La découverte des restes d'enfants de Premières Nations aux
abords des pensionnats dans l'Ouest canadien constitue un traumatisme pour la
bonne conscience du Canada. Cela dans la perspective canadienne. Pour les
Premières Nations, c'est pire. C'est la confirmation de souffrances de milliers
de familles et la preuve documentée d'un génocide et d'une politique
d'assimilation. Voilà pourquoi il se trouvait de nombreuses personnes qui se
voulaient les thuriféraires de l'annulation des célébrations de la fête du
Canada. Pourtant, annuler les célébrations qui soulignent une fête nationale
d'un pays ne peut servir d'échappatoire à une réelle reconnaissance de qui nous
sommes et de comment nous le sommes devenus. Réflexion libre sur des éléments
épars de la condition humaine et des sociétés.
Les pays sont des outres de violence
Si on commence par le commencement. On reconnaîtra que tous
les pays se sont construits sur de la violence. Le Canada s'est fait par le vol
des terres de ses habitants premiers et par les tentatives d'assimilations de
ces mêmes populations par les armes ou la prière. Que l'on tente d'exterminer
des populations par les armes comme l'ont fait les Britanniques ou par la
conversion des âmes comme l'ont fait les Français, l'objectif demeure
fondamentalement le même, l'assimilation et la soumission d'humains à un ordre
qui cherche à devenir une norme. Les États-Unis d'Amérique est un pays qui a
volé le sang de l'Afrique pour se constituer en puissance économique après
avoir exterminé les peuples autochtones. On assiste au même procédé violent en
Amérique latine où les Espagnols ont fait preuve d'une cruauté que nous avons
peine à nous rappeler en tant qu'Occidentaux tant cela nous fait honte à la
lumière de nos valeurs humanistes d'aujourd'hui.
La France, L'Angleterre, l'Espagne, tous les pays se sont
construits sur la violence et sur l'exploitation d'une frange ou d'une autre de
la population du territoire où ils se sont constitués. Les pays, les entités
nationales d'aujourd'hui ont souvent un passé peu glorieux. Un passé que l'on
cherche à oublier ou à nier. Comme l'écrivait Jean-François Lisée dans Le
Devoir du samedi 3 juillet dernier : « La reconnaissance de périodes noires,
voire funestes, dans l'histoire d'une nation est davantage la règle que
l'exception. Les vieux pays ont pillé et massacré à intervalles réguliers.
L'Espagne porte à son débit l'expulsion des juifs, l'inquisition et le massacre
des Aztèques et des Mayas. La France, la terreur et la colonisation. Le
Royaume-Uni, la meurtrière répression des indépendantistes indiens, la guerre
biologique contre les Autochtones d'Amérique, la déportation des Acadiens, la
liste est longue. Même des nations plus jeunes, comme les États-Unis, portent les
stigmates de l'esclavage, du vol des territoires mexicain et autochtone. J'en
passe. Et combien de générations faudra-t-il aux Allemands pour expier
complètement Hitler ? » À cet égard, Le Canada ne fait pas exception.
Tout projet de construction nationale a ses parts d'ombre et de lumières. Au
Canada, l'ombre se tapit dans le sort réservé aux autochtones et aux Canadiens français.
Les deux groupes ont été la cible de tentative de politique d'assimilation même
s'il faut reconnaître que les peuples autochtones ont eu moins de succès dans
leur résistance.
La leçon d'Haïti
Dans l'histoire de l'humanité, on peut trouver une grande
exception non pas à un pays qui s'est bâti sur la violence, mais un exemple où
c'est la violence des victimes qui ont donné naissance à un pays. Je pense à Haïti. À Haïti, on assiste à la première
révolte d'esclaves réussie du monde moderne. C'est ce que l'on appelle la
révolution haïtienne. Les historiens situent traditionnellement son départ lors
de la cérémonie vaudou du Bois Caïman en août 1791. Après treize années de
conflit armé qui a fait des dizaines de milliers de morts et l'émigration
massive de quasiment toute la population blanche de la colonie, Haïti établit
en 1804 la première république noire libre et française du monde succédant
ainsi à la colonie française de Saint-Domingue, mais sans que les conflits
armés cessent. Haïti pourrait nous apprendre de grandes leçons si l'on se
donnait la peine d'y prêter attention.
Peuple fier avec une diaspora
implantée au Québec, le peuple haïtien a réussi tant bien que mal à se débarrasser
des chaînes de l'esclavage, mais son histoire témoigne que cela n'a pas donné
les résultats souhaités et que même ce pays construit comme les autres sur la
violence ne donne pas matière à célébrer
Une évidence s'impose à quiconque
cherche à comprendre le monde dans lequel nous vivons. Rarement, nos
constructions imaginaires de la réalité reflètent la complexité du réel. Ainsi
en va-t-il du sentiment national qu'il soit canadien ou québécois. Nous sommes
prisonniers des mythes et des légendes que nos esprits chagrins se plaisent à
croire pour adoucir la dureté du réel.
Le mythe des
Glorieux
Un exemple parmi tant d'autres. Le mythe des Canadiens de
Montréal en faisant le porte-étendard de la nation canadienne-française
largement répercuté par l'histoire du joueur étoile Maurice Richard et de
l'émeute du 17 mars 1955. La foule s'est révoltée et elle a cherché à s'en
prendre au président de la Ligue nationale de hockey, Clarence Campbell parce
qu'il avait suspendu leur idole à la suite d'événements disgracieux ayant eu
lieu deux jours plutôt à Boston. Les Montréalais ont senti que l'un des leurs
était victime d'une grave injustice.
Cet
événement joint aux succès de l'équipe de hockey au fil des ans avec du
personnel francophone a largement bâti la réputation de glorieux de ce club de
hockey. Pourtant, le club du Hockey des Canadiens de Montréal a longuement
appartenu à la famille Molson de Montréal. Le patriarche John Molson fut l'un
des hommes d'affaires les plus prospères du Canada au 19e siècle.
À sa mort, en janvier 1836, Molson compte parmi les plus
importants hommes d'affaires de Montréal. Propriétaire d'une brasserie et d'une
distillerie dirigées par ses fils Thomas et William, il contrôle aussi une
grande compagnie de navigation à vapeur sur le Saint-Laurent, que John, l'aîné,
administre. Il faut s'arrêter un moment à ce John Jr Molson qui a été l'un des
activistes les plus actifs dans l'incendie du parlement de Montréal en 1848 en
guise de riposte à l'intention de dédommager les victimes de l'armée anglaise
durant le soulèvement des patriotes. Revenons à l'émeute dirigée contre les
Canadiens français de l'époque et l'un de ses plus actifs acteurs était le fils
aîné de John Molson. Il est ironique de constater plus de 172 ans plus
tard que l'un des ancêtres de cette famille Geoff Molson est propriétaire de
l'un des plus grands symboles de l'identité canadienne-française devenue
québécoise. Ce qui me fait dire que les constructions nationales et
idéologiques ne sont que des fadaises pour les bonnes consciences...