politique. Cela implique de se réconcilier
avec l'analyse de Habermas, de l'intégrer et de la modifier dans de nouveaux
horizons intellectuels et politiques.
Parmi les nouveaux horizons qu'ouvrent les
perspectives de ces diverses contributions, le plus important c'est le constat
du pluralisme et de la dynamique de la sphère publique qui vient inverser le
contrôle habituel des médias traditionnels et leur emprise sur l'espace public.
Cette nouvelle configuration de l'espace public en lien avec le développement
économique et social peut être résumée en quatre éléments fondamentaux soit la
crise de l'État et de sa légitimité, la segmentation des auditoires des médias,
l'émergence de nouveaux mouvements sociaux dans le sillage de l'avènement des
réseaux sociaux et l'espace public sous la domination des grandes corporations
et des médias de masse.
Cela a contribué à l'apparition d'une parole
publique décrispée, sans contrôle éditorial et par laquelle toute personne se
sent autorisée à discuter et à pontifier sur tous les sujets. Le relativisme
ambiant et le nivellement des expertises au vecteur que toute opinion se vaut,
donnent pour résultats ce déferlement d'insultes et d'injures qui font office
de débats et d'arguments sur les réseaux sociaux.
Les 15 minutes de gloire d'Andy Warhol
De nos jours,
plusieurs personnes désirent devenir des célébrités. C'est Andy Warhol qui
disait que tous pouvaient avoir leurs 15 minutes de gloire. L'expression
est une paraphrase d'une affirmation d'Andy Warhol dans le catalogue d'une
exposition au Moderna Museet de Stockholm tenue de février à mars 1968. En
1979, il a réitéré cette affirmation en disant : « ... ma prédiction des
années soixante s'est réalisée : à l'avenir, tout le monde sera célèbre
pendant quinze minutes. » Pour Warhol, afin de devenir une célébrité, il
fallait accomplir un geste remarquable ou remarqué.
C'est ainsi que la convergence de
phénomènes sociaux et politiques et le potentiel de nouveaux médias
d'information créent un contexte favorable à une parole nouvelle libérée de
toutes contraintes. Cette parole libérée est cependant à chercher ses repères
en ce moment et on retrouve le pire et le meilleur. La parole qui se libère
pour dénoncer la culture du viol est différente de celle qui répand le virus du
racisme et de la xénophobie même si elle provient du même phénomène.
Pouvons-nous garder espoir en
nous ?
La difficulté en ce moment c'est
de garder les yeux sur les bonnes choses tout en dénonçant les manifestations non
désirées de cette parole libérée. Il ne faut pas mettre la faute sur l'outil,
mais sur nos comportements. On
peut bien mettre la faute sur les réseaux sociaux, mais il faut aller plus loin
dans notre analyse. Ce n'est pas vrai que l'on doit tolérer de telles paroles
dans notre société et dans notre monde. Il est temps que l'on y mette de
l'ordre et que l'on inculque à toutes les citoyennes et à tous les citoyens un
minimum d'éducation à la civilité et à la politesse. Ce n'est pas vrai que tout
se vaut et que la liberté d'expression permet du grand n'importe quoi. Je
laisse aux avocats à leurs avocasseries qui débattront de la Charte des droits
et du bien-fondé de la liberté d'expression. Moi, en ce qui me concerne, je
suis plutôt d'avis que la liberté d'expression s'arrête où commence celle des
autres.
Nous devons nous mobiliser et dire tolérance zéro envers ces esprits
dérangés et pervers. Ces grands malades qui s'ignorent. Il est temps que l'on
cesse d'insulter ou d'offenser les autres sous le prétexte que nous avons droit
à notre opinion. Ce n'est pas une lutte contre l'antisémitisme ni contre le
racisme qu'il faut mener, mais une lutte contre les imbéciles et contre
l'incivilité. Dans nos relations quotidiennes et sur nos réseaux sociaux,
disons tolérance zéro envers celles et ceux qui sont des destructeurs de notre
vivre-ensemble. Nous devons combattre la puanteur qui émerge des égouts et ne
plus tolérer l'incivilité. Nous devons réapprendre à respecter les autres. Cela
est une tâche urgente. Il faut veiller à y mettre de l'ordre maintenant. Il
faut débusquer et combattre les pissous de François Legault.