Il suffit souvent de quelques fruits pourris pour qu'on ait
envie de jeter tout le panier dans le bac à compost. Sans comparer les metteurs
en scène à des pommes, des fraises ou des ananas, disons que les dérapes d'une poignée
d'entre eux ont entaché le milieu et généralisé cette image du despote
colérique régnant sur sa troupe comme l'ignoble Henri VIII sur ses malheureuses
épouses.
Entre une belle fermeté permettant de faire avancer une
production et la tyrannie ayant le potentiel de tuer aspirations, plaisir et
carrières, il n'y avait alors qu'un pas que quelques sombres personnages
s'empressaient de franchir.
Ces despotes se retrouvaient autant dans les coulisses de
certains théâtres qu'à l'opéra, au sein de grands orchestres ou sur les
plateaux de cinéma, portant ombrage à la réputation de leurs professions.
Au fil du temps, les tyrans ont été ciblés, les nuances ont
été apportées et les réputations se sont rétablies, et ce bien qu'il reste ici
et là encore quelques relents de ces abus de pouvoir.
Encore l'été dernier, en Suisse, les éclats répétés du
maître polonais Krystian Lupa à l'endroit de l'équipe technique de la Comédie
de Genève avaient mené à l'annulation de la pièce Émigrants, au grand désarroi
des comédiens et comédiennes qui soutenaient leur metteur en scène, mais au
grand soulagement de l'équipe permanente de la Comédie n'ayant aucune envie de
subir ses réactions jugées trop violentes.
L'affaire, une première à la Comédie et une rare du genre au
théâtre, avait fait grand bruit là-bas, l'institution genevoise, qui finançait en
partie la création depuis plus de trois mois, renonçant du même coup aux
revenus associés à la présentation de ce qui était annoncé comme le point
d'orgues de la saison. Une chose en entraînant souvent une autre, le Festival
d'Avignon qui devait recevoir Émigrants ensuite a également déprogrammé la
pièce.
Outre Lupa qui avait expliqué son point de vue et présenté
quelques excuses par le biais d'une lettre ouverte dans Libération, l'événement
avait fait couler pas mal d'encre, entraînant un nouveau débat autour des
éclats de colère, l'intimidation, les humiliations, la violence verbale, voire
physique, dont usaient encore une poignée de metteurs en scène, maestros et
réalisateurs.
On y rapportait les récits de chanteurs giflés, d'orchestres
en rébellion, d'acteurs, actrices et artistes de différents milieux refusant
certaines collaborations suspectées trop toxiques, tout en soulignant à quel
point, au fil des décennies et des mouvements comme Metoo, le paysage artistique
s'était assaini.
Et même si le Québec était loin de baigner dans une culture
de l'affrontement et de la tyrannie, le milieu a aussi profité de la vague
Metoo pour se remettre en question, discuter des rapports au pouvoir et rappeler
la tolérance zéro face aux excès.
Il en aura aussi profité,
d'ailleurs, pour scruter ses façons de faire et mettre en place, dans chaque
organisme et compagnie, différentes politiques assurant désormais à chacun le
droit de travailler dans un environnement sain et sécuritaire, la
responsabilité également qu'il en soit ainsi.
C'est une assez bonne façon de
s'assurer de la fraîcheur et du goût de tous les fruits du panier.