Ressentez-vous comme moi un malaise devant le discours actuel sur
les femmes et les hommes ? La campagne électorale américaine à la présidence
nous a donné droit à toutes les outrances envers les femmes de la part de Trump
et de ses ouailles. De la femme à chat de JD Vance au discours misogyne de
Trump envers Kamala Harris, sa concurrente, la coupe était pleine. Non. Il a
fallu aussi que notre grande messe du dimanche, Tout le monde en parle, TLMP
pour les intimes, nous ramène un débat sur le masculinisme en s'appuyant sur
l'excellent documentaire Alpha, de Simon Coutu. Puis la déferlante de
l'intolérance s'est abattue sur les réseaux sociaux qui se sont enflammés et a
foulé à nos pieds la sacro-sainte liberté d'expression. Est-il possible de
penser et d'écrire sur un tel sujet en 2024 ? J'en doute, mais je plonge quand
même.
Aux sources du masculinisme
Définissons-le d'abord. Le
masculinisme aidons-nous du Petit Robert pour définir le terme. Les
artisans de ce dictionnaire proposent la définition suivante : « Ensemble de
revendications cherchant à promouvoir les droits des hommes et leurs intérêts
dans la société. » Une définition assez neutre et qui ne véhicule aucune
émotion ou animosité. Pour le Larousse, le choix est différent. Il est
moins neutre. Constatez : « Idéologie d'origine
nord-américaine, regroupant une myriade de mouvements principalement présents
en ligne qui, en réaction aux mouvements féministes dont ils se disent victimes
et sous couvert de dénoncer toutes les formes de discrimination, véhiculent des
thèses sexistes, complotistes et réactionnaires, à travers un discours misogyne
et/ou patriarcal bien rodé. » Wikipédia qui fait appel à de nombreux
collaborateurs pour élaborer ses contenus va plus loin dans l'émotion et
propose : « Le masculinisme est le plus souvent défini comme un mouvement
réactionnaire, misogyne, androcentré et antiféministe. Ses partisans
considèrent que le terme est dépréciatif et préfèrent parler d'homisme. »
Permettez-moi de vous donner ma propre définition : le masculinisme
est une idéologie née en réaction d'une présence affirmée d'un discours
culpabilisant envers les hommes de la part d'une mouvance féministe radicale
pour laquelle les hommes sont des ennemis à abattre. Dans un tel contexte, les
changements sociaux aidant les jeunes hommes qui se retrouvent sans repères
pour affirmer leur genre empruntent des voies condamnables, mais vues par eux
comme une issue. Je n'écris pas que les féministes radicales sont responsables
du masculinisme, mais plutôt que le masculinisme est une conséquence
collatérale d'un discours méprisant envers les hommes et leur genre. Je sais
que je ne me bâtirai pas un fan-club avec cette affirmation, mais je crois que
pour entreprendre un réel dialogue il faut savoir dire les choses.
La culture du viol, féminicide, violence faite aux femmes et
discrimination systémique
Cela dit, il ne faut pas nier que le Québec n'est pas, quoi que l'on en
dise, la terre de prédilection des femmes. De 2018 à 2021, nous avons pu
relever 63 féminicides. S'en sont ajoutées 14 en 2022 et 15 en 2023. En
2024, nous en comptons 21 à ce jour. Une femme sur 200 a été victime de
violence conjugale. Je vous fais grâce des statistiques sur l'emploi, la
rémunération qui encore aujourd'hui est défavorable aux femmes.
Cela témoigne de la présence au Québec d'une culture du viol, de
féminicides, ultime témoignage du contrôle des hommes sur les femmes et de la
violence à leurs égards. À la lumière de ces faits objectifs, mais surtout
vérifiables, nous ne pouvions nier la présence d'une discrimination systémique
envers les femmes au Québec en dépit des discours lénifiants sur l'existence
d'une parfaite égalité entre les hommes et les femmes, une des valeurs phares
de notre vivre-ensemble.
On comprend donc que la société
québécoise, comme nombre d'autres dans le monde, continue de faire face à des
enjeux cruciaux liés à la violence envers les femmes, notamment le phénomène de
la culture du viol et de la discrimination systémique. Malgré des avancées
significatives en matière de droits des femmes, les statistiques et les
témoignages récents révèlent une réalité préoccupante. En 2024, il est
essentiel de dénoncer ces problématiques, d'examiner leurs racines et d'envisager
des solutions concrètes pour construire une société plus juste et plus égalitaire.
