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Les maudits gars

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 20 novembre 2024

Ressentez-vous comme moi un malaise devant le discours actuel sur les femmes et les hommes ? La campagne électorale américaine à la présidence nous a donné droit à toutes les outrances envers les femmes de la part de Trump et de ses ouailles. De la femme à chat de JD Vance au discours misogyne de Trump envers Kamala Harris, sa concurrente, la coupe était pleine. Non. Il a fallu aussi que notre grande messe du dimanche, Tout le monde en parle, TLMP pour les intimes, nous ramène un débat sur le masculinisme en s'appuyant sur l'excellent documentaire Alpha, de Simon Coutu. Puis la déferlante de l'intolérance s'est abattue sur les réseaux sociaux qui se sont enflammés et a foulé à nos pieds la sacro-sainte liberté d'expression. Est-il possible de penser et d'écrire sur un tel sujet en 2024 ? J'en doute, mais je plonge quand même.

Aux sources du masculinisme

Définissons-le d'abord. Le masculinisme aidons-nous du Petit Robert pour définir le terme. Les artisans de ce dictionnaire proposent la définition suivante : « Ensemble de revendications cherchant à promouvoir les droits des hommes et leurs intérêts dans la société. » Une définition assez neutre et qui ne véhicule aucune émotion ou animosité. Pour le Larousse, le choix est différent. Il est moins neutre. Constatez : « Idéologie d'origine nord-américaine, regroupant une myriade de mouvements principalement présents en ligne qui, en réaction aux mouvements féministes dont ils se disent victimes et sous couvert de dénoncer toutes les formes de discrimination, véhiculent des thèses sexistes, complotistes et réactionnaires, à travers un discours misogyne et/ou patriarcal bien rodé. » Wikipédia qui fait appel à de nombreux collaborateurs pour élaborer ses contenus va plus loin dans l'émotion et propose : « Le masculinisme est le plus souvent défini comme un mouvement réactionnaire, misogyne, androcentré et antiféministe. Ses partisans considèrent que le terme est dépréciatif et préfèrent parler d'homisme. »

Permettez-moi de vous donner ma propre définition : le masculinisme est une idéologie née en réaction d'une présence affirmée d'un discours culpabilisant envers les hommes de la part d'une mouvance féministe radicale pour laquelle les hommes sont des ennemis à abattre. Dans un tel contexte, les changements sociaux aidant les jeunes hommes qui se retrouvent sans repères pour affirmer leur genre empruntent des voies condamnables, mais vues par eux comme une issue. Je n'écris pas que les féministes radicales sont responsables du masculinisme, mais plutôt que le masculinisme est une conséquence collatérale d'un discours méprisant envers les hommes et leur genre. Je sais que je ne me bâtirai pas un fan-club avec cette affirmation, mais je crois que pour entreprendre un réel dialogue il faut savoir dire les choses.

La culture du viol, féminicide, violence faite aux femmes et discrimination systémique

Cela dit, il ne faut pas nier que le Québec n'est pas, quoi que l'on en dise, la terre de prédilection des femmes. De 2018 à 2021, nous avons pu relever 63 féminicides. S'en sont ajoutées 14 en 2022 et 15 en 2023. En 2024, nous en comptons 21 à ce jour. Une femme sur 200 a été victime de violence conjugale. Je vous fais grâce des statistiques sur l'emploi, la rémunération qui encore aujourd'hui est défavorable aux femmes.

Cela témoigne de la présence au Québec d'une culture du viol, de féminicides, ultime témoignage du contrôle des hommes sur les femmes et de la violence à leurs égards. À la lumière de ces faits objectifs, mais surtout vérifiables, nous ne pouvions nier la présence d'une discrimination systémique envers les femmes au Québec en dépit des discours lénifiants sur l'existence d'une parfaite égalité entre les hommes et les femmes, une des valeurs phares de notre vivre-ensemble.

On comprend donc que la société québécoise, comme nombre d'autres dans le monde, continue de faire face à des enjeux cruciaux liés à la violence envers les femmes, notamment le phénomène de la culture du viol et de la discrimination systémique. Malgré des avancées significatives en matière de droits des femmes, les statistiques et les témoignages récents révèlent une réalité préoccupante. En 2024, il est essentiel de dénoncer ces problématiques, d'examiner leurs racines et d'envisager des solutions concrètes pour construire une société plus juste et plus égalitaire.