On comprend aussi que si le masculinisme est un dommage collatéral d'un
discours féministe radical, le discours féministe radical est une conséquence
de la condition de vie des femmes. On peut comprendre l'existence de cette
mouvance même si celle-ci cause plus de maux qu'elle fournit de remèdes.
Le mouvement masculiniste, sa nature et ses caractéristiques
Les mouvements masculinistes s'expriment
par des canaux très divers : par la voix de personnalités, d'associations, de groupes de paroles, et en ligne
dans les nombreux forums de la manosphère. Leurs moyens peuvent aller du
lobbying à l'action violente. La rhétorique masculiniste classique consiste
entre autres à présenter le masculinisme comme le pendant du féminisme, à nier
l'existence du patriarcat, à déplorer la « crise de la masculinité » dont les
femmes et les féministes seraient responsables, à essentialiser la différence
homme femme et valoriser une masculinité traditionnelle, à revendiquer des
dispositions favorables aux hommes, notamment dans les situations de divorce, à
prétendre que la violence conjugale s'exerce sur les hommes autant que sur les
femmes, à demander un système de codécision en matière d'avortement.
Rappelons-nous le combat de Jean-Guy Tremblay contre son ex-conjointe Chantal
Daigle autour de cette question et la décision de la Cour suprême en 1989. Peut-on
oublier le traumatisme que fut pour le Québec et notamment pour les hommes que
fut la tuerie de Polytechnique le 6 décembre 1989 ?
Le masculinisme s'inscrit sans une quête identitaire. Pour
certains hommes, la montée du féminisme a été perçue comme une remise en
question de leur identité et de leur rôle traditionnel. Ils peuvent se sentir
marginalisés et cherchent alors à revendiquer une voix au sein d'un discours
généralement dominé par les préoccupations féminines.
Cela s'est aussi nourri de crises
économiques, notamment celle des années 2008. Cette crise a exacerbé les
tensions de genre. Beaucoup d'hommes, confrontés à un chômage accru ou à une
précarité croissante, peuvent se tourner vers le masculinisme comme réponse à
leur vulnérabilité, cherchant à rationaliser leur situation par une critique du
féminisme et en mettant en avant des stéréotypes de genre dépassés. Outre les
crises économiques comme celle de 2008, les avancées timides des droits des
femmes ont aussi contribué au malaise actuel. Des lois ou des politiques
publiques jugeant favoriser les femmes dans certains domaines, tels que les
quotas de genre dans les entreprises ou les programmes d'aide ciblés, sont
parfois interprétées par les hommes comme un traitement préférentiel aux dépens
de leurs intérêts. Cela alimente un sentiment de lutte et de division qui
nourrit le masculinisme.
Enfin, la montée des réseaux sociaux a
permis aux idéologies masculinistes de trouver un terrain fertile pour se
répandre. Des groupes en ligne se forment autour des frustrations communes et
propagent des idées basées sur une vision binaire et antagoniste des relations
entre hommes et femmes. Cela a favorisé l'élaboration d'une communauté autour
de la victimisation masculine.
Où en sommes-nous et surtout, où allons-nous ?
C'est ici où nous en sommes. Ceci
explique cela. Il ne faut donc guère s'étonner du ressac sur les réseaux
sociaux de la présence d'invités masculinistes sur le plateau de l'émission Tout
le monde en parle. Il reste que l'exagération mène à l'indifférence. Il ne
faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. S'il est vrai que le masculinisme
suscite aujourd'hui les passions, il est fondamental que l'on conserve une
valeur suprême qui nous permet d'exister comme collectivité soit la liberté
d'expression. On ne peut pas taire ce que nous honnissons en pensant que cela
va disparaître. La poussière sous le tapis n'est pas une stratégie gagnante
pour faire maison nette.
Le masculinisme au Québec soulève des
enjeux importants qui ne doivent pas être négligés. Si ce mouvement vise à
aborder des préoccupations légitimes concernant les droits des hommes, il peut
également conduire à des attitudes hostiles envers le féminisme et à la
division entre les genres. Il est essentiel d'encourager un dialogue
constructif qui reconnait les luttes de tous les sexes, sans effacer les
problématiques qui affectent spécifiquement les femmes.
Le masculinisme au Québec s'enracine dans des histoires et des luttes
complexes, marquées par des changements sociaux, des crises économiques et
l'évolution des identités de genre. Pour avancer, une compréhension mutuelle et
une collaboration entre les mouvements féministes et masculinistes sont
indispensables. La clé réside dans la réaffirmation des droits de chacun tout
en construisant un espace inclusif où les intérêts de tous les genres peuvent
être entendus et respectés. Pour avancer, il faut prendre en compte les maudits
gars...