On comprend aussi que si le masculinisme est un dommage collatéral d'un discours féministe radical, le discours féministe radical est une conséquence de la condition de vie des femmes. On peut comprendre l'existence de cette mouvance même si celle-ci cause plus de maux qu'elle fournit de remèdes.

Le mouvement masculiniste, sa nature et ses caractéristiques

Les mouvements masculinistes s'expriment par des canaux très divers : par la voix de personnalités, d'associations, de groupes de paroles, et en ligne dans les nombreux forums de la manosphère. Leurs moyens peuvent aller du lobbying à l'action violente. La rhétorique masculiniste classique consiste entre autres à présenter le masculinisme comme le pendant du féminisme, à nier l'existence du patriarcat, à déplorer la « crise de la masculinité » dont les femmes et les féministes seraient responsables, à essentialiser la différence homme femme et valoriser une masculinité traditionnelle, à revendiquer des dispositions favorables aux hommes, notamment dans les situations de divorce, à prétendre que la violence conjugale s'exerce sur les hommes autant que sur les femmes, à demander un système de codécision en matière d'avortement. Rappelons-nous le combat de Jean-Guy Tremblay contre son ex-conjointe Chantal Daigle autour de cette question et la décision de la Cour suprême en 1989. Peut-on oublier le traumatisme que fut pour le Québec et notamment pour les hommes que fut la tuerie de Polytechnique le 6 décembre 1989 ?

Le masculinisme s'inscrit sans une quête identitaire. Pour certains hommes, la montée du féminisme a été perçue comme une remise en question de leur identité et de leur rôle traditionnel. Ils peuvent se sentir marginalisés et cherchent alors à revendiquer une voix au sein d'un discours généralement dominé par les préoccupations féminines.

Cela s'est aussi nourri de crises économiques, notamment celle des années 2008. Cette crise a exacerbé les tensions de genre. Beaucoup d'hommes, confrontés à un chômage accru ou à une précarité croissante, peuvent se tourner vers le masculinisme comme réponse à leur vulnérabilité, cherchant à rationaliser leur situation par une critique du féminisme et en mettant en avant des stéréotypes de genre dépassés. Outre les crises économiques comme celle de 2008, les avancées timides des droits des femmes ont aussi contribué au malaise actuel. Des lois ou des politiques publiques jugeant favoriser les femmes dans certains domaines, tels que les quotas de genre dans les entreprises ou les programmes d'aide ciblés, sont parfois interprétées par les hommes comme un traitement préférentiel aux dépens de leurs intérêts. Cela alimente un sentiment de lutte et de division qui nourrit le masculinisme.

Enfin, la montée des réseaux sociaux a permis aux idéologies masculinistes de trouver un terrain fertile pour se répandre. Des groupes en ligne se forment autour des frustrations communes et propagent des idées basées sur une vision binaire et antagoniste des relations entre hommes et femmes. Cela a favorisé l'élaboration d'une communauté autour de la victimisation masculine.

Où en sommes-nous et surtout, où allons-nous ?

C'est ici où nous en sommes. Ceci explique cela. Il ne faut donc guère s'étonner du ressac sur les réseaux sociaux de la présence d'invités masculinistes sur le plateau de l'émission Tout le monde en parle. Il reste que l'exagération mène à l'indifférence. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. S'il est vrai que le masculinisme suscite aujourd'hui les passions, il est fondamental que l'on conserve une valeur suprême qui nous permet d'exister comme collectivité soit la liberté d'expression. On ne peut pas taire ce que nous honnissons en pensant que cela va disparaître. La poussière sous le tapis n'est pas une stratégie gagnante pour faire maison nette.

Le masculinisme au Québec soulève des enjeux importants qui ne doivent pas être négligés. Si ce mouvement vise à aborder des préoccupations légitimes concernant les droits des hommes, il peut également conduire à des attitudes hostiles envers le féminisme et à la division entre les genres. Il est essentiel d'encourager un dialogue constructif qui reconnait les luttes de tous les sexes, sans effacer les problématiques qui affectent spécifiquement les femmes.

Le masculinisme au Québec s'enracine dans des histoires et des luttes complexes, marquées par des changements sociaux, des crises économiques et l'évolution des identités de genre. Pour avancer, une compréhension mutuelle et une collaboration entre les mouvements féministes et masculinistes sont indispensables. La clé réside dans la réaffirmation des droits de chacun tout en construisant un espace inclusif où les intérêts de tous les genres peuvent être entendus et respectés. Pour avancer, il faut prendre en compte les maudits gars...


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